Voxpopuli : CHRONIQUE DE B�JAIA
Ce que furent nos r�ves


Il m�est arriv� d�engager des discussions � b�tons rompus avec des jeunes universitaires qu�ils soient encore en formation ou dipl�m�s. Les sujets �voqu�s ont surtout trait � ce d�sir de partir, n�importe o�, quitter ce pays.
Comme je fais partie de la g�n�ration de cadres postind�pendance (ing�nieur juin 1974), j�ai �t� mis en difficult�, la plupart du temps. Le motif : accus� de responsable de la catastrophe parce que nous n�avons pas pens� � eux. Nous n�aurions rien fait. Une fois autour d�un caf�, � l�occasion de la derni�re campagne �lectorale, j�ai voulu comprendre les raisons de leur passivit� politique, s�agissant d��lections de repr�sentant du peuple au pouvoir l�gislatif. Comme r�ponse, je re�us des sourires narquois et moqueurs. Je suis, � leurs yeux, un ringard. J�ai demand� un quart d�heure d�attention et un silence �religieux� pour expliquer et je me mis � leur d�crire ce que fut l�Alg�rie, ce que furent nos r�ves et tout ce qui a pu �tre fait. Avant de faire cet expos�, j�ai d�abord �voqu� le climat des �tudes, le statut de l��tudiant, et surtout la consid�ration des citoyens et m�me des autorit�s � notre �gard. Pour l�illustrer, j�ai racont� un �v�nement qui les a �tonn�s : nous �tions deux �tudiants reconnaissables � nos cartables et au rouleau de papier � dessin Canson sous les bras et nous faisions la cha�ne au cin�ma Triomphe pour voir le film Madame X. Un policier nous a sortis de la cha�ne en nous expliquant que les �tudiants ne doivent pas faire la cha�ne. Il nous acheta deux billets demi-tarif et nous fit rentrer dans la salle o� nous attend�mes le d�but de la projection en lisant, je me rappelle, le roman Les raisins de la col�re que je venais d�acheter � 5 DA, dans un kiosque � tabac, place des Martyrs. Je leur pr�cisai que m�me les priv�s �taient de la mise car je me rappellerai ce restaurant de la rue Tanger tenu par un monsieur que nous surnommions Maurice, o� l�on mangeait sur des nappes blanches. D�s que Maurice remarque le cartable, il refuse d�encaisser la totalit� de la facture : le tarif �tudiant �tait pratiqu� chez lui de sa propre volont�. Un autre d�tail : j�ai achet� le trait� de calcul int�gral et diff�rentiel en deux tomes (Piskounov), un classique des �ditions MIR (Moscou) pour 5 DA. Ma bourse �tait de 290 DA net, une fois r�gl�s les frais de restauration et de chambre. Quand j�ai abord� l�aspect r�alisations industrielles en particulier et �conomiques en g�n�ral, ils furent � la fois subjugu�s et r�volt�s : o� est parti tout cela ? Ferm�es ou abandonn�es, leur dis-je. Et c�est alors que ces jeunes me r�torqu�rent qu�ils avaient raison de m�accuser, de nous accuser, d�accuser cette g�n�ration, qui aujourd�hui, rase les murs, comme cet homme d�cri dans le billet de Sa�d Mekbel. A ceux qui sont comme moi et qui se sentent perdus, je vais proposer une id�e : r�unissons-nous pour r�clamer le statut d�une esp�ce en voie de disparition � prot�ger et � mettre dans une maison de retraite que les jeunes visiteront avec un guide de cette nouvelle g�n�ration qui leur expliquera que nous sommes l�exemple-type de r�veurs na�fs, � la limite de la niaiserie, qui croyaient que le bonheur n�est pas dans l�argent mais se nourrit d�espoir partag�.
Maouche Arezki

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