Actualités : Les médias face au «discours de la haine»
Le devoir d’ignorer ou de dénoncer ?


Les experts en déontologie médiatique et journalistique se sont penchés sur la question du «discours de la haine» et le rôle des médias dans leur ensemble face à ce fléau. Les moyens de communication devenus nombreux offrent certainement plus de champ d’expression aux auteurs de ce type de discours mais la censure est loin d’être la meilleure résolution.
Naouel Boukir - Alger (Le Soir)
- C’est dans ce cadre que l’Ecole nationale supérieure de journalisme a abrité, hier, une conférence axée sur les responsabilités éthiques et déontologiques du journaliste et des médias, animée par Ricardo Gutierrez, secrétaire général de la Fédération européenne des journalistes et maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles, Belgique. Groupes et communautés minoritaires, extrémisme religieux et politique, terrorisme, crise des réfugiés, racisme et islamophobie est le contexte «propice» dans lequel évolue férocement le discours de la haine aujourd’hui. L’ignorer ou le dénoncer, telle est la question qui se pose. Il est à noter que le média, journaliste ou chaîne télévisée soit-il, est appelé à adopter les deux attitudes. Et ce, selon le contexte dans lequel l’allocution haineuse est exprimée, a expliqué le professeur.
Après avoir identifié ce qui ressort du discours à la haine, il y a lieu d’identifier son auteur, direct ou indirect, sa portée, publique ou privée, son objectif et sa cible, qu’il s’agisse d’un individu ou d’un groupe d’individus. M. Gutierrez a précisé que suite à la considération de ces éléments, le rédacteur devra opter pour une démarche passive ou bien active.
Ignorer le discours haineux intervient quand «sa capacité de nuisance» est faible ou négligeable. Par contre, le journalise est tenu d’avoir et d’entretenir «un contre-discours» en dénonçant les propos jugés haineux dès lors où ils prennent de l’ampleur, visant à «l’instrumentalisation de l’opinion publique» ou même incitant à la violence. Car ce n’est pas tant le fait d’avoir «une opinion choquante» qui est condamné mais ce que les médias en font qui peut être inquiétant. C’est dans ce sens que le professeur a appelé les relayeurs du discours à ne pas tomber dans «le sensationnalisme ou la précipitation». Réfléchir et prendre de l’écart pour éviter la communication de toute information «biaisée» fait également partie de la déontologie, a-t-il ajouté. Il est vrai que les plateformes virtuelles et les réseaux sociaux constituent l’outil «favorisé» pour héberger ce type de discours or ce n’est pas pour autant qu’ils en sont l’initiateur. Si les instruments diffèrent actuellement, le discours à la haine a toujours existé, a rappelé M. Gutierrez. Et ce sont justement ces nouveaux outils que le journaliste ou les médias, de manière plus générale, doivent utiliser eux aussi pour un combat à armes égales. Par conséquent, a-t-il ajouté, «le buzz» peut véhiculer un discours complètement haineux comme il peut servir à diffuser, à grande échelle, un contre-discours le désapprouvant. Un autre moyen est celui de la création d’espaces de débat (groupes, pages …) afin d’échanger les avis et de développer «la réflexion» autour de telle ou telle question, éviter d’éventuels «dérapages» et contenir «la haine en ligne». Par ailleurs, le professeur a mis l’accent sur l’effet pervers de la censure qu’il a qualifiée de «solution de facilité» et une entorse à la liberté d’expression, étant un droit fondamental. Tout comme «l’autocensure» est répréhensible puisque la moitié d’une vérité n’est pas toute la vérité, a-t-il ajouté. Qu’importe la ligne éditoriale d’un média, «son intégrité» ne doit certainement pas être un principe négociable. De même que la presse partisane a le devoir de se déclarer comme telle puisque dans le cas contraire elle manquerait de transparence vis-à-vis du public auquel elle s’adresse.
En définitive, il y a lieu de reconnaître le pouvoir des mots d’où l’intérêt de bien choisir et de considérer chacun pour que la communication corresponde et transcrive le mieux la réalité, a insisté M.Gutierrez. Puisque «mal nommer un objet, c’est ajouter au malheur du monde», disait Albert Camus.
N. B.



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