Contribution : R�HABILITER LE POLITIQUE
Pour une culture du d�bat


Moncef Benouniche, citoyen d�mocrate
Le d�bat a disparu du paysage social et politique de l�Alg�rie, et cela est une calamit� dont les effets pervers sont incommensurables et quasi inimaginables aujourd�hui.
Il ne fait pas de doute que le d�bat rencontre des pens�es dont le point d�accord est cette rencontre irrempla�able puisqu�il permet de prendre la mesure des diversit�s d�opinions, des diff�rences d�approches, de la multiplicit� des conceptions et explications du monde dans lequel nous vivons. L�Alg�rie a si longtemps v�cu sous la domination sans partage de la pens�e unique, et il y a lieu de croire que le d�labrement social et politique g�n�r� par celle-ci n�a pas encore �t� �valu� � sa juste mesure. Il est naturellement permis de penser que la p�riode coloniale � destruction des neurones � a parfaitement pr�par� cette sombre p�riode �tant entendu que cette observation constitue un indispensable ancrage dans l�histoire et certainement pas un justificatif quelconque de ce qui appara�t aujourd�hui comme �tant plus que des insuffisances puisque port�es par une volont� politique ferme ; pr�cision n�cessaire au regard de l�instrumentalisation syst�matique de cette p�riode affreuse pour l�Alg�rie. Il y a moins d�un quart de si�cle, il �tait affirm�, sans contradiction possible, que la pens�e unique �tait la condition sine qua non de l�action unique et forte, et que pour cela, la �d�mocratie� �tait une pr�occupation seconde � secondaire � qui ne pouvait �tre envisag�e qu�une fois le sous- d�veloppement vaincu. Le sous-d�veloppement n�a pas �t� vaincu, et la d�mocratie frappe de moins en moins fort � la porte� Le syst�me fond� sur le parti unique a disparu de la sc�ne politique, mais a-t-il pour autant d�sert� les esprits ? Il y a moins de temps, et aujourd�hui encore, ceux qui entendent faire du religieux le fondement du politique proposent � imposent quand ils le peuvent � la pens�e unique r�fractaire � toute id�e de d�bat. Il appara�t, d�s lors, que la �pens�e unique� peut prendre des formes multiples et peut m�me, sans dommages, admettre des expressions plurielles et vari�es tant que celles-ci ne portent pas atteinte � son caract�re dominant, faisant des concessions � peu de frais pour maintenir l�essentiel et organisant avec un incomparable talent un syst�me �ducatif hostile � l�interrogation et au doute, garant de sa perp�tuation. Le propre de la pens�e, unique ou dominante, est d��tre �touffante et de rendre inaudible toute autre expression que la sienne, r�duisant celle-ci au r�le mis�rable de faire-valoir ; c�est l� la caract�ristique fondamentale du syst�me de gouvernance pluripartisan en Alg�rie, lequel fonde le m�me pouvoir que celui qui prenait appui sur le parti unique. La pens�e dominante n�a rien � craindre d�un syst�me pluripartisan qui a tourn� le dos � la pens�e et � la confrontation de projets politiques susceptibles de mobiliser les �nergies ; elle a, par contre, tout � craindre du d�bat, d�s lors que les citoyens d�cident de s�en emparer pour mieux comprendre les valeurs qui construisent le lien social, le projet commun qui fonde le vivre ensemble et, finalement, s�interroger sur le point de savoir : comment faire soci�t� ? ;en somme, se pr�occuper du politique bien au-del� de ce qui rel�ve de la politique. Tout ce qui pr�c�de rel�ve �videmment de la relation conflictuelle et f�conde entre �la� politique et �le� politique, et c�est Marcel Gauchet qui, dans un article-entretien paru dans Philosophie Mag du 1er mars 2007, nous indique la distinction fondamentale qu�il convient d��tablir entre �la� politique et �le�politique. �La politique est une chose r�cente. Elle d�signe toutes les activit�s qui tournent autour du pouvoir par repr�sentation qui est le pouvoir l�gitime dans nos soci�t�s. Le pouvoir vient de l��lection par les citoyens� Le politique, c�est toute autre chose, c�est tout ce qui permet � la soci�t� de tenir ensemble. Il existe depuis toujours. La fonction du politique est de produire des soci�t�s humaines, car, � la diff�rence des soci�t�s animales, elles n�ont pas d�existence naturelle. Les termites et les castors ne d�lib�rent pas, que je sache, de leur organisation collective. Le propre des soci�t�s humaines est de s�autoproduire au travers du politique. Le politique assure aux soci�t�s une prise sur elles-m�mes�. La question se pose de savoir ce que devient le politique dans nos soci�t�s o� la politique a pris toute la place visible.� Si l�on retient cette vision qui semble particuli�rement pertinente � elle n�est rien d�autre qu�une illustration de la distinction entre le fond et la forme �, l�interrogation s�adresse � une situation essentielle puisque l�objet est l�existence m�me de la soci�t� et la place de l�homme en son sein. Rien de naturel � cela, mais toujours le fruit d�une volont� construite sur une meilleure compr�hension de l�histoire et une plus juste �laboration du projet, g�n�rateur d��nergies. Cela ne peut �tre le fruit que de la r�flexion et du d�bat, dont il a �t� rappel� par Marcel Gauchet, entre autres, qu�il �tait l�essence du politique. Qu�en est-il de l�Alg�rie ? Le politique, fondement de la politique, est-il perceptible dans un ensemble humain qui semble avoir perdu tout rep�re de solidarit� pour permettre, au-del� de la simple coexistence des individus, la fusion de l�homme et de la soci�t�, la libert� individuelle et le respect de l�autre comme socles de l�ordre social, le rejet des communautarismes quels qu�ils soient. Une fois encore, puisque nous atteignons le demi-si�cle apr�s l�affirmation des promesses des indign�s de la colonisation, quelle place pour le politique, et pourquoi la politique a-t-elle envahi tout l�espace et intim� � l�Alg�rien une citoyennet� au rabais, puisque la chose publique (res publica) lui est devenue �trang�re et qu�il semble avoir fini par accepter ce processus de d�shumanisation ? Il est urgent de s�interroger et d�agir sur la d�gradation inou�e de la fonction politique, essentielle dans toute soci�t� moderne, �tant entendu que l�Alg�rien de ce d�but de si�cle a rompu toute amarre avec la politique � et partant avec le politique � pour se r�fugier dans une autod�rision qui, aujourd�hui, lui permet de supporter l�insupportable. Il appara�t, d�s lors, que l�imp�ratif cat�gorique que nul ne peut �viter est, dans ce pays si malmen�, la r�habilitation du politique au-del� de tout ce qui participe � l�exercice imm�diat du pouvoir, et cette r�habilitation passe par le chemin oblig� de la r�appropriation, d�marche qui sugg�re que le citoyen a �t� d�pouill� de la chose publique et que son salut et son existence sont conditionn�s par un refus ferme et d�termin� de ce rapt mafieux. Un citoyen d�pouill� de son histoire ne rel�ve plus de cette cat�gorie, encore plus si sa condition lui impose l�acceptation ou l�indiff�rence. Une soci�t� d�pourvue de projet ne rel�ve plus de cette cat�gorie, encore plus si sa condition la conduit � l�apathie qui est la forme achev�e de la complicit� objective. Cette �complicit� objective� ne peut �tre d�pass�e que par une volont� de changement, car il est impossible d�exprimer un mal-�tre sans accompagner cette lamentation d�une conscience du n�cessaire bouleversement dans laquelle est puis�e la volont� de changement. Naturellement, il convient de souligner que tout refus est affirmation ; refuser une situation, c�est affirmer l�urgence de construire ce qui en est l�oppos� et de mettre en �uvre les moyens politiques � relevant du politique � permettant de se d�faire de cette lamentation permanente. Ce sont, �videmment, les acteurs du jeu politique qu�il convient d�interroger sur ce point, puisque, en l�absence de soci�t� civile, seuls les participants � la politique � responsables de l�exercice du pouvoir et partis politiques dits d�opposition � se trouvent en charge de l��laboration de projets soci�taux r�put�s mobilisateurs d��nergies. Il est vrai que ce premier semestre 2012 a �t� illustr� par une agitation politique inhabituelle puisqu�on a vu la cr�ation d�un grand nombre de �fronts� � le �front� �tant le rassemblement d��nergies diverses pour l�objectif commun minimal � dont on a du mal � comprendre les fondements politiques et qui participent de cette d�liquescence du vocabulaire et du sens des mots ; et c�est jusqu�au FLN, qui n�a strictement plus rien de commun avec le FLN des ann�es 1950 dont on se demande bien de quoi il peut lib�rer la nation� sinon de lui-m�me. Sur ce point, on ne peut qu�attendre, avec impatience, qu�il soit restitu� au peuple, puisqu�il s�agit d�un patrimoine historique commun. On a vu �galement des organisations dites d�mocratiques, comme la CNCD (Coordination nationale pour le changement et la d�mocratie), refuser toute expression plurielle qui s��carte du �penser correct�, port� par d�tenteur local de la v�rit�, et mourir dans la plus grande des indiff�rences. On a vu aussi l�anath�me jet� sur des militants de partis dits d�opposition d�mocratique � certains incontestables puisqu�ayant occup�, pendant un certain temps, les fonctions de responsables de l�appareil � pour avoir exprim� une pens�e nuanc�e, diff�rente de celle du chef et appelant au d�bat. On a vu encore� Le politique aurait-il abdiqu� devant l�envahissement et la perte de sens de la politique ? C�est, pr�cis�ment, l�objectif poursuivi : mettre l�interrogation au c�ur de toute r�flexion et nul doute que cette d�marche est le d�but du long cheminement qui peut conduire � la r�habilitation du politique � si d�grad� aujourd�hui � c'est-�-dire de l�action publique au service de l�int�r�t g�n�ral, de la citoyennet�, du lien social.
M. B.



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