Actualités : JEUNES, BRANCHÉS ET FRIQUÉS
«Dessous» des chômeurs de luxe


Par leur apparence, ils renvoient à la respectabilité qu’inspirent les jeunes cadres de la city londonienne : costume, cravate, montre de luxe, lunettes de marque. En somme, le look parfait d’un businessman plein d’assurance.
Toujours à la page, sapée à la dernière mode vestimentaire et exhibant les@ plus récents gadgets technologiques (blackberry, laptop, Iphone…), une nouvelle vague de jeunes Algériens, citadine s’entend, manifeste sa réussite au grand jour. Officiellement, l’Agence nationale pour l’emploi et l’Office national des statistiques les recensent au registre des chômeurs. La sécurité sociale ne leur connaît pas de numéro d’inscription et réciproquement, eux aussi, ne veulent pas en entendre parler. Sans carte d’assurance sociale, encore moins d’astreinte à des horaires de travail, cette nouvelle catégorie mène pourtant une vie de pacha.
Villas, maisons, apparts,
duplex…
C’est attablé à la terrasse d’un café dans un quartier huppé d’Alger que nous retrouvons un jeune spécialiste de l’immobilier algérois. Proche de la quarantaine, Yacine, marié, sans enfants, roule en berline allemande et arbore au poignet une Breitling. Des démonstrations d’une «réussite » sociale et matérielle acquise depuis peu. C’est au début des années 2000, lorsque le pays a commencé à retrouver un certain calme et que les expatriés, sous l’effet de la reprise des affaires, commençaient à revenir, que Yacine a croisé sa vocation. Depuis, il est agent immobilier de luxe… au noir. «A cette époque, l’immobilier de qualité faisait défaut à Alger et la demande explosait. A peine quelques villas qui avaient échappé à la mode des transformations en garages pour superettes ou cybercafés», se rappelle notre interlocuteur, avant d’enchaîner : «A ce moment-là, j’occupais un poste dans une institution étatique pour un salaire de misère. Et par le pur des hasards, un copain vivant en France, dont l’employeur s’installait en Algérie, me contacte pour lui trouver une villa avec toutes les commodités pour un expat.» «Au départ, c’était plus pour rendre service que je pris l’affaire en main en commençant à visiter les agences immobilières. Mais ce qui me mit sur le chemin de l’immobilier, c’est bien la commission de 3% promise par l’agence. Je ne savais même pas que ça fonctionnait ainsi», ajoute-t-il, avec un sourire. «Aujourd’hui, ironise-t-il, ce sont les agences qui viennent me voir.» En réalité, Yacine fait partie de la masse invisible de spéculateurs qui surenchérissent sur la rareté des biens immobiliers dans Alger. Et il le reconnaît volontiers. Pour lui, il ne doit absolument rien au système social ni à la collectivité. C’est, d’ailleurs, cette conviction profonde qui l’amène à rester en marge du système formel. «Je ne veux avoir à faire ni au registre du commerce ni au fisc», clame-t-il.
Echapper au contrôle : mode d’emploi

Nacim, lui, est revendeur de voitures de luxe. «J’ai commencé par écouler des voitures de moins de trois ans. J’en ai vendu des centaines de petites voitures mais avec la multiplication des intermédiaires, les marges devenaient de moins en moins intéressantes alors je me suis spécialisé dans les voitures de luxe», raconte ce jeune issu d’un quartier populaire d’Alger. Désormais connu dans le circuit, le carnet d’adresses de Nacim ferait baver plus d’un lobbyiste. Et contrairement à ce que pense beaucoup, ce n’est pas uniquement l’importation de voitures de luxe qui fait fonctionner la machine. «En fait, souligne Nacim, nous intervenons, les autres revendeurs et moi, dans une sphère où le paraître prend le dessus. La concurrence entre “fils de…” et “filles de…”, pour être à bord du dernier véhicule sorti en Europe, nous permet de tirer des marges conséquentes.» Et pour conséquentes, elles le sont : «Il m’est arrivé de faire jusqu’à deux millions de dinars de marge sur une voiture, soit le prix d’un logement social. C’est dingue mais sachez que dans ce milieu, sur un coup de foudre, les acheteurs sont prêts à mettre n’importe quel prix pour posséder une voiture mais, une fois consommée, ils sont tout autant disposés à la céder au plus bas prix. Il y en a même qui ne cherchent plus après.» Pour étayer son propos, il nous renvoie au dernier salon de l’automobile où toutes les Porsche exposées pour la première fois à Alger avaient déjà preneurs avant même de débarquer au port. «Je suis sûr que j’en revendrais un jour car, dans ce milieu, les nouveaux riches et leur progéniture gâtée qui s’offrent ce genre de voitures s’en lassent très vite et s’en ‘‘débarrassent’’ parfois au tiers du prix d’achat», ajoute Nacim, convaincu. Même dans mon quartier, cela ne choque plus personne de voir toute une venelle occupée par des voitures de luxe en attente d’acheteurs. » «Mais, le silence fait loi et la discrétion foi. Dans ce système, aucune voiture n’est au nom de Nacim. «Allez-y voir sur les sites Internet de revente. Il n’y a que des pseudonymes», fait observer notre interlocuteur. En effet, les Nacim ne sont que des intermédiaires qui émargent au passage. Parfois, une voiture peut transiter par quatre ou cinq personnes avant de connaître son acquéreur. Pour échapper à toute emprise des contrôleurs, Nacim et les revendeurs de voitures de luxe s’abstiennent de les acquérir en leurs noms pour ne pas s’afficher auprès des services qui délivrent les cartes grises et, partant, attirer l’attention. Dans les faits, c’est à une certaine fréquence de rotation des voitures sur une durée donnée qu’il se peut qu’un soupçon se manifeste et qu’on ouvre une enquête. C’est d’ailleurs, pour Nacim, tout ce marché souterrain et les intérêts financiers qu’il charrie qui empêchent l’essor d’un marché de l’occasion réglementé. Ceci avant de conclure : «A une certaine époque, ils y avaient ceux qui concurrençaient carrément les concessionnaires car ils disposaient carrément d’un parc.»
M. O.

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