Culture : LA GUERRE DE LIBÉRATION DANS LA RÉGION DE SI
MUSTAPHA, LEGATA, KOUDIAT EL-ARAÏS, ZEMMOURI, ZAATRA DE RABAH BOUMRICHE
Le pays de Mohamed Laïchaoui, Ahmed Ghermoul et Mohamed Saoudi
Félix-Faure (aujourd’hui Si Mustapha, wilaya de
Boumerdès) et d’autres localités de la plaine de l’Isser durant la
guerre de Libération. Rabah Boumriche donne à lire une sorte de
monographie spéciale et très détaillée sur les années de feu dans la
région.
Un ouvrage volumineux, complet, passionnant et qui se veut une
contribution à l’écriture de l’histoire selon une dimension locale. Ce
pavé de 746 pages met en effet sous la lumière des projecteurs le
secteur 4, région 3 (Bordj Menaïel-Mizrana), zone 4 de la Wilaya III
historique. Le secteur 4 comprenait, à l’époque, Félix-Faure (Si
Mustapha), Isserbourg (Legata), Koudiat El-Araïs, Courbet (Zemmouri) et
Raymond-Poincaré (Zaatra). Le principal intérêt du livre, voire son
originalité, c’est donc d’être précis, d’aller directement au
particulier sans trop s’appesantir sur l’histoire générale de la guerre.
L’entreprise est difficile, comme une gageure, mais Rabah Boumriche l’a
néanmoins exécutée avec conscience et au terme d’un patient labeur.
L’auteur a aussi le mérite d’avoir agi de sa propre initiative, lui qui
n’est ni un historien de métier ni un chercheur universitaire, encore
moins un ancien moudjahid désireux de livrer un témoignage. Il était un
enfant en ces années-là. Des scènes et des images l’ont évidemment
marqué, ce qui explique sans doute sa passion pour l’histoire et sa
motivation à vouloir combler un vide en matière de connaissance
historique de la région.
Il le précise dans l’avant-propos : «Passionné d’histoire, j’ai
longtemps attendu qu’un livre sur la guerre de Libération dans la région
de Si Mustapha-Legata-Koudiat El- Araïs-Zemmouri-Zaatra soit édité
(...). Seul le regretté Gérard Bon, de son nom d’écrivain Yves
Courrière, journaliste et spécialiste de la guerre d’Algérie, relata
quelques épisodes dans ses livres à succès (...). Zamoum Rabah, fils du
chahid le colonel Zamoum Mohamed Rabah dit Si Salah, dans son livre
L’affaire Si Salah, mystère et vérités en a également repris quelques
détails précieux.» Autre rappel d’importance : «Notre région
s’enorgueillit de compter parmi les siens d’illustres chouhada, à
l’instar de Laïchaoui Mohamed, auteur de la proclamation et de l’appel
du 1er Novembre, et de Ahmed Ghermoul, l’un des fondateurs de l’UGTA.
Notre région a perdu au champ d’honneur plus d’une centaine de
moudjahidine (...). Cette région martyrisée a perdu plus de 400
moussebiline et militants pour leur engagement révolutionnaire et leur
contribution à la guerre de Libération nationale. Ils furent le plus
souvent victimes d’exécutions sommaires commises par des bourreaux
sanguinaires (...). Les femmes n’étaient pas en reste et beaucoup
d’entre elles se sont engagées comme moudjahidate et moussebilate (...).
Enfin qui peut oublier les batailles, les accrochages et embuscades de
nos moudjahidine du secteur 4 (...) contre les forces militaires
françaises et leurs supplétifs dotés de matériel moderne, d’artillerie
lourde, de blindés et soutenus par l’aviation (...). Ma volonté est de
mettre en lumière ces événements d’une rare intensité dramatique qu’a
connus notre région, le sacrifice de ces hommes et de ces femmes.» C’est
donc à un véritable travail de reconstitution historique et de
revivification mémorielle que Rabah Boumriche s’est attelé, notamment
pour mettre à l’honneur celles et ceux qui se sont sacrifiés pour la
patrie. Sans exclusive.
Première grosse difficulté inhérente à ce genre d’entreprises :
l’absence d’archives. Pour contourner cet écueil, l’auteur s’est
concentré sur le recueil de témoignages et la collecte de documents
privés. Il a aussi entrepris un travail de mémoire sur lui-même, se
référant à son propre vécu. «J’ai eu la chance de vivre enfant la
période de la guerre de Libération au vieux village Félix-Faure, un
village colonial. J’ai pu vivre directement les événements tragiques et
héroïques de cette guerre et j’ai pu voir les agissements des colons
ultras à l’image du maire Georges Paternot et son adjoint Dustou Henri,
les miliciens de l’unité territoriale, et là j’ai découvert la véritable
nature du colonalisme. J’ai vu le capitaine Lenfant à l’œuvre, le
contingent français et la harka en action, le capitaine Phenix en visite
à l’annexe SA de Félix-Faure», se remémore-t-il.
Enfin, il y a les livres qui l’ont inspiré et guidé : «La documentation
et la lecture de livres de l’histoire nationale m’ont permis de faire
des recoupements et de vérifier que les événements de notre histoire
locale s’imbriquaient bien par rapport à lachronologie nationale.»
L’aggiornamento et la démarche sont simples, efficaces. Rabah Boumriche
s’est surtout fondé sur des événements réels, des faits datés et
chiffrés, des noms de personnes et de lieux très précis, des témoignages
authentiques. Le tout en interrogeant et en confrontant diverses
sources. Pour une meilleure lisibilité (confort de lecture), il a ainsi
«construit la trame chronologique sans artifice et en toute simplicité
dans l’ordre des années, mois et jours». Résultat, un essai historique
de bonne facture et qui ferait envie à un historien professionnel.
Cet ordre séquentiel se déroule sur 25 chapitres riches de données
factuelles souvent inédites, ordre entrecoupé d’inserts et autres gros
plans qui éclairent l’action dramatique et en augmentent la force
d’impact. Parmi ces gros plans, le chapitre consacré à Mohamed Laïchaoui
; les chapitres sur les camps militaires de concentration, les
déserteurs de l’armée française, les femmes dans la guerre de Libération
en secteur 4, l’engagement de la famille Bayou, les souvenirs de
l’auteur, les biographies et bio express des moudjahidine, moussebiline
et militants... En pédagogue pointilleux et soucieux de la vérité
historique, Rabah Boumriche enrichit sa contribution par divers
documents (écrits et iconographiques), un lexique, un index des noms et
une bibliographie.
Avant de découvrir le film des événements de sept ans de guerre, le
lecteur pénètre doucement dans l’intimité du sujet. D’abord quelques
éléments d’histoire pour s’imprégner des transformations de la région :
la résistance à l’occupant au lendemain de la conquête coloniale,
l’installation des premiers colons en mars 1872, la misère endémique
provoquée par le séquestre général, la création d’un nouveau village à
Félix-Faure (anciennement Blad Guitoune ou pays des tentes, devenu
Félix-Faure en 1901)...
L’auteur précise au passage que «les villages de Félix-Faure et de
Courbet méritaient-ils le vocable de coloniaux car aucun indigène même
«émancipé», «naturalisé» français ou «m’tourni» de culture française n’a
pu s’installer au village français jusqu’à l’indépendance». Retour
également sur l’évolution du mouvement nationaliste dans la région, les
manifestations de mai 1945, la préparation de la guerre de Libération,
etc. Dans le quatrième chapitre, l’accent est mis sur le parcours et
l’engagement de Mohamed Laïchaoui, journaliste et «intellectuel à
l’esprit libre», lui qui «avait dactylographié sur stencil et tiré la
proclamation et l’appel du 1er Novembre 1954. Puis l’histoire s’accélère
à partir du cinquième chapitre décrivant «les destructions, incendies et
attentats du 1er Novembre 1954». Attentats, accrochages et embuscades
sont rapportés dans le menu détail. Ainsi, «la première embuscade au
camion d’armes va se produire le 26 janvier 1955 sur une piste menant à
la montagne à côté de Bordj Menaïel».
L’année d’après, celle de «l’offensive générale», a notamment connu deux
grandes batailles dans lesquelles se sont distingués Si Rachid et Si
Mustapha. Ce sont les batailles de Raymond-Poincaré (11 mars 1956) et de
Félix-Faure (12 août 1956). Après le chapitre 8 consacré aux «camps
militaires de concentration dans le secteur 4», le lecteur est de
nouveau plongé dans la guerre totale en 1957 : attaques et
contre-attaques, représailles de l’armée française sur les civils,
exécutions sommaires, les fermes des colons transformées en centres de
torture et d’exécutions... Et ainsi de suite jusqu’aux chapitres 15 (le
putsh des généraux, l’entrée en guerre de l’OAS en 1961) et 18 (les
négociation avec de Gaulle, les accords d’Evian, la proclamation de
l’indépendance). Les «biographies des moudjahidine, moussebiline et
militants de la région» figurent également en bonne place dans
l’ouvrage. On ne peut qu’accueillir avec reconnaissance ce livre, tant
Rabah Boumriche a réussi à s’acquitter honnêtement d’une bien lourde
tâche. Une belle performance pour cet homme de bonne volonté qui (le
détail est significatif) a édité cet ouvrage d’une telle densité à
compte d’auteur.
Hocine Tamou
Rabah Boumriche, La guerre de Libération dans la région de Si Mustapha,
Legata, Koudiat El Araïs, Zemmouri, Zaatra (1954-1962), édition à compte
d’auteur, Alger 2015, 746 pages.
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