Culture : ENTRETIEN AVEC L’ÉCRIVAINE DJEMILA BENHABIB
L’Occident complice de l’islamisme


Djemila Benhabib a été l’invitée samedi du café littéraire de Béjaïa. La lauréate du Prix international de la laïcité 2012 est en Algérie pour présenter ses deux ouvrages L'automne des femmes arabes, Chroniques du Caire et de Tunis et Les soldats d'Allah à l'assaut de l'Occident, parus en Algérie tous les deux aux éditions Koukou. Aujourd’hui installée au Canada, la candidate du Parti québécois dans la circonscription Trois-Rivières, milite plus que jamais pour une société démocratique laïque ainsi que pour la liberté et l'égalité des femmes et des hommes.
Le Soir d’Algérie : De quoi parle en général votre nouveau essai Les soldats d'Allah à l'assaut de l'Occident?
Djemila Benhabib :
Je retrace la création de la confrérie des Frères musulmans et son développement à travers une perspective historique et des mutations qu'a connues la mouvance islamiste ces trente dernières années, notamment en se réappropriant le discours des droits de la personne, du moins en Occident, pour s’imposer comme une alternative crédible et pouvoir y implanter autant d’étendards visibles que camouflés. La progression de cette mouvance à l’échelle internationale est aujourd’hui un fait avéré et n’eurent été les complicités de l’Occident à son égard, son ascension aurait été différente. Ce que je veux dire par-là, c’est que l’Islam politique n’est pas le produit d’une religion ou d’une culture, mais plutôt le résultat d’une conjoncture politique particulière. En ce sens, est le rejeton de l’histoire, façonné par des conditions politiques, économiques, sociales et culturelles qu’il faut connaître, comprendre et analyser. C’est l’histoire de ces complicités et de ces alliances contre nature et totalement inattendues avec l’Occident que je raconte, aussi bien à l’échelle des Etats, c'est-à-dire à un niveau institutionnel que celui des partis politiques, des mouvements féministes ou encore des courants d’opinion. Ce n’est tout de même pas un hasard si les mouvements démocratiques dans les pays arabes et musulmans ont été contrariés dans leur progression.
Est-il une suite de Ma vie à contre Coran?
En un sens oui, mais pas vraiment, puisque ce sont des livres tout à fait indépendants. Comment dire ? On peut réfléchir sur la question de l’Islam politique travers des angles différents. Disons que dans les Soldats d’Allah à l’assaut de l’Occident, il est plutôt question de mettre en lumière les distorsions, les incohérences et les contradictions de l’Occident face à ce courant obscurantiste et totalitaire qui est celui de l’islamisme, alors que dans mon premier livre, l’accent était mis sur les pays arabes et musulmans. Bien entendu, les deux regards se complètent.
Vous avez été cette semaine l'invitée du Café littéraire de Béjaïa. Comment les gens ontils accueilli votre livre ?
J’ai été invitée par ce groupe extrêmement dynamique et combatif que je remercie sincèrement et qui s’inscrit dans une démarche que j’appuie, c’est-àdire celle de mettre à plat tous les tabous et d’en débattre d’une façon intelligente et respectueuse de l’avis de chacun. Alors, vous imaginez bien que j’étais vraiment aux anges de voir une salle mixte, archicomble, réceptive à mon message et ouverte à l’échange. Nous avons eu trois heures de discussion fort intéressante sur l’état de notre société, les derniers événements en cours en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, la place des femmes, la sexualité, la virginité, la laïcité, l’offre des démocrates et des laïques. Bref, aucun sujet «sensible» n’a été épargné. C’est dire le degré de maturité de ce public de Bougie qui m’a vraiment séduite d’autant plus que ce café littéraire a failli ne pas se tenir, car au dernier moment, les autorités ont retiré la salle qui devait accueillir cet événement. Alors, le collectif a décidé non seulement de dénoncer cette volte-face et plus encore de trouver une alternative en occupant un amphithéâtre au sein même de la cité universitaire. Comme quoi, la liberté s’arrache. De ce point de vue, je n’ai rien à apprendre à ces jeunes gens engagés. Je leur tire tout simplement chapeau !
Quelles impressions cela vous fait-il de rencontrer le lectorat algérien ?
Une impression de grande satisfaction, car c’est aussi pour ce public que j’écris. Je reçois d’ailleurs énormément de messages venus d’Algérie. Cette aventure n’aurait pas été possible sans l’implication de mon éditeur algérien Koukou et de la synergie créée avec mes deux autres éditeurs VLB au Québec et H&O en France. Je suis donc une auteure vraiment comblée car mes trois maisons d’édition ont vraiment à cœur de pouvoir faire connaître mes livres en Algérie et y travaillent sans cesse, toujours dans la bonne humeur et l’amitié renouvelée dans le seul intérêt du public algérien. Il est aussi important pour moi de le rencontrer, de l’écouter et de m’en imprégner. Autant dire que dans le contexte actuel, c’est très difficile, car pouvoir algérien ne voit pas d’un bon œil qu’une voix comme mienne s’exprime. Tout compte fait, rien ni personne ne peut contrarier la rencontre de mes livres avec ce public. Les idées ne connaissent guère les frontières et se contrefichent des tyrans.
Des changements depuis votre dernière visite en Algérie ?
Je ne suis là que depuis trois jours, et vous comprendrez que ne peux en si peu de temps mesurer les changements survenus. Quoi que concernant les hommes politiques qui dirigent ce pays, je constate que ce sont toujours les mêmes noms qui reviennent depuis que je suis toute petite. Pas de renouveau de ce côté-là ! On peut carrément parler de non- changement. Non ? Quel dommage !
Un autre livre en projet ?
Oui, je travaille sur d’autres projets en ce moment. J’ai aussi volonté de faire connaître en France de jeunes talents de ce côté-ci de la Méditerranée en qualité d’éditrice. Je suis, en effet, à la tête de la nouvelle collection féministe nouvellement lancée par mon éditeur français H&O. Alors, avis à tous les intéressés de ce coin du monde. Nous souhaitons vous lire et vous accompagner dans cette merveilleuse aventure qu’est l’accouchement d’un livre ! Nous publierons aussi bien de fiction, que la poésie, du théâtre que de l’essai.
Entretien réalisé par Kader B.





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