Actualités : 30 MILLIARDS DE CENTIMES BRASSÉS QUOTIDIENNEMENT PAR
LES BARS CLANDESTINS
La prohibition à l’américaine en marche
L’administration algérienne mène sa croisade pour la
suppression de tous les débits de boissons et les dépôts de vente légaux
de boissons alcoolisées mais la filière se développe et est plus que
jamais prospère dans la clandestinité. Et pour cause, la demande
s’accroît et les réseaux de trafic s’élargissent en parallèle.
Selon les statistiques récentes, l’Algérie est le plus gros marché
maghrébin en la matière. Par ailleurs, les propriétaires qui ont subi
ces fermetures disent que celles-ci ont été faites dans l’illégalité.
«Elles (les fermetures ndlr) seraient donc l’émanation d’un choix
idéologique de leurs auteurs pour ensuite revêtir un cachet de violence
politique qui ne déplairait pas à un courant politique extrémiste du
pays», estime l’avocat de l’une de ces victimes.
Dans ce dossier d’interdictions discutables, le constat est vite fait.
L’équité, une constituante de l’Etat de droit, est piétinée et l’éthique
républicaine en prend un coup puisque certains commis de l’Etat
ordonnent ces interdits, en marge de la loi, et s’érigent par conséquent
en moralisateurs de la société. «Cette hypocrisie politique facilite
l’installation de la filière durablement dans l’informel. Qui dit
informel dit racket, manipulation des baltaguias, violence et
corruption», assène un militant de la société civile. En fait, c’est la
prohibition des années 1930 qui est en marche dans le pays.
Un chiffre d’affaires de 30 miliards
L’estimation d’un montant de 30 milliards de centimes de chiffres
d’affaires que brassent quotidiennement des milliers de bars et dépôts
clandestins de vente de boissons alcoolisées est probablement en deçà
des montants réels qui passent entre les mains de ces tenanciers. Il y
a, entre temps, beaucoup de responsables qui se sucrent, à l’instar des
parkings sauvages, de ce créneau fort juteux. Mais nous nous sommes
contentés de quelques chiffres officiels disponibles pour faire une
évaluation de ce trafic.
A noter qu’aucune wilaya et ni aucune localité secondaire n’est épargnée
par ce commerce qui va en augmentant. Les services de sécurité le
constatent. La filière fait travailler beaucoup de monde. Voici quelques
saisies recensées durant 5 jours de la première quinzaine du mois de
décembre 2014. Le 2 décembre 2014 à Oran et Oum-El-Bouaghi, 1 053
bouteilles de bière et 1 191 bouteilles de diverses boissons
alcoolisées, le 3 décembre 2014 à El Oued et Tébessa, 11 905 cannettes
de bière, 9 770 bouteilles de liqueurs (whisky ou Ricard) et 1 320
bouteilles de vin, le
7 décembre 2014 à El Bayadh et Bouira, 481 cannettes de bière et 259
bouteilles de vin, le
8 décembre 2014 à M’Sila, 680 bouteilles de boissons alcoolisées et le 9
décembre 2014 à Oum-El-Bouaghi, 8 778 bouteilles de bière.
Ces saisies ne concernent que les zones rurales. Il n’y a aucune
statistique pour les zones urbaines où 90% de ce trafic se concentrent.
Durant ces 5 jours dans 8 wilayas du pays, 22 217 bouteilles et
cannettes de bière, 11 461 bouteilles de diverses boissons alcoolisées
(whisky, Ricard et autres spiritueux) et 1 579 bouteilles de vin ont été
saisies.
En tenant compte des prix pratiqués par ces tenanciers clandestins à
savoir entre 100 et 120 dinars pour la bière,
1 200 à 2 000 dinars une bouteille de whisky, de Ricard et autres
spiritueux et 800 à 1 200 dinars la bouteille de vin, on pourrait dire
que ces barmaids et vendeurs clandestins ont perdu en 5 jours plus de 17
381 100 dinars. Soit une moyenne de perte journalière de 3476 220
dinars.
A noter que dans nos calculs, nous n’avons tenu compte que des bornes
inférieures des écarts des prix pratiqués par ces commerces clandestins.
Si l’on considère, par ailleurs, que seuls 10% de ce qui circule ou qui
est mis en vente illégalement chaque jour sont saisis par les services
de sécurité, – on est généreux avec les forces de l’ordre – on peut dire
que le chiffre d’affaires que réalisent ces réseaux se situe autour
347.622.000 dinars (plus de 34 milliards de centimes).
On déplace le problème dans des zones obscures
Ce trafic, qui arrange beaucoup de monde, s’est érigé ces dernières
années pour se substituer à un vide créé par l’administration. Les
décisions de certains responsables n’ont fait que déplacer les problèmes
de nuisance créés par la consommation de l’alcool et rendre la gestion
de ces problèmes moins maîtrisable. Certains bars clandestins causent
plus de nuisance que ceux existants légalement. Plus grave, ce n’est, en
effet, un secret pour personne ; certains commis de l’Etat se donnent,
au détriment de l’éthique républicaine, un rôle moralisateur de la
société. D’autres forces y trouvent une catégorie de ces trafiquants
protégés, des baltaguias à mobiliser pour accomplir dans certaines
occasions des tâches occultes.
La réponse d’un confrère d’une wilaya de l’ouest du pays au sujet du
comportement des services de sécurité par rapport à un gérant d’un bar
clandestin installé depuis quelques années est édifiante. «S’ils (les
services de sécurité, ndlr) te retirent ton permis de conduire, tu lui
demandes d’intervenir et il te le ramènera.» Sans commentaire.
Où est le crime et qui est habilité à faire la morale à qui ?
«La fermeture des bars et dépôts de commerce d’alcool n’est-elle pas
seulement une diversion pour se donner bonne conscience, pour éviter de
répondre aux questionnements plus importants et occulter de graves
problèmes que vit le
pays ?», lâche un ancien responsable d’un parti politique de
l’opposition. Dès lors, à ceux qui décrètent des fetwas et assènent
leurs malédictions contre les consommateurs et qui veulent moraliser la
République, des interrogations leur sont soumises : un responsable
politique ayant le pouvoir décisionnel discute avec un militant
politique. Tous les deux débattent d’un plan pour changer les résultats
d’une élection ayant pour finalité le choix de celui qui commandera la
population.
Un responsable d’une institution officielle et un entrepreneur négocient
le montant de l’enveloppe en vue de faciliter l’attribution d’un marché
de réalisation d’une infrastructure publique payée avec l’argent du
peuple.
Deux jeunes marginaux assis dans un terrain vague à la périphérie de
n’importe quelle cité algérienne et consomment de la bière. Quelle est
la nature des crimes commis par ces trois couples ? Qui sont les
criminels et quel est le duo qui est en mesure de faire de la morale aux
deux autres ? D’un autre côté, si l’on ne persistait pas à n’être que
l’avocat du diable et ne s’évertuer qu’à s’accrocher à la seule défense
de la liberté de conscience garantie par l’article 36 de la
Constitution, l’on pourrait avoir une autre perception de ce fléau, car
c’en est un, et aussi se dire qu’un chauffard bourré d’alcool de mauvais
goût peut, au volant de son 4x4 acheté avec l’argent de la corruption,
décimer sur la route toute une famille. C’est aussi la seconde face des
crimes qui se déroulent quotidiennement sur les routes du pays. En tout
état de cause, des centaines de milliers d’Algériens continueront à
boire à la santé de ceux qui les répriment et qui s’échinent inutilement
à leur faire de la morale.
Abachi L.
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