Culture : Tradition et renouvellement dans la littérature kabyle, de AMAR AMEZIANE
Sujets en réflexion


L’ouvrage de Amar Ameziane vient participer à combler une carence dans les études berbères. L’auteur de Tradition et renouvellement dans la littérature kabyle (1) commence son travail par un constat : «La littérature est indéniablement le parent pauvre des études berbères» qui présentent souvent les textes comme «des corpus d’appoint à l’étude de la grammaire des parlers». M. Ameziane revient ensuite sur la réception de la littérature kabyle par les auteurs coloniaux qui l’incluaient dans «ce grand ensemble dénommé folklore». Il aura fallu les travaux de Mouloud Mammeri pour que soit enfin prise «en considération la spécificité du système littéraire kabyle».

Au cœur de l’analyse, la notion des genres
Tradition et renouvellement dans la littérature kabyle se donne comme objet de réflexion la notion des genres littéraires que l’auteur semble déterminer sur une base essentiellement anthropologique puisqu’il inclut le mythe et le conte dans son étude. Amar Ameziane analyse également les bouleversements dans les genres qui ont été provoqués par le passage d’une littérature traditionnelle orale à une nouvelle littérature écrite.
Le premier constat de l’auteur porte sur l’évolution générale des genres littéraires kabyles : «Le système générique traditinnel (oral) s’est aujourd’hui totalement disloqué. La fracture qu’ont connue les soubassements socioéconomiques traditionnels a engendré l’essoufflement progressif de la majorité des genres littéraires traditionnels (contre, devinette, poésie rituelle...).
Ces derniers sont graduellement remplacés par des modèles importés de la tradition littéraire française (le roman, la nouvelle, le théâtre) par des auteurs, pour la majorité, francisants de formation.»
Une telle critique fait des genres littéraires une construction avant tout historico-sociale qui répond à des nécessités humaines transcendant les questionnements limités à la forme et au style de l’œuvre.
Ambivalence du rapport au fondateur
La littérature écrite en kabyle -- et même francophone d’auteurs kabyles, ajouterions-nous -- se ressource essentiellement dans la littérature orale dont elle retravaille les genres et les formes, entrant dans une relation d’attirance-répulsion, de reconnaissance et de désir de meurtre, qui s’expriment par, d’une part, la louange des genres oraux et, d’autre part, leur parodie. La littérature orale devient ainsi le socle fondateur pour la littérature écrite, ce qui explique une forte intertextualité dans des œuvres où les écrivains se remémorent le fonds oral de leur littérature qui constitue pour eux un repère, une base, un passé, mais aussi un avenir littéraire dans la mesure où il propose des symboliques toujours efficientes quand il s’agit d’interpréter l’orientation du destin collectif.
Circulation des genres littéraires
Pour mieux illustrer les évolutions et les transformations génériques dans la littérature kabyle, Amar Ameziane analyse la circulation de la légende hagiographique, du proverbe et du mythe oraux dans les romans et nouvelles de Belaïd At-Ali (1909-1950) (2) et de l’écrivain contemporain Amar Mesdad qui, par exemple, exploite dans une de ses nouvelles le «mythe du corbeau».
Amar Ameziane étudie également l’évolution des figures de sens que sont les poètes (ameddah, amediaz...) dans la poésie orale contemporaine. Cette partie de l’analyse repose essentiellement sur les poèmes de Lounis Aït Menguellet chez qui la «nouvelle figure du poète n’est pas celle d’un compositeur de panégyriques, mais d’une parole singulière qui peut ‘‘agresser’’ autrui pour le faire réfléchir». Cet ouvrage, qui devrait être publié prochainement en Algérie, devrait intéresser les spécialistes de la littérature kabyle et même des autres traditions littéraires algériennes. Il poursuit une réflexion encore balbutiante sur les genres littéraires oraux et leur évolution, et appelle d’autres travaux scientifiques qui auront à cœur de ne plus se cantonner dans une production d’ordre linguistique ou grammatical : «La jeunesse de la littérature kabyle écrite devrait inciter à l’étude du profil des écrivains, des éditeurs et des lecteurs. Qui sont les écrivains ? Quelle est leur formation ? Dans quelles conditions produisent-ils leurs textes ? Qui sont les éditeurs ? Quels sont leurs rapports à la littérature
kabyle ? Il serait intéressant d’analyser leurs stratégies, leurs choix éditoriaux et leur position (nement) dans le champ éditorial.»
Ali Chibani

1) Amar Ameziane Tradition et renouvellement dans la littérature kabyle, Paris, l’Harmattan, 2014.
2) Lire aussi Les Cahiers de Belaïd : regards sur une œuvre pionnière, Béjaïa, éd. Tira, 2013.





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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2014/07/12/article.php?sid=165768&cid=16