Chronique du jour : Kiosque arabe
Le Caire, c'est plutôt mieux que Paris
Par Ahmed Halli
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Lorsqu'ils
ne se sentent pas assez nombreux, donc assez forts, ils commencent par
la persuasion : ils seraient infiniment désolés de vous voir persister
dans l'erreur et l'errance (ils ne parlent jamais d'impiété ou de
mécréance, c'est pour plus tard). Ils aiment tellement le frère en vous
qu'ils aimeraient vous avoir (avec eux) parmi les élus du paradis.
Pendant qu'ils vous «courtisent» ainsi, vos enfants apprennent à être
comme eux sur leurs bancs d'écolier, s'initient à la façon la plus
adéquate de porter des œillères(1). Une fois qu'ils pensent vous avoir
acquis à leurs vues, ou vous avoir réduits au mutisme du complexé, ils
se montrent enfin sous leur vrai visage : arrogants, agressifs,
tyranniques. Ceux-ci sont parmi nous, en terre d'Islam, du nouvel Islam
importé d'Arabie saoudite, un Islam qui résiste même aux turpitudes
morales et politiques de la famille wahhabite. Un «Islam» que décrit si
bien l'Égyptien Ala Aswani : «Le régime saoudien a dépensé des milliards
de dollars afin de propager la conception wahhabite (fondamentaliste) de
l’Islam, une conception qui mène immanquablement à pratiquer une
religion de pure façade (ceux qui le contestent devraient regarder
l’énorme hiatus entre le discours et la réalité en Arabie saoudite). Sur
les chaînes satellitaires saoudiennes, des dizaines d’hommes de religion
parlent vingt-quatre heures sur vingt-quatre de questions religieuses,
mais jamais du droit des citoyens à élire leurs gouvernants, ni des lois
d’exception, ni de la torture et des arrestations arbitraires. Leur
pensée ne s’attarde jamais aux questions de justice et de liberté. En
revanche, ils se vantent d’avoir réussi à mettre le voile à une femme.
Comme si Dieu avait révélé l’Islam dans le seul but de couvrir les
cheveux des femmes et non d’établir la justice, la liberté et
l’égalité.»
Ils sont pires encore, nos islamistes d'exportation, ceux qui vivent en
paix, dans la maison de la guerre, «Dar-Al-Harb», dans cette Europe
chrétienne qui les accueille plutôt bien, leur construit même des
mosquées parfois(2). Ceux-là ne se contentent pas de vouloir vivre chez
les autres, comme s'ils étaient chez eux, ils veulent aussi imposer leur
volonté à leurs pays d'origine. Sachant que dans cette Europe
démocratique, respectueuse des droits humains, ils ne risquent pas
d'être tués par balles ou sous la torture, ils se «lâchent», comme
dirait le ministre français de l'Intérieur. Ragaillardis par le prompt
renfort d'une impunité garantie, ils se livrent à toutes les vilenies,
joignant parfois l'agression physique à l'injure. Mercredi dernier, ils
se sont encore mobilisés pour un nouveau forfait, en faisant de
l'Institut du monde arabe à Paris, une annexe de la mosquée Rabéa Al-Adawya
du Caire. Quelques dizaines de ces excités se sont mobilisés contre un
seul homme : et cet homme n'est pas accusé de coloniser la Palestine ou
convaincu de crimes contre l'humanité. Cet homme, c'est tout simplement
l'écrivain égyptien, Ala Aswani, invité la semaine dernière par
l'Institut du monde arabe à présenter son dernier roman Nadi Essyarat
(L'Automobile Club). Quelques minutes à peine après le début de son
intervention, des slogans hostiles à l'armée égyptienne et à son chef,
Abdelfattah Sissi, ont commencé à fuser des premiers rangs.
Des insultes personnelles ont visé le plus grand romancier égyptien et
arabe du moment, lui reprochant notamment son soutien à l'intervention
de l'armée pour destituer Morsi. Puis, comme répondant à un mot de
passe, quelques dizaines de spectateurs ont retiré leurs manteaux ou
vêtements apparents pour exhiber des tee-shirts frappés de la main à
quatre doigts (symbole de campagne des Frères musulmans), raconte
l'écrivain. Non contents de piétiner les beaux fauteuils de
l'amphithéâtre et de molester les autres spectateurs, ces nervis se sont
rués sur la tribune. Ils ont saccagé tables et micros avant de s'en
prendre à la personne de l'écrivain, qui aurait été ignoblement lynché
si des fonctionnaires de l'institut n'étaient pas intervenus pour lui
faire quitter les lieux. Dans la soirée, les auteurs de cette tentative
d'homicide se sont vantés de leur pitoyable équipée en diffusant des
vidéos de leur «victoire». Sur les sites islamistes, on a donc célébré
l'exploit de trente individus bêtes et méchants s'attaquant à un seul
homme, qui plus est, un écrivain de renommée internationale qui fait
honneur à son pays et à sa langue.
En fait, si Ala Aswani a exprimé son soutien à l'action de l'armée,
c'est qu'il a estimé en son âme et conscience que Morsi et les Frères
musulmans étaient la pire alternative. Beaucoup ont oublié qu'il a été
l'un des acteurs essentiels de la révolution du 25 janvier après avoir
été un adversaire résolu de Moubarak. Par la suite, il n'a pas ménagé
ses critiques contre l'armée qu'il a accusée notamment de réprimer les
libertés et de collusion avec les dirigeants de la confrérie islamiste.
C'est surtout cette hostilité aux Frères musulmans, qu'il justifie
arguments à l'appui, qui lui vaut un tel acharnement. L'écrivain
égyptien Oussama Al-Ghazali Harb explique cette haine par la place
qu'occupe Ala Aswani dans la culture égyptienne : «Le problème d'Aswani
avec les Frères, réside dans le fait qu'il symbolise tout ce qui leur
est opposé et qui révèle leur vraie nature, ainsi que leur stérilité et
leur faillite. Aswani est un intellectuel de haute lignée, engagé au
service de son pays et proche de ses préoccupations, comme en témoigne
sa participation active à la révolution du 25 janvier. Mais les Frères
ont toujours été contre la culture et contre les intellectuels. Et si
quelqu'un connaît, parmi les Frères musulmans, un seul intellectuel de
grande stature, qu'il nous le montre.»
Apparemment très marqué par cet incident, Ala Aswani a dû finir par se
demander s'il n'était pas plus en sécurité en Égypte qu'en France, et
s'il n'était pas préférable de vivre au Caire qu'à Paris. Quant à ses
assaillants et aux images d'intolérance et de haine, qu'ils ont
montrées, ils auront apporté, une fois de plus, une contribution de
taille à la montée de l'islamophobie et du racisme antiarabe.
A. H.
(1) J'ai été agréablement surpris par la dernière position des
«Ulémas» algériens qui ont qualifié de catastrophique la situation de
l'école algérienne. Il faut un début à tout.
(2) Samedi dernier, on a inauguré en grande pompe la basilique
Saint-Augustin à Annaba, en hommage au grand théologien et philosophe
qui fait honneur à son pays, l'Algérie. On devrait penser plus souvent à
lui rendre la pareille autrement qu'en donnant son nom à des fromages ou
à des vins, comme s'il s'agissait d'un paysan auvergnat.
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