Monde : UNE BOMBE À NEUTRONS EXPLOSE AU YÉMEN
Du nucléaire militaire et «conventionnel»


Par Sélim S. Khaznadar
Selon les analystes du site américain (US) Veteran Today, le 20 mai 2015, une bombe à neutron israélienne a été larguée sur Jabal Nagham, sur autorisation (une demande) saoudienne par un chasseur israélien, probablement par un F-16 (F-16I Sufa, version israélienne spéciale du F- 16D Block 52. Ses équipements spécifiques ne sont montés qu'une fois l'avion livré à Israël.) peint aux couleurs de l’armée saoudienne. Le F-16 Fighting Falcon de General Dynamics est développé depuis 2008 par Lockheed Martin qui a racheté en 1993 la compagnie architecte de ces appareils. Le F16 est un avion de combat multirôle : chasse (interception) bombardement, attaque au sol, appui aérien rapproché, reconnaissance. Les forces aériennes saoudiennes n’ont jamais possédé de F16.(1) Il ne peut s’agir d’une très puissante bombe de type GBU-43/B Massive Ordnance Air Blast Bomb (MOAB) qui est une munition thermobarique de 9,5 tonnes dont le guidage est assuré par GPS ou grâce à un gyroscope. Seul un avion de transport de type Hercule C130 peut la transporter et la larguer. MOAB est dérivée de la Daisy Cutter (BLU-82/B), une bombe d'environ 7 tonnes utilisant un mélange nitraté. Aucune des deux munitions ne peut être transportée, ni par F16 ni par F15. Un chasseur de type F16, spécialement aménagé, peut transporter une petite bombe à neutrons. L’analyse par Jeff Smith, collaborateur de Veteran Today (physicien, ancien spécialiste des armes nucléaires auprès de l’AIEA, et inspecteur spécialisé dans les questions de non-prolifération nucléaire) admet l’explosion d’une munition à neutrons sur le sol yéménite. Après le visionnage d’une vidéo montrant le bombardement visant le mont Nagham à Sanaâ le 20 mai 2015, Gordon Duff (président et rédacteur en chef de Veteran Today), et Jeff Smith de Veteran Today également, ont conclu qu’il s’agissait d’une bombe à neutrons larguée par un avion israélien. Une «caméra spécialisée a détecté la présence de neutrons dans la bombe qui a visé le mont Nagham.» Toujours selon Jeff Smith, «il apparaît qu’il s’agit d’une petite bombe à neutrons. La taille, la couleur, les effets lumineux, la durée de la boule de feu suspendue dans les airs et le très grand champignon atomique, sont les principaux signes qui peuvent nous y faire penser. L’appareil CCD qui a filmé les images s’est mis à “scintiller” (détection des neutrons) avec des flashs de pixels blancs dans la vidéo. Quand une photo contient des flashs de pixels blancs, c’est parce qu’elle est frappée par des neutrons de l’explosion de la boule de feu nucléaire. Ils surchargent le circuit électronique de la CCD, produisant des éclairs blancs. Si les radiations sont trop élevées, elles brûlent la puce. Il y a eu de gros problèmes avec cela au Japon avec les caméras des robots de Fukushima à cause du niveau très élevé de radiations. » La bombe à neutrons, également appelée «arme à radiations renforcées» Enhanced Radiation Warhead ERW) est un concept développé en 1958 par Samuel T. Cohen, un physicien américain 25 janvier 1921-28 novembre 2010) qui a travaillé pour le Projet Manhattan (au département de détonique) et qui a été longtemps consultant à la Rand Corporation. Dans les années 1970, au Lawrence Livermore National Laboratory, il invente et développe l’ogive nucléaire W70, transportée par le Lance, un missile sol-sol tactique. La première bombe à neutrons est testée en 1963. A la même époque, les physiciens soviétiques s’occupaient également et activement de la question. Une nation en capacité scientifique et technologique de construire une bombe thermonucléaire, l’est également pour une bombe à neutrons. Sa miniaturisation et sa maintenance, difficultés supplémentaires, exigent un niveau de savoir accru. Pour sa production en série, est nécessaire une grande quantité de plutonium et de tritium(2), éléments non-naturels issus du fonctionnement de réacteurs nucléaires. L’utilité militaire «marginale» est-elle en rapport avec le coût de cette entreprise ? L’opinion publique, beaucoup d’hommes politiques, et souvent un personnel qualifié d’états-majors, considèrent cette munition comme la meilleure arme antichar, notamment dans le cas d’une offensive blindée majeure. Dans un livre paru récemment, intitulé Echec à la guerre(3), le physicien américain S. T. Cohen et le colonel (CR) Marc Genest, définissent une doctrine d'emploi pour l'arme à effets de radiation renforcés. Mais à l’heure actuelle, il n’existe aucune doctrine d'emploi concernant cette arme. Les obstacles en sont d’abord politiques. Les impératifs tactiques d'utilisation de la «bombe à neutrons» impliquent une descente du pouvoir de décision concernant son emploi vers le théâtre des opérations. C'est cette nécessité de décentralisation qui avait incité il y a quelques années un président des Etats-Unis à retirer des unités américaines les armes nucléaires miniaturisées (les Mininukes) dont elles avaient été dotées par l'administration précédente. L'application de frappes neutroniques à proximité de la ligne des contacts, au plus près des troupes ennemies, ne saurait être décidée à un niveau qui excéderait celui de la division. L’intermède politique, s’il devait avoir lieu, rendrait inefficace cette arme essentiellement tactique. Si la puissance d’une munition à neutrons est faible (dix à cent fois moindre) que celle habituelle des armes nucléaires tactiques, ses effets sont sans commune mesure avec ceux obtenus par l'explosif chimique utilisé par les munitions de l'artillerie classique, qu’ils soient projetés ou largués. Cette puissance, de l'ordre de la kilotonne, n'est pas dépensée sous forme d'énergie mécanique ou calorifique mais essentiellement en énergie cinétique communiquée aux neutrons contenus dans la matière fissile de l'engin. Ces neutrons libérés en très grand nombre(4) projetés en gerbe à très grande vitesse dans toutes les directions, ou focalisés de façon à orienter leurs effets, ont la propriété de traverser, en ne perdant qu'une faible proportion de leur énergie, d’épais revêtements métalliques, et de s'attaquer aux tissus vivants en y causant des lésions irréversibles. A la différence de l'obus classique qui occasionne des dégâts matériels aux chars de combat et épargne généralement l'équipage, la «bombe à neutrons» dissocie le couple char/équipage en mettant les hommes qui le servent hors de combat. L’assaillant à l’arme neutronique cherche à obtenir des effets supplémentaires pour lesquels la seule explosion ne suffirait pas : destruction des matériels électroniques sur plusieurs dizaines de kilomètres à la ronde, destruction des personnes à l’abri des ondes de choc ou de chaleur, dans des chars ou des bunkers. La bombe à neutrons reste une bombe nucléaire «fusion-fission» de type Teller- Ulam-Sakharov qui produit les mêmes types de dégâts que les bombes à fission ou celles à fusion (onde de chaleur et onde choc, retombées radioactives). Ces effets sont significativement moins importants, car au lieu d’être absorbée, ce qui est recherché est la libération de l’énergie sous forme de flux de neutrons libres par la réaction de fusion nucléaire. Les miroirs à rayons X ainsi que l’enveloppe de la bombe sont constitués de nickel ou de chrome, de telle manière que les neutrons puissent facilement s’échapper. Les effets destructeurs des neutrons rapides sont liés à leur capacité à ioniser la matière et surtout les atomes légers. Ils perdent peu d’énergie à traverser des blindages faits d’atomes lourds. Cependant, de nouveaux types de blindages, auxquels ont été ajoutés des revêtements à teneur élevée en carbure de bore, des polycarbonates, des céramiques ultrarésistantes et réfractaires comme l’alumine, des fibres de kevlar ou de l’uranium appauvri, sont capables de protéger le blindé et son équipage du rayonnement neutronique. Le corps humain étant composé essentiellement d’eau, on comprend mieux l’effet produit sur les tissus humains par ce flux de neutrons. Leur capacité de transformer certains éléments stables en élément radioactifs, notamment dans les alliages en acier qui contiennent du Cobalt. Le matériel ainsi irradié devient dangereux à utiliser pendant plusieurs jours ou semaines après l’explosion, même s’il n’a pas été exposé à des retombées radioactives. L’impulsion électromagnétique créée : les neutrons ionisent une partie de l’air, créant une onde choc électromagnétique (EMP pulse) qui détruit les composants électroniques et perturbe les communications pendant plusieurs jours. En réalité, en dépit de sa capacité destructrice, cette arme n’irradie pas la zone touchée pendant une longue durée. Selon ses développeurs, et après des simulations, il est possible d'approcher en toute sécurité l'épicentre de l'explosion quelque douze heures après l’impact. Une bombe à hydrogène irradie une zone dans un rayon de 7 km pendant plusieurs années. L’usage au Yémen d’une bombe à neutrons est bien utile pour l’armée israélienne. Très loin de son espace de déploiement, elle ne peut inquiéter ni son opinion publique ni les représentants de la Knesset. Son usage, pourtant souhaité, au Sud-Liban contre les résistants du Hezbollah, ou dans la bande de Ghaza, ne lui aurait pas assuré une profondeur stratégique suffisante. Khadimû al Haramayn s’est révélé un allié providentiel.
S. S. K.





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