Reportage : VIRÉE SUR LE MASSIF DE SIDI-ALI-BOUNAB (BOUMERDÈS)
Une montagne lavée de l’affront des terroristes
«Nous avions juré que Sidi-Ali-Bounab ne sera jamais
le Tora Bora en Algérie pour Oussama Ben Laden», lâche Chabane, du haut
de ses 22 ans. Chabane nous a fait cette déclaration à Ighil Iwariachen
(Ouriacha est le nom arabisé) sur le sommet (900 mètres) du massif de
Sidi-Ali-Bounab.
Un patriote rencontré, plus bas sur le versant sud du mont, au centre du
village de Iwariachen a, quant à lui, «suspendu le fusil à la maison»
pour s’occuper de l’extension de son habitation «mais nous (les
Patriotes de la localité, ndlr) sommes prêts, à tout monument, si
l’Armée nous fait appel pour participer aux ratissages».
Visiblement les villageois de Iwariachen, Aït Slimane et Ihamaden,
partagent avec les officiers et les hommes de troupes de l’Armée
nationale populaire (ANP ) le sentiment de victoire sur les islamistes
armés.
L’affront fait à leur montagne, qui a abrité les véritables résistants
contre l’infamie de l’injustice coloniale, sous la houlette de Krim
Belkacem ; comme Amar Amsah qui a combattu cette injustice pour mourir
en martyr sur le flanc de Sidi-Ali-Bounab, bien avant le 1er Novembre
1954, est désormais lavé. D’ailleurs, Laaziv aux 454 Chahids
pouvait-elle accepter cet affront ?
Depuis l’année 2000, nous sommes montés à plusieurs reprises à Sidi-Ali-Bounab
dans la partie de la montagne située sur le territoire de la wilaya de
Boumerdès, mais à chaque fois nous le faisions discrètement, la peur au
ventre.
Ce 8 mars 2014, 4 jours après la fin de l’opération, sûrement l’ultime
grande opération en ces lieux, qui a vu les forces de l’armée décimer un
groupe armé de 7 éléments d’Aqmi dont un émir, originaire de la commune
de Timezrit, limitrophe de celle de Laaziv, lequel est classé, disent
nos sources, 22e dans la hiérarchie internationale de ce mouvement
insurrectionnel, nous sommes remontés sans avoir cette peur.
En compagnie de Boualem Chemala, maire (FFS) de Laaziv,
qu’accompagnaient Kamel Oubraham, (FFS), Boualem Khelladi (FFS), Karim
Yassa (FFS) et Rabah Hamdi (Ind) ses adjoints, nous avons sillonné les
villages Iwariachen, Aït Salem et Ihamadhen, du versant sud du
territoire dépendant de la commune de Laaziv.
Il est utile de préciser que pour le premier magistrat de la commune de
Laaziv, qui en a vu d’autres, lui qui était secrétaire général de la
daïra de Baghlia durant les terribles années 1990, n’est pas à sa
première visite dans les localités en question. Il n’était pas possible
de se rapprocher davantage d’Assif-Ibouhrane, du lieu du ratissage.
La partie de la forêt où était implantée la casemate du groupe armé en
question se situe en amont d’une vallée dans le sud/ouest de Tadmaït,
dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Les deux pistes creusées par l’armée pour
arriver à la casemate sont encore fraîches. Mais l’accès par auto y est
difficile.
De plus, la forêt est soumise à des tirs sporadiques d’obus lancés, mais
avec une précision de quelques mètres, par des artilleurs de l’unité de
l’ANP qui est installée au pied d’antennes de télécommunication sur le
point le plus haut de la montagne et pas loin du CW 107 (Laaziv/Timezrit).Des
rafales d’armes automatiques lourdes sont également entendues. «Les
militaires tirent sur cette partie de la forêt, très dense, où a été
localisé et décimé le groupe armé pour y déloger d’éventuels rescapés
qui se cacheraient toujours ou pour avertir d’autres groupes que le même
sort les attend si d’aventure ils ont des velléités de s’y établir»,
nous confie un Patriote habitué à participer aux ratissages menés par
l’armée.
«C’est le dernier groupe qui a échappé jusqu’à présent aux services de
sécurité avant d’être anéanti. Désormais, il n’y a plus de terroristes
dans nos montagnes. Mais nous nous tenons prêts en cas de nécessité»,
rassure un autre Patriote qui s’occupe désormais de la construction de
son habitation. Ce dernier affirme avoir participé à tous les ratissages
menés par les services de sécurité. «Il n’y a pas si longtemps les
terroristes circulaient librement. Il y a quelques années, ils
fanfaronnaient et clamaient que Sidi-Ali-Bounab est un territoire
libéré.
Mais nous avions juré que notre montagne ne sera pas Tora Bora en
Algérie pour Ben Laden», assène Chabane, 22 ans.
Il y a lieu de rappeler que les GIA (Groupes islamiques armés) puis le
GSPC (Groupe salafiste de la prédication et le combat) ensuite Aqmi (Al
Qaïda au Maghreb islamique) ont successivement fait de Sidi Ali Bounab
le point central de leur action insurrectionnelle. Tous les émirs des
katibates sont passés par Sidi-Ali-Bounab. Tous ont installé leurs
quartiers généraux dans l’immense forêt de ce massif montagneux, à
cheval entre les wilayas de Tizi-Ouzou et Boumerdès.
Les plus importants conclaves des éléments du GSPC et Aqmi se sont
déroulés dans cette montagne.
C’était un centre de transit où étaient également installés les hôpitaux
de campagne du terrorisme. Au plus fort de la présence des groupes
armés, dans le centre du pays, particulièrement à l’est d’Alger, leur
nombre pouvait se compter par milliers à Bounab.
Le choix de cette région pour les terroristes au début de l’insurrection
dans les années 1990, n’est nullement
fortuit.
En plus de la nature du terrain, accidenté et fortement boisé, la
montagne est située au centre de la Basse-Kabylie et aux portes de la
capitale. Les en déloger a exigé de l’ingéniosité et de la patience de
l’armée mais surtout de grands sacrifices des hommes et de l’encadrement
de l’ANP.
L’Histoire de la lutte antiterroriste dans notre pays retiendra
peut-être qu’Aqmi a été vaincue militairement à Sidi-Ali-Bounab le 4
mars 2014 à
Assif (oued) Ibouhrane, dans le territoire de la wilaya de Tizi-Ouzou.
Sa majesté de Sidi-Ali-Bounab outragée
Avant l’entame de la visite des villages cités plus haut, une escale sur
le sommet, plus exactement à Ighil Iwariachen, s’est imposée. Les
paysages qui s’offrent à nous sont sublimes. A l’ouest, le plat de la
vallée de oued Issers est verdoyant. La brume matinal ne nous permettait
pas d’entrevoir la silhouette lointaine d’Alger la Blanche. La grande
bleue habituellement visible, au nord, est masquée par la brume. Mais de
cet endroit, ce qui frappe le plus, c’est la proximité d’Adrar
Ihigherghert – le nom donné par les habitants au mont du Djudjura —.
Chaque visiteur est fasciné par cette vue. On a l’impression que le
manteau neigeux du Djurdjura est à la portée d’un appel vocal ou d’un
youyou. De là, on prend la dimension du majestueux massif de Sidi-Ali-Bounab.
Mais la montagne, qui a été arrosée par le sang des martyrs d’hier et
d’aujourd’hui, a été profondément blessée. Elle subit un désastre
écologique. Des milliers d’hectares de forêts de chêne liège, d’oliviers
et d’autres types d’arbres et de végétations ont été détruits durant les
deux décennies passées. L’Etat doit maintenant prendre le relais ;
investir et se montrer persévérant pour redonner à cette montagne,
exemplaire dans la lutte pour la liberté et la dignité, l’aura qu’elle
mérite.
Attention au chômage
La paix revenue, les besoins sociaux dans cette partie de l’Algérie
profonde refont surface et dans leur sillage survient la frustration
découlant d’une marginalisation des jeunes. Et ils sont majoritaires les
deux ou trois dizaines de citoyens que le maire et ses adjoints ont
rencontrés au cours de ce périple. Lorsque nous le questionnons sur sa
situation sociale, Mouloud, 24 ans, dira : «C’est avec le kif que je
calme mon âme. Le kif me partage avec moi-même. Dès lors, je crois à
l’oubli.» Sans commentaire. Au cours d’une discussion avec les adjoints
du maire sur l’ampleur du chômage dans leur commune, ils se basent sur
les doléances de leurs jeunes administrés pour l’estimer à plus de 25%.
Et ils sont optimistes. Par contre, les jeunes avec qui nous avons
discuté, c’est le pessimisme. Pour eux, le chômage dépasse les 50%.
Les chômeurs ne veulent plus d’emplois précaires ou de bricolage.
«J’aspire à un emploi stable avec un plan de carrière et mon intégration
à la sécurité sociale», affirme avec conviction Hamid, pâtissier sans
emploi. Il faut agir vite pour amortir le choc du ressentiment, du
sentiment de colère et d’amertume naissants au sein de cette frange de
la société qui emmagasine inutilement de l’énergie. D’autant plus que
les potentialités économiques pouvant créer de l’emploi dans cette
municipalité ne sont pas utilisées. Ce blocage est au-dessus des
compétences de l’APC. «Seules 6 unités sont opérationnelles», rétorque
Chemala à notre question sur le sort des deux zones d’activités
industrielles.
Selon les statistiques éditées par la Wilaya, les deux zones d’activités
totalisent 170 704 mètres carrés. 6 unités seulement opérationnelles,
pour cette superficie, c’est très peu. Un autre potentiel économique
pour lequel l’Etat a dépensé, en 2000, 19 milliards de dinars est laissé
en jachère. En effet, le barrage de Chender d’une capacité de 1 380 000
m3 qui devait irriguer 500 hectares de la plaine de Chender est en
situation d’abandon. C’est sans doute des centaines d’emplois qui ne
sont pas créés. Par ailleurs, cette commune de 23 910 habitants souffre,
selon le maire, d’un grand manque en matière de services techniques de
l’Etat. Il n’y a ni service urbanistique ni celui en charge des travaux
publics à Laaziv. Au cours de ce périple dans cette montagne, les
villageois demandent l’implantation ou la réparation d’infrastructures
de proximité, comme la réfection des routes, la réouverture de la salle
de soins, l’installation de l’éclairage public. Le maire nous fait
visiter les ruines d’une école de 3 classes abandonnée depuis 2003 à Aït
Slimane. «Nous devons nous débrouiller pour trouver 3 millions de dinars
sur le budget communal très maigre pour l’ouvrir d’ici la prochaine
rentrée scolaire.»
Quant aux jeunes d’Iwariachen, Aït Slimane et Ihamaden, ils ont demandé
à leur maire l’ouverture d’une maison de jeunes et la réhabilitation de
leur stade. En clair, ils demandent leur intégration au processus du
développement du pays et leur part de la rente du pétrole. Ils sont
conscients que la commune de Laaziv est, pour diverses raisons,
politiques notamment, marginalisée comme le sont les autres
municipalités de la région de l’est de la wilaya de Boumerdès. Pour
preuve, il suffit de faire la comparaison des budgets alloués et des
recettes fiscales des 32 communes de la wilaya de Boumerdès.
Abachi L.
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