Actualités : Alors que le cours du baril de pétrole a encore
enregistré un recul hier
Des économistes évoquent le manque de prévoyance du gouvernement
Le cours du baril de pétrole affichait 81,30 dollars,
hier dimanche, dans la matinée, soit un recul de 0,73% par rapport à la
veille (samedi). Alors que le ministre des Finances, Mohamed Djellab
certifiait, il y a quelques jours à l’APN, qu’«il n’y a pas le feu»,
l’économiste Abdelmadjid Attar, pense qu’avec un baril en dessous des 90
dollars, l’Algérie entamera l’année 2015 sur un grand déséquilibre
budgétaire. L’analyste financier, Ferhat Aït Ali, estime quant à lui,
que l’Algérie aurait dû commencer à s’inquiéter il y a deux ans.
Mehdi Mehenni - Alger (Le Soir)
Sur la question de savoir à quel moment et à quel seuil de la baisse
du prix du pétrole l’Algérie devrait s’inquiéter, Abdelmadjid Attar
pense que le gouvernement aurait dû le faire il y a bien longtemps.
«Pour le deuxième semestre 2014, le seuil sera moyennement en dessous
des 90 dollars le baril. Ce qui affectera les recettes et la fiscalité
pétrolière, avec déficit de la balance de paiement et alimentation
insignifiante du fond de régulation. En parallèle, les prévisions
budgétaires de l’Algérie sont supérieures à celles de 2014. Si la
tendance baissière persiste, cela va créer un grand déséquilibre
budgétaire. L’Algérie sera ainsi confrontée à de sérieux problèmes…»,
explique-t-il.
Lors de la présentation du projet de la loi de finances 2015, à l’APN,
le ministre des Finances avait certifié qu’«il n’y a pas le feu ».
Abdelmadjid Attar suppose que Mohamed Djellab parle de l’exercice de
l’année 2015. Car, selon lui, «pour l’année en cours les jeux sont
faits, et le bilan financier sera forcément négatif». C’est ce qui
l’amènera à dire : «Le problème c’est que le politique analyse la
tendance du marché pétrolier au vu des bouleversements géopolitiques,
avec, entre autres, ce qui se passe en Ukraine, au Nigeria, en Irak et
en Syrie. Mais de nos jours, ce sont les bouleversements économiques qui
influent véritablement, à l’exemple de la crise, la récession et
l’absence de reprise de développement économique en Occident. On
consomme de moins en moins, en Europe et en Asie, avec parallèlement le
développement des énergies renouvelables dans certains pays clients
potentiels». En un mot, pour Abdelmadjid Attar : «Il y a vraiment de
quoi s’inquiéter».
«L’Algérie finance sa disparition en tant que nation depuis 10 ans»
Sur le même chapitre, l’analyste financier, Ferhat Aït Ali, estime que
«l’Algérie aurait dû commencer à s’inquiéter il y a deux ans». Se
voulant plus explicite, il affirme que «les effets baissiers étaient
déjà prévisibles en 2012, à partir du moment où les Etats-Unis
approchaient l’autosuffisance énergétique qu’ils ont aujourd’hui
atteinte». Selon lui, c’était «à partir du moment où les Etats-Unis
investissaient à perte sur les hydrocarbures non conventionnels pour
arriver à ce résultat».
Tout en regrettant que les autorités algériennes agissent quand la
catastrophe est là, il rappelle : «J’ai personnellement donné l’alerte
en avril 2013 sur les ondes de la radio nationale. La baisse des cours
pétroliers était alors imminente. Le danger, selon l’analyse de Ferhat
Aït Ali, persiste dans le fait qu’«en 2004, l’Algérie arrivait à
équilibrer ses dépenses budgétaires (fonctionnement, équipement), avec
des recettes pétrolières de 24 milliards de dollars. Aujourd’hui, nous
n’arrivons pas à équilibrer ces mêmes dépenses avec des recettes de 52
milliards de dollars». Il précise, à ce propos : «rien que pour le
fonctionnement de l’année 2013, l’Algérie a dépensé 65 milliards de
dollars. Pour l’exercice de l’année 2014, le budget a augmenté de
27,16%. Il faut dire, qu’à la base, la structure du budget de
fonctionnement est économiquement suicidaire. Nous avons 40 milliards de
dollars de salaires, pour une fonction publique économiquement
improductive. 20 milliards de dollars de subventions qui, au bout du
compte, profitent au producteur étranger. Une économie qui ne produit
pas et qui, parallèlement, subventionne la production d’autrui, quelque
soient ses revenus (en hausse ou en baisse), creuse forcément sa tombe».
L’inquiétude est d’autant plus justifiée, poursuit-t-il, lorsque «nous
savons que l’Algérie dispose d’une seule source de revenus que nous ne
contrôlons, ni en amont ni en aval. En même temps, nous avons plusieurs
sources de dépenses qui enregistrent d’année en année une tendance
haussière».
Ce constat ne prête pas l’analyste financier à des mots doux : «Qu’ils
prennent conscience et surtout leurs responsabilités, car depuis dix
ans, nous finançons notre disparition en tant que nation. En 2014, un
drapeau, une fanfare et une Constitution ne font pas une nation. La
sécurité institutionnelle telle qu’elle est perçue par les pays
développés est avant tout économique». Il cite, d’ailleurs, un exemple
édifiant : «Une enveloppe de 3 milliards de dollars a été allouée au
secteur de l’agriculture en 2013. Cet argent est logiquement injecté
pour la croissance du secteur. Hors, 800 milliards de dollars sont
dépensés rien que par l’Onil, pour subventionner la poudre de lait,
c'est-à-dire les éleveurs de vaches laitières, notamment français et
hollandais. Ceci, en plus des consommateurs des pays voisins que nous
subventionnons à travers la contrebande».
Enfin, les deux lectures des spécialistes de l’économie et des finances
se rejoignent au moins sur un fait : «le gouvernement algérien manque de
prévoyance».
M. M.
|