Contribution : HOMMAGE � ABDERREZAK CHENTOUF Un militant d�exception
Par Ali Mebroukine, professeur de droit
Une grande personnalit� du mouvement national nous a quitt�s le
lundi 24 octobre, � l��ge de 92 ans. Il s�agit de Ma�tre Abderrezak
Chentouf qui consacra toute sa vie (et d�abord sa jeunesse) au service
de l�Alg�rie. N� le 24 juillet 1919 � Tlemcen, il a suivi de brillantes
�tudes, d�abord � l��cole coranique puis � l��cole primaire, ensuite au
coll�ge Slane de Tlemcen, avant de subir avec succ�s les �preuves du
baccalaur�at au lyc�e Bugeaud d�Alger. L��veil pr�coce � la conscience nationale
Abderrezak Chentouf adh�re � l�Etoile nordafricaine (ENA) d�s
1936 puis au PPA/MTLD en 1945. Il devient pr�sident de l�Association des
�tudiants musulmans d�Afrique du Nord en 1946- 1947, avant d��tre
d�sign� comme membre du bureau directeur du PPA, en qualit� de
permanent. Il interrompt ses �tudes de droit commenc�es � l�universit�
d�Alger en 1948, avant de les reprendre en 1952. Il ouvre un cabinet
d�avocat qu�il sera contraint de fermer en 1954. C�est en 1947 que Si
Abderrezak �pouse une des plus anciennes militantes de la cause
nationale, Mamia Aissa, sage-femme de profession, qui va fonder avec un
groupe de militantes du PPA l�Association des femmes musulmanes
alg�riennes (AFMA), en collaboration avec une autre grande moudjahida,
la regrett�e Nafissa Hamoud/Laliam, deuxi�me femme m�decin alg�rienne. A
cet �gard, l�AFMA, sous l�autorit� de Mamia Chentouf, assist�e d�une
�lite instruite en arabe et en fran�ais, avait pour ambition de h�ter la
prise de conscience politique des femmes alg�riennes ainsi que de
prendre en charge mat�riellement les plus d�munies d�entre elles dont
les �poux �taient d�tenus dans les prisons fran�aises � cause de leur
engagement nationaliste.
L�acc�s � des responsabilit�s de premier plan dans le mouvement national
En 1952, A. Chentouf d�missionne de la direction du PPA/MTLD en
compagnie de Chawki Mostefai, Sa�d Amrani et Hadj Cherchali pour
d�saccord avec la hi�rarchie. En 1955, il rejoint le FLN dans une
cellule de la Casbah dirig�e alors par celui qui sera le p�re fondateur
de l�Etat alg�rien en gestation, Abane Ramdane. Abane charge A. Chentouf
de rejoindre la commission de pr�paration de la Plate-forme de la
Soummam et de concevoir, en collaboration avec Amar Ouzegane, Mohamed
Lebjaoui, Sadek Moussaoui et Abdelmalek Temam, l�ensemble des
r�solutions du congr�s. En juin 1956, A. Chentouf est activement
recherch� par la police fran�aise ; il r�ussit � lui �chapper et rejoint
la F�d�ration de France du FLN qui prend la d�cision de l�envoyer �
Tunis. En 1957, il est charg� du secr�tariat du Comit� de coordination
et d�ex�cution (CCE), organe coll�gial plac� sous l�autorit� du CNRA et
compos� alors de Abane, Ben M�hidi, Krim, Benkheda et Dahleb (il s�agit
du 1er CCE, l�organe coll�gial le plus prestigieux et le plus sinc�re au
regard de l�histoire, qui sera dirig� de fait par Abane). Gr�ce � sa
capacit� de travail, sa rigueur intellectuelle et son sens de
l�organisation, il dirigera de main de ma�tre le secr�tariat du CCE dont
le si�ge est � Tunis, � la satisfaction de tous ses membres (�
l�exception toutefois de Larbi Ben M�hidi qui n��tait plus l� pour le
f�liciter, puisqu�il sera l�chement assassin� par la soldatesque d�Aussaresse
en f�vrier 1957). Un peu plus tard, il dirige le journal R�sistance
(�dition tunisienne). Entre 1958 et 1962, A. Chentouf aura le grand
honneur de diriger le cabinet du ministre de l�Int�rieur du GPRA, Si
Abdallah Bentobbal. C�est dans l�exercice de cette lourde responsabilit�
qu�il impulsera et coordonnera toute l�organisation du FLN, veillant �
la mise en �uvre scrupuleuse des d�cisions et directives adopt�es par le
GPRA.
Heurs et malheurs de l�Ex�cutif provisoire
L�autre p�riode pendant laquelle Abderrezak Chentouf va s�illustrer est
celle qui d�bute � la date de mise en vigueur des Accords d�Evian du 18
mars 1962 (sign�s du c�t� alg�rien par le pr�sident le la d�l�gation
alg�rienne aux n�gociations d�Evian, Krim Belkacem, alors vice-pr�sident
du GPRA et ministre de l�Int�rieur, et du c�t� fran�ais par les
repr�sentants mandat�s du gouvernement de la R�publique, � savoir Louis
Joxe, Robert Buron et Jean de Broglie) et qui s�ach�vera avec la
proclamation de l�ind�pendance de l�Alg�rie. Ces accords instituent un
Ex�cutif provisoire. Pour aider le lecteur � prendre la mesure du r�le
qu�a exerc� Abderrezak Chentouf au cours de cette p�riode charni�re de
l�histoire de notre pays, il est utile de dire quelques mots sur
l�Ex�cutif provisoire. C�est le titre I des Accords d�Evian relatif �
l�organisation provisoire des pouvoirs publics qui confie � un ex�cutif
provisoire la gestion des affaires publiques propres � l�Alg�rie,
cependant qu�est institu� un tribunal charg� de r�primer les attentats �
l�ordre public. �L�Ex�cutif provisoire assure la pr�paration et la mise
en �uvre de l�autod�termination en Alg�rie� (article 9 alin�a 2) et
�assure la gestion des affaires publiques propres � l�Alg�rie jusqu�� la
mise en place des institutions issues du suffrage universel qui seront
�tablies apr�s l�exercice de l�autod�termination� (article 9 alin�a 4).
Par ailleurs, l�Ex�cutif provisoire d�tient le pouvoir r�glementaire
pour les affaires propres � l�Alg�rie ; � ce titre, il nomme aux emplois
dans l�administration et acc�l�re l�application de la politique de
promotion des Alg�riens musulmans et leur accession aux postes
administratifs, notamment aux postes d�autorit�. Abderrezak Chentouf
fait partie des cinq membres d�sign�s par le FLN pour si�ger au sein de
l�Ex�cutif Provisoire. Il sera en charge des affaires administratives,
tandis que le Dr Chawki Mostefai s�occupera des affaires g�n�rales,
Belaid Abdesslam des affaires �conomiques, Mohamed Benteftifa des poste
et t�l�communications, enfin Boumedi�ne Hamidou des affaires de la
sant�. En sa qualit� de d�l�gu� aux affaires administratives, Abderrezak
Chentouf �tait en quelque sorte l�ordonnateur de l�ensemble de ces
mesures et devait veiller, sous la supervision fraternelle de Ch.
Mostefai, � leur bonne ex�cution. Parmi les lourdes charges qui furent
les siennes, on rel�vera la mise en �uvre des garanties concernant la
s�curit� des personnes, l�exercice des droits civiques alg�riens, la
protection des droits et libert�s des citoyens alg�riens de statut civil
de droit commun, les droits des Fran�ais r�sidant en Alg�rie en qualit�
d��trangers. Il y avait encore toutes les op�rations de maintien de
l�ordre. En vertu de l�article 15 des Accords d�Evian, les services de
police �taient plac�s sous l�autorit� de l�Ex�cutif provisoire. A cet
�gard, un effectif global de 60 000 hommes devait �tre, en principe,
affect� aux missions de sauvegarde de l�ordre public et de pr�vention
des troubles susceptibles de menacer les personnes et/ou leurs biens.
Dans ce cadre, ce qu�on appellera la force locale �tait constitu�e
d�auxiliaires de la gendarmerie, des groupes mobiles de s�curit�,
d�unit�s compos�es d�appel�s d�Alg�rie, renforc�s, le cas �ch�ant, par
le rappel des r�serves instruites. C�est dire l�immensit� des
responsabilit�s d�volues � l�Ex�cutif provisoire dont A. Chentouf,
responsable des affaires administratives, �tait la cheville ouvri�re.
H�las, des facteurs dirimants, propres aux luttes que les clans et les
factions du FLN/ALN vont se livrer pour l�exercice du pouvoir en cet �t�
de 1962, qui sera celui de tous les dangers, vont se liguer pour faire
obstacle � l�ex�cution des principales dispositions des Accords d�Evian
et r�duire ainsi consid�rablement la marge de man�uvre de l�Ex�cutif
provisoire, et notamment celle des cinq membres d�sign�s par le GPRA.
Les principaux obstacles qu�A. Chentouf et ses compagnons eurent �
surmonter furent les suivants :
1- convaincre les adversaires du GPRA que la seule mission de l�Ex�cutif
provisoire �tait de pr�parer le passage de t�moin de la souverainet�
fran�aise sur l�Alg�rie � des autorit�s alg�riennes, en l�occurrence une
Assembl�e nationale � laquelle il remettra ses pouvoirs ;
2- faire justice des all�gations propag�es, ici et l�, que les cinq
membres d�sign�s par le FLN au sein de l�Ex�cutif provisoire n��taient
que les fid�i commis du GPRA et que leur v�ritable mission �tait de
faciliter l�acc�s au pouvoir de ce dernier en s�appuyant, au besoin, sur
l�administration fran�aise au d�triment des autres forces de la
R�volution qui ne se consid�raient pas moins l�gitimes que le GPRA ;
3- assurer la coh�sion des unit�s bigarr�es et disparates, compos�es de
nombreux d�class�s sociaux et culturels que constituait la force locale.
Ce qui devait advenir advint. En premier lieu, la politique de la terre
br�l�e pratiqu�e par l�OAS suscita des repr�sailles l�gitimes de la part
de commandos alg�riens, ce qui pr�cipita le d�part massif des Europ�ens,
cependant que volait en �clats l�unit� factice de la force locale dont
certains �l�ments rejoignirent le groupe de Tlemcen, d�autres, le groupe
de Tizi-Ouzou, d�autres encore, ralli�rent � l�aveuglette telle ou telle
wilaya de l�int�rieur.
Quant � l�accord conclu entre l�Ex�cutif provisoire et l�OAS, il finit
de rendre impossible la t�che de l�Ex�cutif provisoire, compte tenu du
concert d�impr�cations et m�me de proc�s en sorcellerie qu�encoururent
tous ses membres. Il �tait, pourtant, inconcevable qu�un homme comme
Chawki Mostefa� e�t pu prendre sur lui de n�gocier un accord avec J. J.
Susini, pr�voyant l�amnistie pour les gens de l�OAS et l�incorporation
d��l�ments fran�ais dans la force locale, n��tait l�appui, plus
explicite qu�implicite, donn� par la GPRA, lequel refusera urbi et orbi,
jusqu�au bout, d�assumer ses responsabilit�s. C�est la raison pour
laquelle C. Mostefa� pr�sentera le 27 juin 1962 sa d�mission au GPRA,
cependant qu�A. Chentouf et ses trois autres compagnons qui n�avaient
pas du tout �t� impliqu�s dans les n�gociations avec l�OAS,
poursuivirent leur mission sans d�semparer. Comme de bien entendu, le
GPRA refusa la d�mission du d�l�gu� aux affaires g�n�rales, tant il est
vrai qu�il avait encore besoin de s�adosser � l�Ex�cutif provisoire pour
parachever une transition vers l�ind�pendance, particuli�rement chahut�e
par les luttes de pouvoir. En r�alit�, le GPRA avait commis une double
m�prise : d�une part, il surestimait sa coh�sion, laquelle ne pouvait
triompher des ambitions personnelles concurrentes qu�il abritait en son
sein, ensuite il pensait pouvoir instrumentaliser des personnalit�s
aussi jalouses de leur ind�pendance que l��tait assur�ment A. Chentouf,
alors que ce dernier et ses compagnons de route n�avaient accept�
d�assumer la gestion ingrate de la transition vers l�ind�pendance que
par conviction patriotique et sens du devoir national.
L�ind�pendance de l�Alg�rie
Apr�s l�ind�pendance, A. Chentouf exerce les fonctions de secr�taire
g�n�ral du minist�re de l�Agriculture, de 1963 � 1964 (sous l�autorit�
d�Ali Mahsas), mais visc�ralement attach� � sa libert�, rebelle � tout
embrigadement, de quelque doctrine qu�il se r�clame, il pr�f�re mettre
ses comp�tences professionnelles et son talent au service des causes
justes et � la d�fense des citoyens modestes et humbles, ainsi qu�� la
formation de jeunes avocats dont certains sont devenus aujourd�hui des
t�nors du barreau. Toute sa vie, il a su allier des qualit�s et des
vertus que rares sont nos hommes publics � avoir r�ussi la synth�se : la
primaut� de l�int�r�t national, en toutes circonstances, le sens de
l�Etat, l�humilit� (excessive � beaucoup d��gards, ce qui ne manquait
pas de susciter la perplexit� de nombre de ses connaissances), le
dialogue incessant, la force de persuasion qui n�exclut pas la capacit�
d��coute, et le respect sacro-saint des libert�s, de toutes les libert�s
individuelles et collectives, pour le triomphe desquelles sont tomb�s au
champ d�honneur nos valeureux chouhada. A. Chentouf r�unissait toutes
ces qualit�s. Il nous quitte, sans avoir pu laisser son t�moignage pour
l�histoire, � cause d�une maladie invalidante qui l�a min� durant de
longues ann�es, pendant lesquelles, inlassablement, sa veuve, Mamia, lui
prodigua soins et assistance. Il aura �t� une des grandes figures du
mouvement national, � l�instar de beaucoup de militants du PPA/MTLD,
sans lesquels l�insurrection arm�e du 1er Novembre 1954 n�aurait pu �tre
d�clench�e. Que Dieu Tout-Puissant lui accorde toute Sa mis�ricorde et
lui ouvre Son vaste Paradis.
A. M.
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