Contribution : Mohamed Mahmoud Taha et Mohamed Shahrour
Deux tentatives de reconstruction du discours religieux musulman (2e partie et fin)
Par Lahouari Addi(*)
L’audacieuse interprétation de Mohammed Shahrour
Au début des années 1990 est paru à Damas et au Caire un ouvrage portant
sur le Coran qui a connu un succès sans précédent en libraire (plus de
150 000 exemplaires vendus en quelques mois !) : Al-Kitab wal qur’an.
Qira’a mu’asira, (Le Livre et le Coran. Une lecture contemporaine), Dar
al Ahali li nashr, Damas, 1990. Son auteur, Mohammed Shahrour, inconnu
jusque-là, propose une nouvelle approche théologique qui remet en cause
les commentaires de la tradition classique élaborée il y a plusieurs
siècles par Tabari, Ibn Khatir, Suyyuti… reconnus par les fouqaha comme
des autorités religieuses incontestables. Il critique les oulémas du
passé, et surtout ceux de l’époque contemporaine, pour leur ignorance
des subtilités de la langue arabe et pour leur indifférence aux progrès
enregistrés par la pensée humaine depuis mille ans. Il appelle à une
relecture radicale du Coran, affirmant que celui-ci ne s’explique pas
(ce qu’ont fait sans succès les spécialistes du ‘ilm et-tafsir) ; il
s’interprète (ta’wil) avec l’herméneutique à la lumière des
connaissances disponibles en philosophie, en linguistique, en
sociologie, en histoire, etc. L’interprétation est d’autant nécessaire,
affirme-t-il, que la langue arabe, dans laquelle a été révélé le Coran,
est une langue construite sur la structure sémantique des mots et non
sur leur précision lexicographique. Ceci constitue une richesse
linguistique qui donne à l’arabe sa propension à l’imaginaire, sa force
d’abstraction et ses qualités poétiques.
La conclusion que tire l’auteur est que, si on ne maîtrise pas
parfaitement la langue du Coran, on ne peut pas comprendre ses
subtilités que le tafsir classique n’a pas perçues. Shahrour se réfère
aux travaux des philologues anciens et des linguistes modernes pour
montrer que le sens de plusieurs concepts a été déformé par des
générations d’oulémas qui, pendant des siècles, ont répété les mêmes
erreurs. Il cite les spécialistes de la langue arabe pour soutenir sa
thèse : Ibn Ahmed al Farahidi al Khalil, mort en 791 ; ‘Amr ben ‘Uthmane
Sibawayh, mort en 793 ; Abou Ali al Farissi, mort en 987 ; Abou al Fath
‘Uthman al Jinni, mort en 1002 ; Abdou al Qahir Ibn Abderrahman, mort en
1078… Pour appuyer son argumentation, il a recours à une analyse
philologique des mots du Coran dont il rappelle le sens lexicographique
pour découvrir la signification réelle de la parole divine. Il se
focalise sur certains concepts du texte sacré (livre, islam, imane,
forqane, nissa…) qu’il analyse pour ébaucher une exégèse nouvelle qui
permet, selon lui, une meilleure compréhension du texte sacré.
Dans cette perspective, il esquisse une conception qui remet en cause la
validité du corpus religieux qui a fait autorité pendant des siècles.
Les mots «islam» et «imane» ne doivent pas être confondus, dit-il,
indiquant que ces deux concepts ne sont ni identiques ni équivalents.
Dans le verset 33 35, Dieu parle «aux mouslimoune et mouslimate et
mou’minoune et mou’minate» comme s’il se répétait. En réalité, dit
Shahrour, Dieu ne se répète pas, et dans ce verset, Dieu s’adresse à
toute l’humanité (mouslimoune) et aux membres de la communauté de
Mohammed (mou’minoune). En ne relevant pas cette nuance fondamentale, le
tafsir des oulémas est passé à côté de la richesse conceptuelle de la
différence entre mouslim et mou’mine. Les oulémas n’ont pas compris le
mot «islam», le confondant avec le mot «imane», contredisant l’esprit et
la lettre du Coran. De là, les mouslimoune sont à distinguer des
mou’minoune, c’est-à-dire ceux qui ont adhéré au message du prophète
Mohammed, le dernier des envoyés de Dieu.
Le titre de son ouvrage majeur est Al Kitab oual Qora’an (Le Livre et le
Coran) où il défend la thèse que ces deux mots sont différents et n’ont
pas la même signification, affirmant par ailleurs qu’en arabe, la
synonymie n’existe pas. Il discerne dans la parole de Dieu révélée à
Mohammed deux aspects. Le premier — le Livre — s’adresse à toute
l’humanité et porte sur la transcendance et les questions métaphysiques
: la vie et la mort, le début et la fin du monde, l’enfer et le paradis,
etc. Les versets qui traitent de ces thèmes sont immuables et atemporels
et intéressent tous les êtres humains quelles que soient leur culture et
leur époque historique. Le second aspect de la révélation est le Coran
proprement dit qui contient les recommandations morales et rituelles
destinées à la communauté de Mohammed qui est simultanément prophète et
messager. Le message historicise la transcendance en la transformant en
immanence, traduisant l’abstrait en concret et donnant à l’universel une
de ses manifestations particulières et contingentes.
Cette division du texte sacré en deux domaines a pour objectif de
séparer les dimensions métaphysique et historique du Coran, soumettant
la seconde à la raison dans le respect de deux principes doctrinaux : la
révélation ne contredit pas la raison et elle ne contredit pas la
réalité.
La distinction islam-imane, correspondant à celle de prophétie-message,
est centrale dans la pensée de Shahrour qui insiste sur l’universalité
de la transcendance divine à qui les hommes donnent une signification en
fonction de la culture de leurs époques et de leurs pays respectifs. Un
Suédois, un Congolais, un Mexicain… n’est pas un infidèle, un ennemi
d’Allah dès lors qu’il respecte les valeurs morales minimales de
l’humanité : ne pas tuer, ne pas voler, interdiction de l’inceste, etc.
Sur la base d’une exégèse du verset 33, 35, Shahrour tente de montrer
que, d’après le Coran, l’islam est une religion naturelle (din el fitra),
celle de l’humanité, et que les musulmans sont tous les êtres humains
qui se conduisent moralement et qui participent au bien-être et à la
richesse de leurs sociétés respectives.
L’islam comme éthique et comme morale a existé, avance-t-il, avant
Mohammed, réfutant la théorie de la jahiliya qui présente l’époque
antérieure à l’avènement du Coran comme étant celle de la barbarie. Les
sociétés arabo-musulmanes ont enseigné à leurs membres pendant des
siècles que la jahiliya est l’ignorance et l’immoralité de nos ancêtres,
présupposant par ailleurs que toute personne n’appartenant pas à la
communauté de Mohammed demeure dans la jahiliya. Ceci les a conduits à
s’isoler du reste de l’humanité et à cultiver un sentiment de
supériorité qui leur a été fatal et qui explique en partie leur retard
culturel par rapport aux pays développés. En s’en prenant à
l’ethnocentrisme religieux, Shahrour réhabilite l’égalité entre les
hommes quelles que que soient leurs religions respectives. Il n’y aurait
aucune raison à diaboliser un homme ou une femme sous le prétexte qu’il
n’appartient pas à la communauté de Mohammed. Du fait qu’il est créé par
Dieu, tout individu a comme capital social sa dignité et est porteur
d’une conscience morale. «Tout acte moral réalisé par n’importe qui dans
le monde appartient au domaine de l’islam. Ceux qui ont suivi la rissala
de Mohammed n’ont pas le monopole de la droiture morale. Al imane est
venu après l’islam et non l’inverse» (69), écrit Shahrour pour qui les
musulmans, ce sont les Américains, les Chinois, les Mexicains…
lorsqu’ils accroissent le bien-être dans leurs sociétés respectives.
Allah n’est pas le Dieu des seuls Arabes ; il est celui de toute
l’humanité.
Il va même plus loin, en soulignant que l’illusion de la supériorité
morale qu’ont les sociétés arabo-musulmanes cache leur retard éthique
par rapport à d’autres peuples, estimant qu’elles sont en-deçà de ce que
demande le Coran. Il écrit : «Si nous prenons l’exemple de l’Égypte en
regardant ce qui se passe dans ce pays, nous constaterons que l’islam a
presque disparu… A l’inverse, dans d’autres pays soi-disant non
musulmans, l’islam est partout parce que dans ces pays, la richesse et
le bien-être augmentent, dépassant les soi-disant pays musulmans de
plusieurs centaines de kilomètres» (p. 69). Sur la base du critère du
développement, de la sociabilité, de la civilité dans les espaces
publics et des droits civiques, Shahrour conclut que les sociétés
arabo-musulmanes ont décroché de la religion naturelle (l’islam) au vu
des violations de droits de l’homme, de la corruption, de la saleté dans
les rues, du bas niveau de l’enseignement, de l’état des hôpitaux, etc.
Les sociétés arabo-musulmanes, suggère-t-il, sont en attente d’une
réforme religieuse avant toute réforme économique ou politique pour
moderniser la lecture du Coran afin de fonder la société sur les
mou’amalate (les rapports sociaux) et non les ‘ibadate (les obligations
rituelles).
Cette posture aura des conséquences à l’intérieur des sociétés
arabo-musulmanes invitées à ne pas apprécier leurs membres sur les
seules obligations rituelles. Si un individu fait la prière, observe le
jeûne du Ramadhan…, il le fait pour lui-même et ne rend aucun service à
la société. Par contre, s’il est exigeant sur le lieu du travail par une
meilleure productivité, s’il paye ses impôts et milite dans un parti ou
un syndicat pour le bien-être de la collectivité, il mérite du respect.
Les oulémas dans leurs prêches, suggère Shahrour, doivent insister sur
les mou’amalates et non les seules ‘ibadate.
Parler des obligations rituelles, de la mort, du paradis, de l’enfer…
contribue à apaiser l’âme des croyants sans que cela résolve aucun des
problèmes politiques et sociaux auxquels sont confrontés les pays
arabo-musulmans.
«En un mot, un véritable réveil islamique implique la défense des
valeurs morales et sociales qui renforcent la société civile à travers
les organisations caritatives, les syndicats, les unions
professionnelles, les ONG, les corporations d’intérêt économique, les
groupes d’entre-aide, les défenseurs des droits humains.
Malheureusement, les oulémas des différentes générations ont échoué à
faire de l’islam une religion pratique et universelle. Ils ont préféré
promouvoir le mimétisme dans le rituel (‘ibadate) et une mentalité de
transit de ce monde vers l’au-delà, ce qui est une forme de fuite de
responsabilités face au devoir de guider les gens pour réaliser leurs
aspirations». (p. 68).
La démarche de Shahrour est une lecture audacieuse du Coran dans lequel
il trouve une inspiration pour moderniser le discours religieux et le
mettre au niveau des connaissances contemporaines et de l’éthique
post-coranique. Sous l’influence du philosophe néo-kantien Alfred
Whitehead qu’il a lu lors d’un séjour académique en Irlande, Shahrour
fait la part de ce qui est divin et de ce qui est humain, de ce qui est
métaphysique et de ce qui est sociologique. Dans cette perspective, il
perçoit la sunna de Mohammed comme un ijtihad, un effort pour organiser
la société à l’ombre de l’éthique contenue dans le texte sacré. Mohammed
a tenu compte de l’époque et de la culture des communautés de la
péninsule arabique du VIIe siècle pour traduire en recommandations
l’esprit de la parole divine. L’historicité du Coran — distingué du
Livre — est la thèse centrale de Shahrour qui élabore un nouveau cadre
théorique pour interpréter les versets coraniques à l’aide des
connaissances scientifiques. Sur cette base, tout le droit musulman est,
selon lui, à reconstruire en tenant compte de l’esprit d’équité de la
parole de Dieu compatible avec l’évolution des mentalités des hommes et
des femmes et de leurs aspirations à la dignité et à l’égalité.
Les jurisconsultes ont mal compris de nombreux versets — sur la femme,
l’héritage, les punitions corporelles, etc. – et c’est sur cette
mauvaise compréhension que le fiqh a été élaboré en deçà de ce que Dieu
attend des hommes. Shahrour tente de montrer que plusieurs mots du Coran
ont été mal compris par les fouqaha, notamment nissa, islam, imane,
forqane, huddud… Par exemple, ce dernier mot renvoie au cadre
méthodologique de la recommandation légale, cadre appelé les limites (huddud)
que les fouqaha ont compris comme punitions corporelles. Dieu a établi
les limites inférieures et supérieures qui permettent de juger le
caractère licite (ou illicite) d’un comportement. Le verset où il est
question de couper la main du voleur n’est pas une injonction à amputer
la main du délinquant. Il pose une limite supérieure en rappelant que
pour le vol, la punition ne peut pas aller au-delà de l’amputation et
rien n’oblige le juge à aller jusque-là. Le même verset rappelle que si
le délinquant reconnaît sa faute et se repentit, Dieu lui pardonne.
L’autre idée centrale développée par Shahrour est celle de la nécessité
de relire le texte sacré à la lumière des progrès intellectuels
enregistrés par différentes cultures. «Il faut lire le Coran,
répète-t-il, comme s’il avait été révélé hier», c’est-à-dire après les
conquêtes de la philosophie, de l’histoire, de l’anthropologie, de la
science politique, de l’économie politique, de la psychanalyse, etc. En
restant attaché à la culture des VIIe-Xe siècles, les oulémas se sont
privés de la capacité de comprendre le Coran. Refusant l’historicité de
son interprétation, ils ont sacralisé les commentaires des anciens et
bloqué le niveau des connaissances scientifiques à ce qu’il était au
VIIe siècle, d’où le retard dans tous les domaines de la vie sociale et
politique. Certes, le Coran est fixe et intemporel, écrit Shahrour, mais
sa compréhension dépend du niveau culturel de ceux qui le lisent. On ne
peut pas discuter de l’interdiction de l’usure contenue dans le Coran si
on ne connaît pas la théorie du surproduit de Adam Smith, celle de la
rente de David Ricardo ou encore celle de la valeur-travail de Karl
Marx. Non que ces théories invalident l’enseignement du Coran ; au
contraire, elles permettent de mieux comprendre pourquoi Dieu a interdit
l’usure, concept totalement différent de celui de l’intérêt que la
science économique définit comme la rémunération du capital dans un
monde rareté des biens régulé par la concurrence. Lorsque Ricardo
analyse la rente comme un revenu illégitime, ne fait-il pas preuve du
souci éthique de l’islam ? Les oulémas savent-ils que la rentre
pétrolière de laquelle de nombreux pays musulmans tirent leurs revenus
n’ajoute rien à la richesse mondiale ? Savent-ils que c’est un transfert
et non une création de richesses ? L’éthique du Coran encourage-t-elle
la création des richesses ou leur consommation sans effort ? Shahrour
invite les sociétés arabo-musulmanes à s’ouvrir aux sciences sociales
pour revivifier l’éthique contenue dans le Coran.
De façon implicite, il emprunte une démarche kantienne en séparant la
métaphysique de l’histoire et en appelant à découvrir la raison pratique
(l’éthique) du Coran en ayant recours à la raison pure de la science.
Nous retrouvons dans cette pensée la double dimension morale et
cognitive de l’action humaine menacée par le mal radical issu de
l’inconscience. L’individu est un être moral qui porte en lui le bien et
le mal, ce dernier issu de l’amour de soi et de l’ignorance. La raison
pure, celle à l’œuvre dans la science, aide l’homme à prendre conscience
de sa responsabilité et à l’aider à réaliser les objectifs de la raison
pratique qui est en lui.
A l’état implicite dans la pensée de Shahrour, ces éléments de la
philosophie morale sont indispensables pour la reconstruction du droit
musulman sur des bases anthropologiques éclairées par la raison pratique
et la raison pure, deux concepts fondamentaux mis au point par Kant.
Dieu a voulu que l’humanité progresse sur les plans moral et
scientifique et a voulu que l’homme obéisse au texte sacré en tenant
compte des avancées intellectuelles réalisées par les différents peuples
qui composent l’humanité.
Un des principaux concepts du Coran, souligne-t-il, est forqan, défini
comme la capacité donnée par Dieu à l’homme pour distinguer ce qui est
bien de ce qui est mal. Cela signifie que l’homme est responsable de ses
actes et que tous les discours sur la prédestination (le fameux mektoub)
n’ont aucun fondement.
Reposant sur le postulat de la liberté de l’homme qui a la capacité de
choisir entre le bon et le mauvais chemin, cette conception est
confirmée par le verset du Coran que cite Shahrour : «Tout bien qui
t’atteint vient d’Allah et tout mal qui t’atteint vient de toi-même. Et
Nous t’avons envoyé, Ô Mohammed, aux gens comme Messager. Et Allah
suffit comme témoin» (4, 79). N’est-ce pas là le fondement de la
philosophie morale kantienne ? A travers le concept de forqane, l’islam
est une éthique qui articule les valeurs transcendantales aux valeurs
morales qui fondent la société humaine. La construction intellectuelle
de Shahrour a pour objectif d’esquisser une nouvelle formulation de
l’éthique des sociétés arabo-musulmanes et de la relier à l’éthique
universelle avec laquelle elles ont rompu en enseignant une mauvaise
interprétation du Coran.
Comme il fallait s’y attendre, les écrits de Shahrour ont suscité des
réactions hostiles de la part des oulémas menacés dans leur légitimité à
posséder la science et les normes morales. Une vingtaine d’ouvrages et
une centaine d’articles ont été publiés par des oulémas pour le réfuter.
Si certains ont essayé de le contredire avec des arguments théologiques
puisés dans la tradition établie, d’autres ont été véhéments et l’ont
accusé d’être un marxiste, matérialiste, darwinien… soumis à l’influence
des idées occidentales avec pour objectif de détruire l’islam.
La palme revient à l’islamiste officiel du régime syrien, Mohamed Saïd
al-Bouti qui l’a accusé d’être à la solde d’une organisation sioniste !
Rappelons que Ibn Roshd, de son vivant, avait essuyé des insultes aussi
violentes de la part de hanbalites déchaînés. Accuser d’ignorance les
oulémas dans les sociétés arabo-musulmanes comporte toujours un risque,
mais cette fois-ci la charge était formulée sur la base d’une exégèse du
Coran qui puise son inspiration chez les mu’tazilas de l’âge d’or de
l’histoire de l’islam. Même en Arabie Saoudite, les autorités
religieuses n’ont pas osé interdire son livre, tant il montre un profond
respect pour la parole divine. Sans exagération aucune, l’œuvre de
Shahrour est la première interprétation intellectuelle du Coran depuis
l’époque d’Ibn Sina et Ibn Roshd, renouant avec une tradition
philosophique qui a été perdue depuis au moins le XIIe siècle.
En s’en prenant aux oulémas — qui forment un quasi-clergé —, il rappelle
un certain Martin Luther qui avait accusé le clergé catholique de
déviations et qui a été à l’origine du schisme protestant dans la
chrétienté latine. Mais Luther avait attiré à lui la bourgeoisie
naissante d’Europe du nord à la recherche d’un puritanisme qui ne
rejette pas l’accumulation des richesses terrestres.
Les sociétés arabo-islamiques contiennent-elles en leur sein des groupes
sociaux aspirant à une interprétation moderne du Coran ? Car l’histoire
ne se fait pas par des individus, aussi brillants soient-ils. Elle se
fait lorsqu’émergent des groupes sociaux déterminés à réformer l’ordre
ancien.
Ibn Khaldoun a été l’un des plus grands génies du XIVe siècle, mais il
n’a eu aucun impact sur l’histoire politique et intellectuelle du
Maghreb parce que son explication profane de l’action sociale
n’intéressait personne. Espérons que Shahrour aura un destin historique
différent.
L. A.
(*) Professeur de sociologie à l’IEP de Lyon. Ce texte est un extrait
d’un ouvrage en préparation sur la crise du discours religieux musulman.
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