Chronique du jour : Ici mieux que là-bas
La source
Par Arezki Metref
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L’autre
jour, j’ai retrouvé un vieil ami que je n’avais pas revu depuis
plusieurs années. Je l’ai connu au début des années 1970, années où lui
et moi faisions nos premiers pas dans le journalisme. Il a poursuivi une
carrière brillante dans le journalisme plutôt culturel d’abord en
Algérie et puis, à la fin des années 1980, à l’étranger. De ce gars que
j’ai connu jeune, il reste le bosseur pourvu d’une profonde honnêteté et
d’un esprit critique salvateur et souvent humoristique, qu’il tourne
d’abord contre lui-même. Evidemment, nous nous sommes épanchés sur le
passé comme le font deux personnes qui se retrouvent après une longue
absence. Inévitablement.
Nous avons aussi bavardé sur le présent. Mais, oui ! Ça ne pouvait pas
louper. Faut dire que cette rencontre s’est déroulée le jour même où
nous avons appris par une presse plutôt sibylline la «démission» d’Ammar
Saâdani de la responsabilité de secrétaire général du FLN. Première et
unique question : est-ce un événement important ? Autrement dit : est-ce
une véritable inflexion ? Et sur quoi ?
Nous étions, l’un comme l’autre, infichus de saisir avec précision
l’entrelacs de faisceaux plus ou moins opaques qui ont conduit un homme
qui, deux, trois jours auparavant, paraissait au sommet de sa puissance
jubilatoire à venir piteusement, les oreilles basses, mentir devant les
cadres du FLN qui ne sont pas dupes, en leur disant qu’il doit se
retirer pour des raisons de santé.
Intuitivement comme par connaissance des pratiques occultes en vogue
dans le royaume, on sentait bien que les propos de Saâdani étaient de
gros bobards et qu’en réalité, il s’agissait d’un dégommage express.
Restait à savoir le plus important, qui se décline en deux questions
adventices.
La première : pourquoi cette salve d’attaques contre des personnages
comme le général Toufik et Belkhadem ? La deuxième : pourquoi le retour
de bâton a-t-il été si fulgurant ?
Logiquement, c’est aux commentateurs politiques de nous le dire. C’est
au moment où nous en étions à déplorer cette carence que mon pote s’est
adonné en live à un exercice d’autoflagellation sans doute inspiré par
une exigence de perfectionnisme.
«J’aurais voulu être un commentateur politique», lâcha-t-il dans un
souffle de regret. «Mais un vrai de vrai. Pas un qui fourgue en guise de
commentaire son humeur, parfois massacrante. Pas un dont la fonction se
réduit à régurgiter presto les éléments de langage de marionnettistes
planqués dans l’ombre qui font la pluie et le beau temps. Pas un qui
tisse du vent avec du vent et qui, autosatisfait, brade tout cela en
faveur d’un auditoire béat de crédulité.
Non, un vrai de vrai. Informé et libre. Ou plus exactement, le plus
informé possible et le plus libre possible.»
Je lui fais observer tout de même que s’agissant d’information et de
liberté, tout est relatif. Dans quelque système que ce soit, l’une ou
l’autre n’est absolue. Nulle part il n’y a de journalisme, a fortiori
politique, qui ne soit à des degrés divers au service du pouvoir
politique ou de celui de l’argent ou des deux.
Mais peut-être que chez nous, les conditions sont plus âpres. Le
commentaire politique est ce genre journalistique qui devrait aider le
lecteur à voir clair dans l’actualité politique. De façon générale, au
vu des enjeux, l’exercice est tout sauf aisé. Mais chez nous, il est
encore plus compliqué que la moyenne.
Deux raisons. La première est que la dureté des luttes politiques
n’autorise pas une neutralité, même relative, même formelle, du
commentateur à décrire les forces et les enjeux en présence sans devoir
prendre partie et devenir un acteur de fait. Cette culture sans quartier
de l’implication obligatoire transforme nécessairement la tentative
d’élucidation du réel politique en acte de dénonciation de la partie
adverse.
Le commentateur est sommé, par un réseau de contraintes diffus,
d’affiliations plus ou moins opaques, de connivence, et parfois par
conviction, de choisir son camp, y compris dans des batailles de sérail
qui n’ont aucune visibilité. Faute de quoi, il est rappelé à l’ordre.
La deuxième raison est plus complexe, parce qu’organique. C’est
l’occultation délibérée. L’essentiel des ressorts et des luttes
politiques agissent et se mènent en catimini à l’abri des regards. Les
Algériens dont le destin se joue à travers ces luttes sont tenus dans
l’ignorance des batailles et les journalistes ne sont pas plus informés
que ça. Au mieux, quand on a une «source qui tient à garder l’anonymat»,
on peut croire obtenir des informations, passées au filtre de l’intérêt
de ladite «source» qui fait forcément partie d’un camp ou de l’autre.
Cela dit, il y a dans la presse algérienne des commentateurs politiques
dignes de respect, du fait justement de la liberté qu’ils s’octroient et
des risques qu’ils prennent.
Ce constat a de tout temps été valable, et il le demeure. On vient
encore de le vérifier à la faveur de l’affaire Saâdani.
La plupart des commentateurs ont buté sur les deux tropismes.
Ils dénoncent le «drabki» et ses incartades folkloriques et ils
défendent le général Toufik. Ce qui se comprend, au vu de ce que l’on
sait de l’un et de l’autre.
Il est compréhensible qu’il ne viendrait à l’idée de personne de prendre
fait et cause pour Saâdani. Même de devoir se ranger dans un camp est
inévitable.
Au fond, — deuxième tropisme — on s’est aperçu qu’en dehors du
folklorisme tonitruant de Saâdani dans la façon de faire de la politique
et du silence impérial du général Toufik, on ne sait rien des luttes qui
déchirent le sérail et qui passent par-dessus la tête des Algériens,
journalistes compris.
Après le débarquement de Saâdani, on a cru entrapercevoir quelques-uns
des enjeux de pouvoir. La crise économique entraidée par la chute du
baril et les enjeux géostratégiques dans la région ont bouleversé
l’équilibre des forces internes dans la perspective de la succession à
Bouteflika. Une recomposition des forces s’opère, dans la brutalité et
le secret, comme il sied à un système basé sur la dissimulation.
Et c’est cela qui est difficile à discerner.
Allez, au fond, moi aussi, j’aurais voulu comme mon pote être un
commentateur politique… Un vrai de vrai….
A. M.
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