Contribution : Réflexion sur la participation algérienne aux jeux olympiques
Par Dr Boualem Chachoua,
ophtalmologiste, ancien international
et ancien président de la FABB
Cette réflexion ne se veut nullement une critique, mais plutôt une
contribution afin d’engager un débat sérieux et serein sur l’état du
sport en Algérie. Elle vient après les Jeux olympiques, car un débat
malsain est en train de s’installer.
Il y a lieu d’enclencher un débat honnête et sincère sur le pourquoi de
la situation dans laquelle se trouve le sport algérien et que l’on
puisse, une bonne fois pour toutes, dans la sérénité et sans passion,
trouver les voies et les moyens de faire avancer le sport en Algérie.
Nous portons tous dans nos tripes l’Algérie et nous voulons le meilleur
pour notre pays comme l’ont voulu ceux qui ont donné leur vie pour le
libérer et pour que nous puissions vivre dans la dignité et la
prospérité. Les résultats obtenus par les athlètes algériens aux Jeux
olympiques de Londres, puis de Rio suscitent de nombreux commentaires.
Ils ne sont que la conséquence de la politique sportive menée pendant
plusieurs années. Les différents articles parus dans certains journaux
m’amènent à prendre part à ce débat, qui, à mon avis, aurait dû prendre
de la hauteur et contribuer à élever le niveau du sport algérien. Il ne
s’agit pas de s’attaquer à des personnes, mais plutôt de faire un bilan
sans complaisance et loin de toute animosité afin de faire des
propositions sérieuses, à même de sortir le sport algérien du marasme
dans lequel il se trouve. Cet article reprend plusieurs points du
constat que j’avais fait après les Jeux olympiques de Londres et remis
en son temps aux responsables du sport algérien (ministre de la Jeunesse
et des Sports, président du COA, cadres du mouvement sportif) Concernant
notre participation aux derniers Jeux olympiques, je commencerai par
dire que le nombre d’athlètes engagés à ces jeux est en nette
progression par rapport à ceux de Londres mais en régression par rapport
aux éditions précédentes. Nous sommes passés de 76 participants en 2004
à 39 en 2012 et de 39 à 64 participants en 2016. Il n’y a, à mon avis,
aucun reproche à faire aux athlètes qui ont pris part à ces jeux, car
ils sont passés par des épreuves de qualification et leur niveau est un
niveau mondial.
Les questions qu’il faut, à mon avis, se poser sont :
- Pourquoi seulement 64 athlètes qualifiés (dont 18 footballeurs) ?
- Pourquoi l’Algérie n’arrive toujours pas à former des athlètes de
niveau mondial ? La sonnette d’alarme aurait dû être tirée par les
autorités responsables du sport déjà au vu des résultats obtenus aux
Jeux méditerranéens de Pescara (nous sommes passés de 8 médailles d’or,
4 en argent et 13 en bronze à Almeria à 2 en or, 3 en argent et 13 en
bronze à Pescara), puis des Jeux africains (où nous sommes passés de la
1re place en 2007 à la 5e en 2011) et aux Jeux sportifs arabes des
premières loges avec 128 médailles en 2007 au Caire à la 7e place aux
derniers jeux).
Aucune conclusion suivie d’effet n’a vu le jour. Comment donc
pourrions-nous briller dans des jeux, qui, comme je l’ai dit
précédemment, sont d’un tout autre niveau ? Le sport algérien avait
connu une progression lente mais constante entre 1968 et 1975 car elle a
été rationnellement préparée. Les Jeux universitaires maghrébins de 1968
organisés à Alger ont été le début d’un cycle. Les Jeux méditerranéens
de 1975 avec les résultats que l’on connaît, puis les Jeux africains de
1978 ont montré une véritable évolution du sport algérien. Ces
manifestations avaient été programmées par des dirigeants algériens avec
des athlètes passés par les camps El Amel, la commune éducative, l’EMEPS
où furent formés de véritables combattants. Il y eut aussi le
regroupement permanent des athlètes d’élite. C’était aussi du temps où
notre pays avait le premier centre de médecine du sport en Afrique.
C’était aussi le temps où nous avions des centres de regroupement des
équipes nationales : les Creps de Aïn Turk, le Creps de Constantine, les
Groupes laïques, le Cneps et surtout Seraïdi qui était jusqu’à
dernièrement livré aux moutons et aux bovins. L’équipe nationale de
football de 1982 ne fut que l’aboutissement d’un long processus commencé
dans les écoles de l’OMR, du NAHD, de l’USMA, du Mouloudia, de l’ASMO,
du MOC, de l’ESS, etc. Ces footballeurs ont eu comme initiateurs El
Kamel, Khabatou, Belamine, Snella puis se sont perfectionnés avec
Mekhloufi, Soukane à l’EMEPS, puis Khalef et Saâdane. Il leur a été
adjoint des joueurs de qualité, titulaires dans des grands clubs,
notamment en France tels Dahleb, Korichi, Mansouri, Maroc… Aujourd’hui,
nous sommes incapables d’aligner une équipe nationale de football
performante avec des joueurs formés en Algérie (99% formés dans les
centres de formation français). Il faut leur être reconnaissant :
1 - Pour «le choix du cœur», celui d’avoir rejoint l’équipe nationale de
leur pays.
2 - Pour toutes les joies qu’ils ont apportées à leur peuple et les
joies à venir.
Nous n’arrivons pas encore à avoir une pelouse en bon état.
La refonte du sport en Algérie doit passer par une réforme profonde : je
ne donnerai là que les grandes lignes :
- Sur le plan des textes réglementaires
- Sur le plan organisationnel
- Sur le plan infrastructurel
A /Sur le plan réglementaire :
1/ Fédérations-ligues-composantes des assemblées générales
Nous avons vu apparaître plusieurs textes régissant les fédérations,
mais aucun texte réglementant l’activité des ligues. Contrairement aux
fédérations, aucun niveau n’est exigé pour diriger une ligue. Certaines
sont dirigées par des nababs (des dizaines d’années pour certaines) et
ne reconnaissent pas leur situation de structures décentralisées des
fédérations. On entretient chez elles volontairement la confusion,
qu’elles dépendent des DJS (Direction de la jeunesse), vu qu’elles en
reçoivent des subventions. Elles refusent d’appliquer les directives des
fédérations et se remettre ainsi au travail, quand elles ne sont pas
utilisées pour déstabiliser une fédération qui ne caresse pas dans le
sens du poil la tutelle ou «qui ose ne pas être d’accord» avec elle,
concernant des décisions allant à l’encontre du bon sens. La situation
des ligues régionales doit être sérieusement pensée. Elles ne peuvent
pas obtenir de subventions car leur situation ne répond pas au découpage
administratif du pays. La composante des assemblées générales des
fédérations doit être revue. La participation aux AG doit obéir à des
critères bien définis.
2 - Prise en charge des athlètes «d’élite» : La prise en charge des
athlètes d’élite ne se résume pas à leur prise en charge uniquement la
veille des compétitions (les Jeux olympiques de 2024 se préparent dès
aujourd’hui). Dès qu’un athlète d’élite potentiel est détecté, dès son
jeune âge, il doit être entièrement pris en charge sur tous les plans :
préparation, suivi médical et psychologique, formation, études,
logement, etc., car il s’agit d’un véritable investissement, notamment
dans les disciplines pourvoyeuses de médailles olympiques tels
l’athlétisme, la natation, la boxe, le judo, la gymnastique, l’escrime,
le tir. Les classes sport-études doivent être encouragées et
sérieusement suivies et les critères pour y entrer doivent être
rigoureux. Des centres de formation pour les athlètes des sports
collectifs doivent être encouragés et aidés. Les clubs ne formant plus
d’athlètes de haut niveau, cette tâche peut être déléguée aux
fédérations spécialisées en créant des académies, de même que des
anciens sportifs peuvent investir dans les centres de formation dans
toutes les disciplines. Hydra, avec ses jeunes footballeurs, est
l’exemple dont on peut s’inspirer. Il faudra penser à revenir aux
regroupements permanents des athlètes «de performance». Réhabiliter le
centre de médecine des sports et lui donner tous les moyens pour le
suivi et le contrôle des athlètes .
B - Sur le plan organisationnel :
1 - Reprise de la formation et revalorisation de la fonction
des enseignants d’éducation physique et sportive.
2 - Relance du sport scolaire et universitaire : L’éducation physique
doit être une matière obligatoire au même titre que les mathématiques,
les sciences fondamentales ou les langues ; elle doit commencer dès le
primaire. Les dispenses ne doivent être qu’exceptionnelles et dûment
motivées. Par le passé certains lycées se sont fait connaître par une
pratique sportive : El Idrissi pour le handball, Okba pour le basket,
etc.
3 - Le sport de masse : une obligation doit être faite aux APC afin
d’aider les associations de quartier et de prévoir la construction et
l’entretien d’aires de jeux.
Elles doivent aussi aider à la formation d’éducateurs. Nous connaissons
tous des villes de par leur renommée dans une discipline sportive : El-Harrouch
et Skikda pour le handball, Béni-Saf pour le basket, Chlef et Tlemcen
pour le volley-ball, etc. Les cross des APC nous ont révélé Sakina
Boutemine, Morcelli, Boulmerka, etc. L’EMEPS a permis l’éclosion de
Habchaoui et bien d’autres athlètes
4 - Séparer définitivement la gestion du sport amateur du sport
professionnel. Les clubs professionnels, organisés en sociétés par
actions doivent vivre de leurs propres ressources et avoir des centres
de formation ; l’aide de l’Etat étant apportée par les collectivités
locales, notamment pour ce qui est de la mise à leur disposition de
l’infrastructure.
Il faut s’abstenir de prise de décisions hâtives ; l’exemple le plus
édifiant est le passage entre juin et septembre du statut de clubs
sportifs amateurs, à celui de 32 clubs professionnels avec comme
corollaire des charges financières énormes pour des associations qui
peinaient déjà à survivre, donc faillite garantie. Dans tous les grands
pays une transition a été faite avec quelques clubs, quelques joueurs
professionnels, d’autre semi-professionnels, le reste de l’équipe était
composé de joueurs amateurs. Le sport professionnel géré par une
structure spécifique doit arriver à s’organiser sur ses propres deniers
selon un cahier des charges bien défini et l’Etat doit veiller à son
respect (les lois existent). Les lois organisant le sport professionnel
doivent être appliquées et respectées par tous les acteurs du sport
professionnel. L’élévation du niveau de pratique redonnera alors au
sport son aspect «spectacle» et ramènera les spectateurs. Les
fédérations spécialisées et leurs structures décentralisées doivent
s’occuper du sport amateur et les subventions accordées par l’Etat ne
doivent pas être détournées de leur destination, celle de l’animation et
de la formation et non pas être versées comme salaires à des athlètes
«amateurs».
C/ Sur le plan infrastructurel : L’Algérie ne doit pas se lancer
dans la construction de grands complexes sportifs : des stades
olympiques de 45 000 places et plus, mais dans des petites structures
fonctionnelles ayant toutes les commodités pour une pratique sportive
saine. Mis à part le MCA, l’USMA, l’ESS, la JSK, le CSC et le MCO, quels
sont les clubs qui peuvent vous remplir un stade de 45 000 places ? Il
est curieux que notre pays construit des milliers d’écoles, de CEM, de
lycées, d’universités mais peu d’entre elles sont accompagnées de salles
de sport ou de terrains pour les sports collectifs. Ce qui nous aurait
permis de mettre à la disposition des équipes des centaines d’aires
d’entraînement pouvant être utilisées en dehors des heures de cours. A
bien regarder le classement de la majorité des athlètes ayant pris part
au JO de Rio, ils sont classés parmi les meilleurs athlètes du monde ;
ils n’ont nullement démérité car certains ont eu des tirages au sort
défavorables, (comme en judo, et certains en boxe). Les résultats
obtenus à Londres puis à Rio ne sont que la conséquence de l’échec de la
politique sportive menée et doivent nous inciter à nous regrouper et
réfléchir aux voies et moyens qui nous permettraient de représenter
dignement notre pays au JO de 2020 et surtout 2024, car pour ce qui est
de la préparation pour ceux de 2020, nous sommes déjà en retard. Nous
n’avons nullement besoin de querelles de personnes mais plutôt de nous
mettre au travail. Comment obtenir des résultats de haut niveau quand la
majorité des disciplines olympiques n’arrivent pas à augmenter le nombre
de pratiquants, quand il n’a pas diminué pour beaucoup d’entre elles?
Les pays ayant obtenu de bons résultats au Jeux olympiques y ont
participé avec plusieurs centaines d’athlètes. Il faut certainement
féliciter Makhloufi pour ses médailles d’argent au 1500 m et au 800 m,
bien sûr qu’il faut investir encore sur Bourada, Lahoulou, Keddar et le
autres athlètes ; il faut penser maintenant à leur donner plus de moyens
pour continuer leur progression, mais aussi de créer autour d’eux un
noyau de jeunes athlètes qui nous feront connaître d’autres joies. Il
faut sortir de l’Algérie bilad el mouadjizat et entrer de plain-pied
dans l’Algérie du travail, de l’ijtihad, l’Algérie pour laquelle se sont
sacrifiés nos glorieux martyrs. Il faut mettre fin à l’exclusion de
toutes les forces vives de notre nation, mises en marge du mouvement
sportif algérien parce qu’elles ont osé dire des réalités.
Certaines questions méritent d’être posées :
- Combien d’anciens athlètes d’élite sont devenus formateurs ?
- Combien d’anciens illustres internationaux sont devenus entraîneurs ou
dirigeants d’associations ?
Je ne veux citer aucun nom car j’en oublierai certainement beaucoup. Il
y en a qui ne sont même pas connus des nouvelles générations, disparus
donc dans l’anonymat. Il faut que notre jeunesse apprenne à travailler,
à se cultiver et à rêver, à rêver du meilleur pour notre nation et
surtout à être fiers de leur algérianité. Des assises nationales
consacrées au sport sont à mon avis une urgence afin de dégager une
bonne fois pour toutes une politique sportive à même d’assurer un
développement cohérent du sport algérien. Suite à cette modeste analyse,
j’ai essayé de reprendre d’une manière succincte certains points, qui, à
mon avis, méritent d’enclencher un débat constructif, afin d’arriver à
des assises du sport, qui sont une urgence et qui regrouperaient tous
les cadres du mouvement sportif algérien sans exclusive.
Recommandations : il nous faut :
1. Considérer l’enseignement de l’éducation physique comme la base de
tout développement sportif
Introduire l’enseignement de l’EPS jusque dans le préscolaire afin
de favoriser un développement psychomoteur harmonieux de l’enfant.
2. Favoriser l’animation sportive de masse au sein de l’ensemble
des établissements scolaires, universitaires et autres institutions
éducatives, notamment les maisons de jeunes.
- Améliorer l’organisation de grandes manifestations sportives de masse
chaque année.
- Déployer des efforts particuliers en direction des jeunes handicapés
en vue de contribuer au moyen d’activités physiques et récréatives à
leur insertion sociale.
3. Sport de performance :
- Le sport de performance doit être considéré comme le moyen
permettant à chaque jeune, doué pour une activité sportive, de se
réaliser pleinement et d’atteindre un niveau de performance maximum,
sans que préjudice soit porté à sa santé.
- Il faut insister dans ce cadre sur l’éducation morale du sportif de
performance pour qu’il puisse constituer un exemple pour l’ensemble de
la jeunesse.
- D’où la nécessité de mettre sur pied un vaste programme de prospection
et de détection des jeunes talents.
- La relation entre le sport de masse et le sport de performance n’en
sera que plus harmonieusement établie.
- Améliorer constamment le niveau de l’encadrement et du contenu des
programmes de préparation des athlètes.
- Améliorer l’organisation de la médecine du sport dans le cadre de la
préparation des athlètes.
- Accorder une attention soutenue aux problèmes de formation,
d’insertion et de promotion socioprofessionnelles des athlètes, en
tenant compte des exigences de la pratique sportive de haut niveau afin
de protéger et valoriser à la fois l’athlète, l’étudiant, le travailleur
et l’homme.
4. Formation de cadres :
- Mettre en place un programme de formation de cadres répondant aux
besoins différenciés : enseignement de l’EPS, animation sportive de
masse, récréation sportive, sport compétitif et sport de performance. -
Encourager la formation de formateurs et chercheurs dans le domaine du
sport.
- Favoriser la formation de médecins du sport, de kinésithérapeutes, de
diététiciens.
- Développer la formation de journalistes et reporters sportifs.
- Former des cadres gestionnaires et personnels d’entretien des
complexes sportifs, piscines, salles, etc.
En conclusion : Tout ce qui précède démontre l’échec de la politique
sportive menée ces dernières années, car ne répondant à aucune logique
et construite sur l’exclusion. Et dire que ces recommandations ont été
faites par des cadres algériens, qui, pour la plupart, se sont éloignés
du mouvement sportif algérien, car marginalisés. En réalité, les
recommandations suscitées sont pour la plupart tirées du projet de
rapport sur la politique de la jeunesse, présenté à la 7e session du
comité central du parti du Front de libération nationale de mai 1982.
C’était il y a 34 ans ! La réforme sportive ne peut être dissociée d’une
nouvelle approche de la politique de la jeunesse. Elle ne peut se faire
qu’en étroite collaboration avec les différents ministères (Santé,
Intérieur, Formation professionnelle, Education nationale, MDN,
Justice), les organisations de jeunes et les organisations
estudiantines.
Ceci engendrerait une dynamique nouvelle pour le bien de notre jeunesse
et de notre pays. En espérant que cette modeste contribution servira à
lancer un débat constructif qui attirera l’attention des décideurs et
que le mouvement sportif algérien puisse apporter sa contribution pour
que Kassaman retentisse plus souvent dans les arènes sportives.
B. C.
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