Culture : ENTRETIEN AVEC HAMMA MELIANI Le th��tre, l��migration et les jeux identitaires
Hamma Meliani est un
extraordinaire touche-�-tout : th��tre, cin�ma et �criture. Sa soif de
conna�tre fait de lui un homme de th��tre atypique mettant en relation
plusieurs arts et plusieurs disciplines, comprenant que le th��tre est
le lieu d�articulation de nombreux savoirs. Ce n�est pas sans raison
qu�il s�exerce au cin�ma, au th��tre et � l��criture litt�raire qu�il
enrichit s�rieusement par la convocation des sciences sociales. Il a,
d�ailleurs, un DESS en sciences politiques. Sa formation � l�Ecole d�art
dramatique de Bordj El Kiffan a pr�destin� Meliani dans une sorte de
processus le menant du cin�ma et la t�l�vision � une profonde r�flexion
sur les questions de l��migration. Apr�s avoir r�alis� des films et des
documentaires pour l�ex- RTA, il d�cide de quitter le pays pour
s�installer en France o� il n�arr�te pas de se former en s�inscrivant
dans des �coles de th��tre et de cin�ma ou � l�universit� avant d�ouvrir
en 1979- 80 sa propre �cole de formation, L�Aspic, dot�e d�un atelier
exp�rimental, structure sollicit�e en France par de nombreuses
municipalit�s et espaces culturels et th��traux. Auteur de plusieurs
textes dont certains ont �t� mis en sc�ne par ses soins en Alg�rie, dans
les th��tres r�gionaux d�Oum El Bouaghi (l�Amour � mort, 2011), de Tizi
Ouzou (Lamento pour Paris, 2011), au TNA (le R�ve du p�re, 2011) et �
Sa�da (Entre feu et cendres, 2012), Hamma Meliani, 62 ans, plus d�une
vingtaine de mises en sc�ne � son actif, passant du th��tre pour enfants
� la marionnette, en n�oubliant nullement le comique et le tragique, a
�t� celui qui a permis de faire conna�tre les merveilleux textes
dramatiques (La R�publique des ombres et le Temps des araign�es, cr��s
au th��tre des Amandiers � Paris) d�un po�te et journaliste, d�c�d� il y
a quelques ann�es, oubli� en Alg�rie, Ahmed Azegagh. Dans cet entretien,
il nous parle du th��tre en milieu immigr� qui a connu d�extraordinaires
�claircies � partir de la fin des ann�es 60 et du d�but des ann�es 70.
Il �voque le contexte sociopolitique, ses grandes tendances et ses
diverses manifestations.
Le Soir d�Alg�rie : Quand on parle de th��tre de l�immigration, on
pense spontan�ment aux ann�es 70.
Hamma Meliani : En effet, c��tait pendant les ann�es 70 que
l�expression th��trale de l�immigration avait commenc� de s�exprimer. La
France n��tait plus celle de l��re coloniale. L�Alg�rie devenue un pays
souverain agitait les mouvements de lib�ration du tiers monde, proposait
un nouvel ordre mondial et pr�parait la nationalisation des puits de
p�trole. Apr�s le traumatisme de la guerre d�Alg�rie, Mai 1968 avait
insuffl� un r�ve de justice et de libert� � la soci�t� fran�aise.
C��tait l��poque des slogans, pour n�en citer qu�un : �Fran�ais
immigr�s, m�me patron, m�me combat !� Avec comme credo la dialectique
marxiste, syndicats, partis de gauche, mao�stes, autonomes, et autres
groupuscules r�volutionnaires passaient au crible le comportement, la
mentalit� et la morale �jud�o-chr�tienne�. La France bouillonnait ! De
partout surgissaient des groupes de th��tre, des cin�astes, des peintres
; des fanzines circulaient entre les mains des militants. Des radios
pirates inondaient les ondes. On d�battait de la lutte des classes, du
racisme, du f�minisme, de la situation scandaleuse des immigr�s. Un vent
de fraternit� soufflait alors sur la mauvaise conscience des racistes,
des machistes, des militaristes et des patrons. Toute l�Europe
bouillonnait en ce temps-l� entre racistes et antiracistes. De m�me le
mouvement f�ministe s�imposait lui aussi en force politique. Le rapport
des Fran�ais avec les Alg�riens avait chang� en partie.
C�est durant cette p�riode justement que vous avez
entam� votre exp�rience dans cet univers.
J�arrivais � Paris en provenance d�Alg�rie d�o� je vivais un autre
bouillonnement entre r�volution agraire, gestion socialiste des
entreprises et volontariat estudiantin. Je venais juste de r�aliser
Gen�se, un long m�trage sur les luttes sociales en Alg�rie, produit
gr�ce aux services cin�ma de l�Arm�e nationale populaire, l� o� une
ann�e auparavant j�avais accompli mon service militaire. Ce film, une
fiction underground, fut tourn� en six jours avec l�aimable et b�n�vole
participation de mes camarades de l�Ecole de Bordj El Kiffan : Zahir
Bouzerar, Sa�d Benselma, Boualem Benani, Fethia, Makhlouf Boukrouh,
Ahmed Mazouz et tant d�autres avaient particip� � cette aventure qui m�a
valu de quitter le pays pour l��migration. Une fois en France,
j�oscillais entre la r�alisation cin�matographique et la pratique
th��trale mais l�agitation sociale et l�urgence d�une action artistique
pour repr�senter et d�fendre la communaut� maghr�bine contre tous les
exc�s racistes, au travail et dans la rue, nous avaient pouss�s � r�agir
; chanteurs, musiciens, com�diens, tous amateurs mais bons artistes. Et
c�est ainsi qu�on a commenc� � parler de th��tre de l�immigration.
Quelles sont les conditions sociologiques, politiques et
artistiques qui ont permis l��mergence de ce th��tre ?
Giscard �tait au pouvoir, la droite et les forces de police
n��taient pas tendres avec les immigr�s et encore moins avec les
�tudiants �trangers non boursiers. On jouait au chat et � la souris en
prenant tous les risques. Avide de tout savoir et de tout faire, je
participais aux �v�nements artistiques qui, le plus souvent, se
passaient dans les centres Sonacotra, devant des piquets de gr�vistes,
dans les cit�s universitaires, les associations antiracistes ou
culturelles. Tous ces �v�nements artistiques portaient un �lan de
solidarit� et de soutien aux travailleurs immigr�s. La soci�t� fran�aise
�tait divis�e. Il y avait les racistes, les patrons esclavagistes et
ceux qui luttaient pour un monde meilleur, tout comme aujourd�hui
d�ailleurs. La guerre du Vi�tnam faisait rage. Le Chili �tait en
�bullition. Le flux migratoire des pays du Sud apportait de nouveaux
migrants � la m�tropole : �tudiants, travailleurs maghr�bins, africains,
portugais, r�fugi�s politiques chiliens et asiatiques, naufrag�s des
boat people. Un mouvement anti-imp�rialiste arm� naissait alors pour
mener une r�volution mondiale et tordre le coup � la finance
internationale, au patronat, aux militaristes, aux marchands d�armes,
aux colons isra�liens qui martyrisaient le peuple palestinien, aux
Am�ricains qui persistaient dans leur action de d�stabilisation des
Etats progressistes en Am�rique du Sud et ailleurs. En Allemagne d�abord
apr�s l�assassinat de Rudy le Rouge, la Fraction arm�e rouge allemande
faisait parler d�elle, puis en Italie, les Brigades arm�es rouges
enlevaient Aldo Moro, en France, Action directe ciblait des officiers et
des marchands d�armes, la R�sistance palestinienne, de son c�t�, aidait
l�IRA et ces mouvements dans leur formation paramilitaire. L�Arm�e rouge
japonaise �touff�e dans l��uf avait particip� � ces actions mondiales
contre l�imp�rialisme jusqu�� l�arrestation du jeune Furaya � l�a�roport
de Lod, en Isra�l, alors qu�il d�tournait un avion. Je ne vais pas citer
tous les groupuscules r�volutionnaires d�Espagne, d�Am�rique et d�Asie
qui secouaient les peuples du monde. Carlos avait d�tourn� un avion vers
Alger. N�anmoins, c��tait dans un contexte de suspicion et de crainte
que vivait l��migration alg�rienne. C��tait l��poque o� la police
pouvait contr�ler votre identit� n�importe o� et n�importe quand. Le
soir, les caf�s alg�riens, qui �taient si nombreux � Paris,
connaissaient bien le sens de �l�op�ration coup-de-poing�, les flics y
faisaient des rafles et tabassaient � coups de poing les clients,
g�n�ralement des Maghr�bins. Dans les cit�s de banlieue, les fen�tres
�taient devenues assassines ; on tirait sournoisement sur les m�mes aux
cheveux fris�s qui jouaient dehors. Des assassinats ont �t� commis un
peu partout dans l�Hexagone. De scandaleuses bavures polici�res se
r�p�taient. C��tait pendant cette p�riode � la fois r�volutionnaire et
r�pressive que le premier acte du th��tre de l�immigration se faisait
voir et entendre ; d�non�ant l�exploitation au travail, le racisme
assassin et la r�pression polici�re. Ces th�mes �taient jou�s d�abord
sous forme d�agit-prop puis la dramaturgie a �volu� � travers
l�improvisation et l��criture de sketchs, de courtes sc�nes, refl�tant
l��v�nement du moment.
Comment avez-vous d�couvert ce th��tre ? Dans quelles
conditions aviez-vous commenc� cette exp�rience ?
Le Festival de th��tre des immigr�s �tait le r�v�lateur. Il avait
jou� son r�le dans la communication devant un public nombreux et vari�.
Il a fait conna�tre des gens et permit des rencontres et des
retrouvailles entre artistes maghr�bins et fran�ais. Le festival ne
signifiait pas pour autant que le th��tre des immigr�s fonctionnait avec
des statuts, ses artistes, sa tr�sorerie et sa valeur marchande. C��tait
l�expression dramatique d�une identit� qui se manifestait le plus
souvent dans des lieux alternatifs. Le th��tre des immigr�s n�avait pas
de sanctuaire ni d�outils de travail, ni sc�ne ni coulisses. Il
s�exprimait partout o� c�est possible m�me dans la rue, parfois dr�le,
parfois �mouvant, d�non�ant les travers d�une soci�t� injuste. Tout
comme d�ailleurs le faisait chaque jour le regrett� Aguyguy Mouna place
de la Sorbonne. Debout sur un cageot, des colifichets et des slogans
coll�s sur sa veste comme des m�dailles et des labels, il haranguait la
foule avec ses discours politiques acerbes et plaisants. C��tait un
mod�le de th��tre de contestation comme le pratiquait en Italie mais
professionnellement Dario Fo et sa compagne Franca Rame devant des
publics plus importants et dans des lieux appropri�s � chaque
th�matique. Le discours th��tral de Dario Fo nous s�duisait, son g�nie
en tant que com�dien, auteur, metteur en sc�ne �tait remarquable.
Entre-temps, l�open th��tre et le living th��tre se manifestaient avec
le mouvement Hippie aux USA contre la guerre du Vi�tnam et pr�sentaient
leurs performances un peu partout dans le monde. Parall�lement aux
multiples expressions th��trales immigr�es qui s�exprimaient en
Allemagne, en Angleterre, au Luxembourg, en Belgique et ailleurs, des
tentatives d�expression dramatique maghr�bine amateurs se jouaient en
France avec la cr�ation de spectacles autour de la th�matique des
violences sociales, du contr�le social et du soutien � la r�sistance
palestinienne. La troupe Al-Assifa a fait un travail th��tral
int�ressant en ces moments-l�. Install�e � Aubervilliers, la troupe la
Kahina, sous la f�rule de l�audacieuse Saliha Amara, situait bien le
cadre du th��tre des immigr�s avec la cr�ation de spectacles plus
profonds et d�une dramaturgie digne de professionnalisme malgr� le
manque de moyens. Il fallait attendre 1981 avec l�av�nement des
socialistes au gouvernement pour que ce travail soit reconnu. Le
Carrefour de la diff�rence de Diden Oumer avait b�n�fici� d�une
subvention et a cr�� un spectacle. Nadia Samir, Mazouz Ahmed et Kada
Benchiha avaient alors courageusement rassembl� autour d�eux des
com�diens et des artistes immigr�s professionnels et avaient mis en
sc�ne avec l�aide de l�Etat leur spectacle Abou Torouf. Ce spectacle a
b�n�fici� d�une tourn�e en France. En ce temps, j�oscillais entre les
uns et les autres et entre la r�alisation cin�matographique et le
th��tre. Mais une opportunit� m��tait offerte pour diriger l�atelier
exp�rimental de th��tre de la maison des Amandiers de Paris.
J�enseignais tout ce que j�avais appris � l��cole de Bordj El Kiffan,
j�exp�rimentais cet acquis avec toutes les d�couvertes venant du monde
entier concernant l��criture dramatique, la voix, le corps,
l�interpr�tation, la mise en sc�ne, l�art de la lumi�re et du son. J�y
m�lais �galement tout ce qui m�avait marqu� lors de mes voyages, de mes
exp�riences et de mes p�r�grinations dans l�agitation artistique de
l��poque. Cependant, j�animais des activit�s th��trales et de
photographies pour les enfants immigr�s de M�nilmontant avec
l�association d�animation et de spectacles populaires interculturels
dirig�e par le po�te alg�rien Ahmed Azeggagh. C�est d�ailleurs sous son
impulsion que j�ai fond� ma propre compagnie de th��tre :
l�Aspic-Th��tre. Et c�est aupr�s de lui que j�ai saisi le sens et la
noblesse de l�action artistique et de l��ducation populaire.
L�Aspic-Th��tre �tait pr�sid� par Jean-Marc Delbreil, un compagnon de
longue date dans les luttes de l��migration. Nous �tions � peine une
poign�e de mordus, alg�riens, fran�ais, espagnols, portugais, marocains,
tunisiens, italiens, tous agit�s pour un th��tre certes, militant mais
qui avait une valeur universelle. Se sont joints � cette exp�rience des
artistes-peintres comme Boudjema� Mostefaoui qui �tait le d�corateur de
nos spectacles. C�est ainsi que furent cr��es au th��tre Pr�sent et � la
Maison des amandiers de Paris plusieurs �uvres dont Derni�re prosopop�e,
un texte magnifique de Khaled Saleheddine qui traitait de la r�pression
au Maroc, Le Temps des araign�es d�Ahmed Azeggagh, une pi�ce po�tique
qui abordait le mariage mixte o� amour et fureur s�exprimaient sans
complaisance. Comme une souris dans la plage, le premier spectacle de
Fellag, un montage d�apr�s un texte publi� sur l�enfance et les
m�saventures d�un immigr� alg�rien. J�ai mont� cinq pi�ces de Dario Fo,
de Kateb Yacine, j�ai mis en sc�ne Les Anc�tres redoublent de f�rocit�.
Avant de quitter la Maison des amandiers pour la Fondation Artaud,
j�avais adapt� et mont� un conte maghr�bin, Loundja, pour le jeune
public des �coles, des lyc�es et coll�ges. Par ailleurs, j�animais des
activit�s avec d�autres associations culturelles de l��migration. Etant
l�un des fondateurs de l�ACB (Association de culture berb�re), je
m�occupais de la revue Tidukla, dirigeais l�atelier th��tre et formais
les com�diens qui allaient jouer en tamazigh des montages po�tiques, des
sc�nes de la vie dans l��migration et des extraits de pi�ces
universelles. C��tait pendant cet autre bouillonnement pour la
reconnaissance de la langue et de la culture berb�res que des petits
spectacles furent cr��s et diffus�s. Lors d�un �v�nement officiel
organis� dans le cadre de la politique de la ville pour la d�couverte
des expressions artistiques de l��migration, j�ai pr�sent� Cit� coinc�e,
un spectacle sur la condition des jeunes �migr�s. Il fut mont� avec
l�Aspic- Th��tre et l�ACB et pr�sent� � Beaubourg avant le concert de
Karim Kacel, un artiste lumineux c�l�bre par sa chanson Banlieue.
Entretemps, le regrett� Mohia m�avait confi� la mise en sc�ne de sa
pi�ce Tachbalit en tamazigh. Mont�e avec l�atelier th��tre de l�ACB avec
un esprit de pionnier dans l�expression dramatique amazigh, diffus�e un
peu partout et remarquablement interpr�t�e par Sa�d Fenouch, Djafar
Chibani, Youyou, Sa�d Hammach, Nafa� Moualek et bien d�autres, cette
pi�ce �tait le premier spectacle amazigh, exigeant et professionnel.
Voil� comment avait commenc� mon exp�rience th��trale dans l��migration
en France.
Quel a �t� l�apport de la tourn�e de Kateb Yacine avec
sa pi�ce Mohamed prend ta valise ?
Mohamed prend ta valise !a �t� une bouff�e de bonheur et de prise de
conscience collective. C��tait vraiment le miroir qui nous jetait � la
figure le drame de l�immigration alg�rienne que Yacine a si bien connu.
Et puis les ingr�dients du spectacle �taient captivants : chant,
musique, narration, dialogues, sketches et int�gration du public �
l�action nous plongeaient dans la r�alit� de ces personnages auxquels on
s�identifiait. L�apport de cette pi�ce venue d�Alg�rie jou�e en
franco-alg�rien et de sa diffusion en France a marqu� les esprits par sa
simplicit� et par sa dramaturgie propre au g�nie cr�ateur de Kateb
Yacine. Enfin, on constatait qu�il existait un public sensible � la
situation des immigr�s et le public des �migr�s �tait aussi nombreux que
les Fran�ais. Pour tous ceux qui ont vu le spectacle au th��tre des
Bouffes du Nord, c��tait vraiment un moment de communion v�cu entre les
artistes et le public. Le th��tre de Kateb Yacine nous a impuls� un
nouveau souffle pour notre cr�ativit�. Son influence irradiait sur nous
tous. A moi, il m�a apport� la rigueur dans la dramaturgie, dans le
traitement th��tral judicieux, le sens de la po�sie dans l��criture
dramatique. L�apport de Mohamed prend ta valise ! a �t� consid�rable
aupr�s du th��tre de l�immigration.
Quelle fonction avait ce th��tre ? Quelle place
occupait-il dans le contexte th��tral, artistique, sociologique et
politique de l��poque ? Les troupes faisaient-elles un travail de
sensibilisation politique et sociale en direction des populations
immigr�es ?
La fonction de ce th��tre de l�immigration comme celle de toute
expression artistique �migr�e est d�essence sociale. Cette fonction
sociale ne se limitait pas seulement � la cr�ation th��trale, elle
participait � l�accompagnement d�activit�s d��ducation populaire aupr�s
des �migr�s et de leurs enfants. Un peu partout, des associations
culturelles �taient, cr��es autour d�ateliers de th��tre. Certaines
subventionn�es, d�autres non. Et puis, les troupes constitu�es autour de
la probl�matique de l�immigration n��taient pas des troupes
professionnelles et n�occupaient pas de place consacr�e dans le th��tre
fran�ais. La seule exp�rience de pratique artistique digne d�une
v�ritable expression th��trale aupr�s des jeunes �migr�s a �t� men�e �
Nanterre par Raoul Sangla, metteur en sc�ne et r�alisateur. Devenu
directeur du Th��tre des amandiers, Raoul Sangla avait ouvert grandes
les portes du th��tre pour la population immigr�e. Des jeunes venaient
des cit�s des Hauts-de-Seine pratiquer le th��tre, la photo et le
cin�ma. Avant de mettre fin � cette exp�rience qui avait permis de
former une brochette d�artistes des banlieues et devant les brillants
r�sultats de leurs travaux, Raoul Sangla fut pri� de quitter la
direction du th��tre, au regret de tous.
Les troupes �taient-elles instrument�es par certains
groupes politiques ? S�appuient- elles sur des soutiens militants ?
Des troupes instrument�es, je n�en connais pas. Je ne connais pas
non plus de troupes de th��tre de l��migration qui s�appuyaient sur des
soutiens d�organisations militantes. Mais il est vrai qu�il y avait une
�coute, parfois un soutien prodigu� par des municipalit�s de gauche,
essentiellement communistes. Le FAS (Fonds d�action sociale, sorte de
fonds pr�lev� sur le salaire des travailleurs �migr�s) encourageait ces
initiatives, la politique de la ville aussi avec des plans comme �Et�
chaud� pour pr�venir les �meutes des jeunes banlieusards et l�incendie
des v�hicules.
L�acte th��tral faisait-il partie d�un projet politique
et militant ?
Il n�y avait pas beaucoup de troupes de th��tre immigr�. Nous �tions
une poign�e, �parpill�s un peu partout. Nous �tions surveill�s,
infiltr�s par les RG et autres services. L�acte th��tral ne faisait pas
partie d�un projet politique ou militant concert�. Chaque troupe
exprimait le sien par sa d�marche artistique et dans ses �uvres. Al
Assifa �tait r�solument militante avec une position proclam�e
anti-imp�rialiste, antisioniste. Son acte politique �tait clair : la
d�fense de l�ouvrier �migr� et du syndicat, tout comme le travail
r�alis� par Mustapha Belad et Baba Belka�em Labhairi � Nanterre. La
Kahina, qui �tait install� � Aubervilliers o� se trouvait la plus
importante concentration immigr�e, travaillait sur le long terme avec
des activit�s artistiques et exprimait son acte th��tral avec des pi�ces
coh�rentes touchant l�histoire de l��migration, le mieux-vivre, le
racisme, l�exclusion. N�anmoins, chaque troupe avait ses pr�occupations
pour la survie, pour la diffusion de ses spectacles et pour trouver les
moyens pour en r�aliser d�autres. Ma compagnie l�Aspic-Th��tre avait une
d�marche professionnelle et militante et son acte po�tique. C��tait
aussi une �cole de th��tre d�o� se sont form�s des jeunes qui avaient
int�gr� d�autres troupes ou cr�� les leurs. Il est vrai que depuis les
chantiers culturels que je r�alisais en banlieue et le fameux spectacle
Virage violent mont� � Nanterre en 1988 et � Champigny-sur- Marne en
1990 devant 4 000 spectateurs, mon �criture dramatique et ma dramaturgie
se sont affirm�es dans mon travail de cr�ation.
A. C.
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