Contribution : R�FLEXION Kan ya makan
Par Noureddine Boukrouh
[email protected]
Il �tait une fois, au XIVe si�cle, deux civilisations, l�une
orientale et ployant sous le poids des si�cles, l�autre occidentale et
fr�tillante de jeunesse. Un jour, les deux civilisations se croisent sur
la route du Temps sous le regard d�un t�moin, l�Histoire. Celle-ci les
regarde tour � tour, fixe avec mansu�tude la premi�re qui lui a
longtemps tenu compagnie, puis l�che sur un ton de regret �Adieu !� ;
elle se tourne ensuite vers la toute jeune qu�elle ne connaissait pas,
la jauge et, avec un sourire engageant, lui lance : �Bienvenue !� Habitu�e � ce que le soleil se l�ve � l�Orient et se couche �
l�Occident, l�Histoire ressentit un trouble : n�y avait-il pas l�
quelque d�r�glement dans les lois du cosmos ? Elle se ressaisit en se
rappelant que son r�le �tait seulement de t�moigner de l��uvre des
Hommes : l�important n��tait-il pas que le monde continu�t � �tre
�clair� ? La vieille civilisation, frip�e et malade, quitta la modernit�
o� elle n�avait plus rien � faire et prit tristement le chemin du Moyen
�ge en sens inverse, pendant que la jeune civilisation, fringante et
guillerette, se d�poussi�ra du Moyen �ge et mit le pied dans l��re
moderne o� elle allait r�aliser de grandes choses. �Tels sont les jours,
Nous les alternons entre les hommes�, dit le Coran. La premi�re chose
qui se pr�sente � l�esprit lorsqu�on regarde l��tat du monde musulman, �
de rares exceptions pr�s, est que l�islam a �chou� dans son ambition
d��lever l�homme musulman au niveau du progr�s moral et mat�riel atteint
dans d�autres civilisations. S�il n�y avait cette extraordinaire
contribution au d�veloppement des sciences, des arts, des inventions
techniques et de la philosophie pour prouver qu�il n�en a pas toujours
�t� ainsi, s�il n�y avait l�essor donn� � la civilisation humaine par
l�islam entre le moment de son apparition et la Moqaddima d�Ibn Khaldoun
(XIVe si�cle), on en viendrait � d�sesp�rer de lui. En fait, ce n�est
pas lui qui est en cause mais ses supports sociologiques. En effet,
l�islam n�a pas apport� avec lui son humanit�, il l�a trouv�e sur place.
Il n�a pas �t� r�v�l� � des hommes neufs, sortis tout frais des mains de
la Cr�ation, mais est intervenu en cours de route et a �t� propos� � des
peuples pris dans des habitudes de vie et de pens�e, de vieux conflits
d�int�r�ts et des haines tribales ancestrales. Il n�a pas cr�� ex-nihilo
l�Homme musulman, il a attrap� l�ancien Arabe, Persan, Berb�re, Mongol,
Turc ou Pachtoune, l�a badigeonn� de vert et jet� dans l�Histoire. Il
les a �islamis�s�, mais en apparence seulement car ils avaient gard� au
fond d�eux-m�mes leurs syst�mes psychiques, leurs structures mentales,
leurs g�nes, et allaient s�affranchir � la premi�re occasion venue de
son esprit novateur pour revenir � leurs mani�res de vivre et de penser.
L�islam s�est plaqu� sur leurs mentalit�s mais ne les a pas transform�s
en profondeur puisqu�on les a vus le plier ult�rieurement � leurs
inclinations naturelles pour en faire du chiisme en Iran, du wahhabisme
dans les pays du Golfe, du maraboutisme au Maghreb et en Afrique, du
talibanisme en Afghanistan, du terrorisme ici ou l�, et enfin de
l�islamisme politique victorieux aux �lections d�mocratiques � partir de
la fin du XXe si�cle. L�islam est une conception de l�univers et un
syst�me de valeurs propos� � l�homme il y a pr�s de quinze si�cles. Les
premi�res g�n�rations en ont fait une civilisation, les suivantes une
d�cadence. Il est possible d�expliquer, sans d�former le moindre fait,
pourquoi l�islam a sombr� dans le despotisme et l�obscurantisme, et
pourquoi on n�est pas arriv� � rallumer ses moteurs depuis plus d�un
si�cle malgr� toutes les tentatives. Il faut tout d�abord savoir que
l�histoire de l�islam a �t� embellie � souhait et m�me tronqu�e,
soi-disant pour le prot�ger des erreurs des hommes et le pr�senter sous
son meilleur jour. Des milliers de tonnes de livres ont �t� compos�s
dans cet esprit au fil des si�cles, et c�est de ces ouvrages
apolog�tiques mais souvent �loign�s de la v�rit� qu�a �t� tir�
l�enseignement dispens� dans les �coles et les universit�s, surtout
islamiques. Jusqu�� sa mort, le Proph�te avait refus�, malgr� les
pressions de son entourage, de d�signer un successeur temporel. Il
pensait que c��tait l�affaire des croyants ainsi que l�avait recommand�
le Coran (� Amrouhoum choura baynahoum�). Sur les quatre califes qui
allaient lui succ�der, le premier, Abou Bakr (qui restera moins de trois
ans au pouvoir), a �t� �lu par ceux qui �taient pr�sents sur les lieux
ce jour-l� ; le second, Omar (qui restera dix ans), a �t� d�sign� par
Abou Bakr sur son lit de mort ; le troisi�me, Othman (douze ans), a �t�
d�sign� par une commission, et le quatri�me, Ali (quatre ans), a d�f�r�
� la demande populaire. Sur ces quatre �califes rachidine� (bien
guid�s), trois sont morts assassin�s. La crise politique, la �m�re des
crises�, qui allait frapper l�islam et dont tous les drames futurs
d�riveront a �clat� sous le califat d�Ali. Les protagonistes en �taient
les Banu Omeyya, famille d�Abou Soufiane qui a combattu le Proph�te
jusqu�au jour de la prise de la Mecque, et de Moawiya son fils, et les
Banu Hachem, famille dont descendent le Proph�te et son cousin Ali. Sous
son califat, Othman (un Banu Omeyya) s��tait laiss� aller au n�potisme
et avait plac� les gens de son clan dans les rouages de l�Etat et � la
t�te des provinces. C�est pour cette raison qu�il a �t� renvers� et
assassin� par une s�dition dont on soup�onna Ali d��tre l�inspirateur.
Quand ce dernier acc�da au califat, les Banu Omeyya refus�rent de le
reconna�tre et se ligu�rent contre lui jusqu�� son assassinat (par un
khar�djite). Finalement vainqueur par la ruse et la corruption, Moawiya
a enterr� le principe de l��lection du calife et mis � sa place la
transmission h�r�ditaire du pouvoir. C��tait la premi�re grave entorse �
l�esprit de l�islam : la souverainet� populaire, fondement de la
d�mocratie et de l�Etat de droit, venait d��tre proscrite de l�histoire
de l�islam. Cette crise politique qui a divis� les rangs des musulmans
en trois allait devenir th�ologique, juridique et intellectuelle et
donner naissance � trois doctrines religieuses : khar�djisme, chiisme et
sunnisme. Le courant khar�djite a �t� le premier � appara�tre (657) et
regroupait ceux qui, d�abord du c�t� d�Ali, l�ont quitt� parce qu�il
avait accept� que le conflit l�opposant � Moawiya soit soumis �
l�arbitrage. Leur conception politique est que tout musulman, quelle que
soit son ethnie ou sa couleur, est �ligible � la fonction de calife. La
doctrine chiite appara�tra en 660, et regroupe les partisans de la
l�gitimit� d�Ali. Leur conception politique est que le califat doit
revenir � la famille du Proph�te (� Ahl al-bayt�). La troisi�me
doctrine, le sunnisme, a accept�, contrairement aux deux autres, le coup
d�Etat de Moawiya et devait par cons�quent le l�gitimer. S�appuyant sur
un hadith relatif � la tribu des Qore�ch � laquelle appartenait la
dynastie omeyyade fond�e par Moawiya, il d�cr�ta que le califat devait
rester dans cette tribu. Le sunnisme inaugurait ainsi l��re de la pens�e
unique au service du despotisme. Il soutiendra dans les si�cles qui
suivront aussi bien les monarchies que les r�gimes r�publicains. Si, par
hypoth�se, le milliard de musulmans des diverses r�gions, races et
couleurs du monde devaient se reconstituer en Etat islamique, centralis�
ou f�d�ral, � quelle doctrine religieuse et politique devraient-ils se
rallier pour d�signer le calife ? En principe, � la plus proche du Coran
et de la Sunna, � la plus d�mocratique et la plus rationnelle, autrement
dit celle du khar�djisme. Or, elle est minoritaire pour ne pas dire
qu�elle a enti�rement disparu. Le sunnisme s�est depuis trop longtemps
impos� et bunkeris�. J�ai fait dans une pr�c�dente contribution un
rapprochement entre la d�claration d�investiture d�Abou Bakr et la
D�claration d�Ind�pendance am�ricaine pour d�montrer que les deux textes
fondateurs portent le m�me esprit d�mocratique et pr�conisent la m�me
attitude devant le despotisme. Il y a aussi ce hadith, �Tels vous �tes,
tels vous serez gouvern�s�, d�o� l�id�e que les gouvernants soient
d�sign�s hors de la souverainet� populaire est exclue puisqu�impliquant
la possibilit� de choix. En langage courant, cela veut dire que si on
porte la culture d�mocratique on a des institutions d�mocratiques, si on
porte la culture du despotisme on est avili par un pouvoir despotique,
et si on porte la culture th�ocratique, il ne faut pas s��tonner d��tre
gouvern� par l�islamisme. Dans une autre contribution, j�ai sollicit� un
alem �gyptien, Tahtaoui, pour traduire en langage moderne le hadith
selon lequel l�Etat croyant n�a aucune chance de durer s�il n�est pas
fond� sur la justice et la libert�, alors que l�Etat incroyant peut
durer aussi longtemps qu�il reposera sur la libert� et la justice.
L�histoire a confirm� sa v�racit� : les Etats religieux mais despotiques
ont disparu (sauf dans le monde arabe) alors que les Etats la�ques
fond�s sur les libert�s et la justice sont � la t�te du monde, adaptant
r�guli�rement leurs formes aux nouvelles exigences pour durer plus
longtemps. Ce hadith a �t� reformul� avec d�autres termes par un sunnite
du XIIIe si�cle, Rida-Eddine Ibn Ta�us (�Le souverain infid�le mais
juste est pr�f�rable au souverain musulman mais injuste�) et au XVe par
un chiite, le grand mystique Jami� (�La justice sans religion vaut mieux
pour l�ordre de l�univers que la tyrannie d�un prince d�vot�). Mais ce
ne sont pas ces objections qui perceront la chape de b�ton qui prot�ge
le sunnisme et sa repr�sentation de l�islam. Les luttes pour le pouvoir
qui avaient pour th��tre la P�ninsule arabique n�ont heureusement pas
frein� la dynamique d�expansion de l�islam. Il s�est tr�s vite r�pandu
dans l�espace, mais il s�est vite aussi impos� dans le domaine de la
pens�e. Une micro-soci�t�, l�Arabie pr�-coranique o� n�existait pas un
seul livre et o� seuls quelques po�mes constituaient la mati�re
intellectuelle nourrissant l�esprit et exaltant les vertus tribales,
allait en quelques d�cennies ma�triser la pens�e de l�Antiquit� et la
reprendre l� o� elle l�avait laiss�e, �largir la vision humaine de
l�univers, et r�aliser des d�couvertes dans tous les domaines des arts,
des m�tiers et des sciences. Le premier courant de pens�e � se former
est, comme pour la doctrine politique, un courant rationnel et
d�mocratique, celui des Moatazila, qui appara�t � la chute des Omeyyades
et conduira le monde musulman, entre le VIIIe et le XIIe si�cle, � son
apog�e culturelle et scientifique. De 750 � 1200, une suite
ininterrompue de savants, d�esprits brillants et de d�couvertes va
donner son sens au verset selon lequel �L�encre des savants est plus
pr�cieuse que le sang des martyrs�. L�esprit musulman �volue dans une
ambiance intellectuelle o� l�homme est libre d�investiguer, de sp�culer
et de critiquer ; les intellectuels cherchent avidement � conna�tre les
secrets de la nature et de la vie pour en tirer inventions et techniques
; la tol�rance entre musulmans, chr�tiens et juifs est � son fa�te
puisque des savants des trois religions travaillent ensemble � �La
maison de la sagesse� cr��e � Baghdad en 832. L��poque des Moatazila est
la p�riode pendant laquelle l�islam a donn� la pleine mesure de sa
nature lib�rale, rationnelle et d�mocratique. Il n�y en aura pas
d�autre. Le mot �moatazila� signifie �ceux qui se sont isol�s � de la
lutte pour le pouvoir et des interpr�tations religieuses mises en avant
pour �tayer un point de vue ou un autre pendant la crise politique. Ils
sont �Ahl al-�dl wa attawhid � (les partisans de la justice et de
l�unicit�). C�est un rameau qui s�est d�tach� du sunnisme qui a pli�
devant le fait accompli omeyyade. C�est alors qu�il va bourgeonner et
donner une riche floraison. Parmi ses id�es philosophiques, on peut
citer celles-ci : Dieu ne peut �tre con�u par l�esprit humain, Il est
au-del� de toute repr�sentation, et ses descriptions dans les Textes
sacr�s comme ��tre assis sur un tr�ne� ne sont que des all�gories ;
l��tre humain est libre et non le jouet de la fatalit� ; si Dieu est
l�auteur des actes de l�Homme, alors Il serait responsable du mal qu�il
commet, et l�id�e de ch�timent n�aurait plus de sens ; l�Homme est en
droit de se r�volter contre l�autorit� si elle est injuste, en vertu du
principe de �Commander le Bien et r�prouver le Mal�� C�est assez pour
comprendre pourquoi les d�tenteurs du pouvoir et les docteurs de la foi
sunnite ne pouvaient s�accommoder de ces th�ses qu�ils jugeaient
subversives : elles encourageaient l�esprit critique, cr�atif et
d�mocratique, et ce n��tait ni dans l�int�r�t des gouvernants ni de
celui de la classe des ul�mas, nouvellement apparue dans le spectre
social pour l�gitimer leurs actes par des fetwas et des pan�gyriques, de
laisser de telles id�es se propager dans la masse. C�est cette p�riode
qu�on vise par l�expression �Age d�or des musulmans� car c�est la seule
o� on a vu appara�tre un grand nombre d�esprits scientifiques et
humanistes parmi lesquels on peut �num�rer : Khawarizmi (783-850), p�re
de l�alg�bre et des algorithmes sans lesquels il n�y aurait pas de monde
moderne, d�informatique et d�Internet ; les Banou Moussa (trois fr�res
dont le plus �g� est mort en 872) qui ont cr�� les premiers automates et
invent� la valve conique dont le principe est aujourd�hui appliqu� aux
avions � r�action et aux machines � laver ; Ibn Firnas (810-887),
m�decin et premier constructeur d�une machine volante dont les
continuateurs auraient pu inaugurer l��re de l�a�ronautique ; Al-Razi
(865-932), chimiste et m�decin ayant d�couvert l�acide sulfurique,
l�observation clinique et la psychosomatique, et fond� le premier
h�pital annonciateur de l�id�e de sant� publique ; Abou Al-Qacim
(940-1013), cr�ateur de la chirurgie ; Ibn Al-Haytham (965-1039),
fondateur de la physique exp�rimentale et de l�optique moderne ; Biruni
(973-1037), qui a calcul� pour la premi�re fois le diam�tre de la Terre
et soutenu qu�elle tournait autour d�elle-m�me, avant Galil�e, et dont
les recherches auraient pu, si elles avaient �t� relay�es, mener �
l�astrophysique ; Al-Djazari (1136-1206) qui a invent� la manivelle,
l�arbre � cames, le vilebrequin, la roue hydraulique, la chasse d�eau,
les portes automatiques, etc., et qui en explique la construction et le
fonctionnement dans Le livre de la connaissance des dispositifs
m�caniques ing�nieux; Hassan Al-Rammah (mort en 1295), p�re de la
balistique, premier concepteur et exp�rimentateur de la torpille et
auteur d�un trait� sur les machines de guerre dans lequel est esquiss�e
la premi�re fus�e qu�il a d�crite comme �l��uf qui bouge lui-m�me et
br�le�� Sans parler des esprits et g�nies appartenant tous � la m�me
p�riode et int�gr�s au patrimoine intellectuel de l�humanit� : Al-Kindi,
Farabi, Ibn Sina, Ibn Rochd, Ibn Tofa�l, et des dizaines d�autres. Puis,
brusquement, plus de savants, plus d�esprits curieux, plus d�inventeurs,
plus de philosophes, comme si un immense interdit �tait tomb� du ciel,
st�rilisant � jamais les musulmans. C�est le cas de le dire. Un courant
de pens�e, fond� par un ancien moatazilite, Abou Moussa Al-Ach�ri
(873-935), appara�t � la fin du Xe si�cle et s�attaque aux th�ses des
Moatazila sur tous les fronts. Il sera renforc� par Al-Ghazali (mort en
1111) qui d�composera le savoir en sciences religieuses et non
religieuses, jetant l�opprobre sur les �falasifa� en les faisant passer
pour des h�r�tiques. Ce courant d�id�es, oppos� � l�ijtihad, la
rationalit� et la libert�, montera en puissance jusqu�� l��radication de
cette pens�e des lumi�res. Ach�arisme et ghazalisme influenceront les
quatre �coles th�ologiques sunnites et ce sont leurs th�ses qui seront
estampill�es comme orthodoxes et enseign�es. Apr�s la grave entorse
faite � l�islam dans le domaine politique, venait l�entorse fatale � son
intellect et � sa cr�ativit�. La ligne de d�marcation a �t� trac�e le
jour o� on a ferm� les portes de l�ijtihad, ralentissant puis stoppant
la pens�e, la dynamique sociale et la cr�ativit� scientifique et
technique qui avaient caract�ris� les premiers si�cles. Le bir�acteur
venait de perdre son deuxi�me moteur. Il ne va pas tarder � atterrir
pour ne plus jamais voler. La conception traditionnaliste qui allait
pr�dominer dans la suite des si�cles pr�ne la soumission au �salaf� (les
pr�d�cesseurs) et � leur ex�g�se. Non pas le �salaf� rationnel,
scientifique et �clair�, mais celui qui a donn� le coup d�arr�t � la
r�flexion, � l��volution et au progr�s. Il ne faut plus chercher �
interpr�ter le Coran, mais l�appliquer � la lettre en se conformant �
l�interpr�tation donn�e par les ul�mas m�me si leurs id�es sont
d�pass�es, et qu�il ne s�agit pas de toucher au dogme mais d�am�liorer
l�organisation de la soci�t�. Cette libert� a �t� accord�e aux musulmans
par le Proph�te qui a dit : �Pour les questions religieuses, suivez-moi
car elles proc�dent de la R�v�lation. Pour les probl�mes de la vie
courante, consultez-moi car je ne suis qu�un homme et vous �tes mieux
qualifi�s que moi pour la solution de vos probl�mes.� L�esprit
traditionnaliste la leur a retir�e, ouvrant la voie � une foisonnante
moisson de soufis, de mystiques, d�ayatollahs iraniens, d�ul�mas
moyenorientaux, de mollahs afghans et de cheikhs de la rue alg�rienne.
Cet esprit est fataliste, litt�raliste et conformiste en mati�re
politique : il faut ob�ir au d�tenteur de l�autorit� sans se m�ler de
savoir comment il est arriv� au pouvoir puisque c�est Dieu qui le
jugera. On n�a plus eu depuis d�inventeurs et de philosophes, mais des
milliers de �da�iya� qui ne pensent pas et n��crivent pas, se contentant
de pr�cher dans la rue, les mosqu�es ou sur les plateaux de t�l�vision ;
on n�a plus eu de Saladin, mais des Ben Laden. L�islamisme contemporain
est l�h�ritier du courant qui a l�gitim� le coup d�Etat de Moawiya et
r�prim� la pens�e lib�rale et scientifique des Moatazila. Avant d��tre
une r�gression par rapport au monde moderne, il est une r�gression par
rapport � l�islam lui-m�me. Il v�hicule les valeurs de la d�cadence et
non celles de l�islam originel �clair�. On le confond avec l�islam parce
qu�il affiche ses rites, mais au-dedans, il est vide et ne renferme
aucun ferment de vie ou de progr�s. Il est au pouvoir depuis des
d�cennies dans les pays du Golfe, en Iran et au Soudan, mais il n�est
apparu dans ces pays ni savants, ni humanistes, ni inventeurs. Pourquoi
les universit�s islamiques d�Al-Azhar ou de Qaraouiyine, vieilles de
mille ans, ne sont-elles pas devenues des �Maison de la sagesse� ? Parce
que le c�ur n�y �tait pas, parce que l�esprit et l��me n�y sont pas. On
y apprend par c�ur des ouvrages au contenu obsol�te, y enseigne le
hallal et le haram, y diss�que les proc�d�s ing�nieux du diable pour
tenter les croyants, sans se pr�occuper de leur vie sociale, �conomique
et politique, ni de leur avenir parmi les nations. Leur horloge indique
l�an 1463 (de l��re chr�tienne). A la �Maison de la sagesse� de Baghdad,
au milieu de l�An 800, les Arabo- Musulmans rassemblaient et
traduisaient en arabe tout ce que le g�nie humain avait produit comme
ouvrages de science, de philosophie et de religion en Gr�ce, en Inde, en
Perse et dans la chr�tient�. Aujourd�hui, la petite Gr�ce de 11 millions
d�habitants traduit dans sa langue chaque ann�e plus que ne traduit
l�ensemble du monde arabe avec ses 300 millions d�habitants vers la
sienne, tandis que l�Espagne traduit en 1 an ce que les Arabes ont
traduit en 1000. L�Occident a invent� au cours du dernier demi-si�cle
plus que ce qu�ont invent� toutes les civilisations au cours des cinq
derniers mill�naires, y compris la sienne. A moins d�une catastrophe
g�n�rale qui abolirait l�humanit� il va, dans les deux prochains
si�cles, cr�er la vie, vaincre la maladie, voyager dans l�espace � une
vitesse proche de celle de la lumi�re et mettre le pied sur de nouvelles
plan�tes. De ce rappel extr�mement condens� de l�histoire politique et
intellectuelle de l�islam, il faut retenir cette constatation capitale :
plus on remonte dans le temps et se rapproche des sources, plus on
d�couvre l�essence d�mocratique et rationnelle de l�Islam. Plus on
s��loigne des sources coraniques et de l�exemple du Proph�te, plus on se
rapproche de la d�cadence. C�est au retour � cette d�cadence
qu�appellent, que veulent obliger, la pens�e traditionnaliste qui s�est
impos�e par le despotisme et le dogmatisme et l�islamisme, son h�ritier,
qui a aujourd�hui les faveurs de l��lectorat th�ocratique. Ils ne
portent pas � la main la lampe d�Aladin, mais une torche comme aux temps
o� l�humanit� vivait dans les grottes. Si l�obscurantisme n�avait pas
vaincu l��lan des lumi�res coraniques, les sciences, la technologie,
l�humanisme, les droits de l�homme et la pens�e politique auraient gagn�
un mill�naire, et la civilisation islamique serait aujourd�hui
universelle. Mais il s�est pass� ce qui s�est pass� FI KADIM EZZAMAN.
N. B.
|