Chronique du jour : Lettre de province
Parlement : le baromètre de la décomposition des institutions
Par Boubakeur Hamidechi
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Dans
moins de six mois, l’électeur sera invité au renouvellement de
l’Assemblée des représentants de la «nation», cette APN tant décriée au
vu de la déliquescence de son éthique. De ce fait, la sollicitation sera
probablement formelle dès lors qu’il sait que la fonction de son
bulletin ne contribuera pas à changer d’un iota le cours de la
gouvernance d’un Etat prenant eau de toutes parts.
Sachant, par amère expérience, que la prétendue alternance au pouvoir
dont se gaussent les dirigeants n’est qu’une vue de l’esprit et que la
validation des mandats obéit à d’autres méthodes, l’on peut supposer,
d’ors et déjà, que l’abstention marquera, une fois de plus, le prochain
scrutin.
D’ailleurs même les futurs candidats ne se font guère d’illusion sur
l’issue des enjeux.
S’en remettant exclusivement à la secrète présélection effectuée par les
cabinets de la cooptation, ils admettent, en secret, qu’ils ne doivent
leurs sièges qu’à une «désignation» préalable, se gardant ainsi de
parler en tant… qu’«élus». Condamnés depuis quatre législatures à n’être
que l’émanation des ratios dévolus à chaque appareil, nul, en effet, ne
s’aventure à leur accorder désormais le moindre bénéfice d’une réelle
représentativité. Eux-mêmes admettent les conséquences de leur
impopularité et finissent parfois par tirer de ce statut presque
infamant une curieuse énergie dans la servitude !
C’est ainsi qu’ils parvinrent, à plusieurs reprises, à améliorer leurs
conditions matérielles au point de choquer l’opinion par leur
intransigeance et l’arrogant affichage de leurs arguments comme se fut
le cas en 2008 lorsqu’ils décrochèrent le gros lot avec un salaire de
base équivalent à 30 SMIG. Récidivant ces derniers jours au sujet de la
prime de fin de mandat, ils ne renoncèrent qu’à la moitié d’un pactole
au moment de voter une loi de finances qui devra multiplier par deux les
ponctions sur les salaires des travailleurs. Or, c’est ce genre
d’indécentes coïncidences au cœur de leur vocation de législateurs qui,
de nos jours, suscitent la désapprobation.
Assimilés vulgairement à des ripoux ayant accédé aux hautes fonctions de
l’Etat, ils sont paradoxalement bien plus critiqués que les ministres du
gouvernement au sujet desquels la question des salaires ne s’est jamais
posée. Or, ce qui semble relever de l’ostracisme d’une opinion qui
n’accable que les députés tout en épargnant le train de vie des
ministres est, en fait, un distinguo pertinent.
Cette colère saine met, en effet, en relief le fait qu’un ministre est
rémunéré en contrepartie de sa compétence de manager alors qu’un élu
n’a, au départ, que sa vocation politique et ses convictions
idéologiques à mettre au service du débat sur les lois. Or, ce qui est
implicitement reproché aux parlementaires est leur posture de plaideurs
en l’absence d’une éthique militante mettant en avant le bien public
alors qu’il est notoirement admis que pas une fois au cours de ces
dernières années une seule législature prit le dessus sur le pouvoir
exécutif en le censurant. En effet, qui se souvient d’un jour où un
gouvernement dut démissionner à la suite d’un vote de défiance ou bien
d’une Assemblée majestueusement responsable qui accepte de s’exposer à
la dissolution en réfutant durement certains aspects de la loi de
finances qu’elle estime inappropriée vis-à-vis de certaines couches
sociales ? Et c’est bien ce tropisme-là qui, en altérant ses
responsabilités, caractérise le mieux sa sujétion aux pouvoirs
successifs et à leurs injonctions.
Dès lors que la docilité devint sa marque de fabrique, il ne lui reste
d’autre choix que l’approbation honteuse.
Or, pour qu’un Parlement puisse faire sa mue, il est nécessaire que plus
d’un parti politique consente à faire son «aggiornamento» en interne.
C'est-à-dire actualiser les fondamentaux qui les ont jusque-là guidés.
Seulement, cette démarche concerne, entre autres, le FLN et le RND. Ces
formations, que l’opinion juge ironiquement comme des sous-produits de
la culture du parti unique en soutenant inconditionnellement le pouvoir,
sont justement les premières à connaître les frondes internes à la
veille d’une nouvelle législature.
De celles qui font semblant d’appeler à un changement de ligne alors
qu’elles ne visent, en définitive, que leur insertion parmi les quotas
des impétrants.
Les constats de ce genre sont régulièrement faits et montrent bien que
même les militants les plus aguerris et les cadres les plus récompensés
dans leur carrière ne désirent guère changer l’ordre des choses pour
améliorer les capacités d’action de l’institution légiférante. Se
contentant de reconduire les procédures n’accouchant que de l’écume
politicarde profitable sans garde-fous à l’exécutif, ils participent à
la dégradation de l’ensemble de l’architecture de l’Etat. C’est que
l’APN des dernières législatures a fait plus de tort aux idéaux
démocratiques, pourtant gravés dans le marbre de la Constitution, que
ceux commis, trente années durant, par le centralisme du parti unique.
Le discrédit jeté sur une institution inféodée à l’exécutif n’a pas eu
d’équivalent par le passé malgré tous les procédés dictatoriaux du
système en général.
La diversion qui s’illustre dans la pseudo-diversité des listes
électorales n’a-t-elle pas donné chaque fois une Assemblée plus disposée
à la compromission ?
En effet, la manière dont s’étaient distingués les députés sous la
présidence actuelle de Bouteflika est édifiante. Car quel que fût leur
bord politique ou même leur sincérité, tous s’étaient rendus à la
terrible évidence qu’ils participaient à de la théâtralité politicienne
dont ils n’étaient que des figurants. Le pluralisme qui aurait dû valoir
au Parlement, l’autorité effective de la représentativité, a été
lamentablement démonétisé par une fraude largement acceptée par les
candidats eux-mêmes. Peu regardants sur les méthodes de l’exécutif dès
l’instant où ils n’exprimèrent leurs accusations qu’à chaud sans en
tirer les conséquences à long terme en refusant tout simplement de
siéger, les partis se révélèrent pusillanimes face au pouvoir. Ce manque
d’audace dans la légalité autorisera justement un gouvernement disposé à
tous les coups tordus de corrompre naturellement ceux que l’on
présentait comme une élite politique. Celle qui conquit en même temps la
visibilité et la peu glorieuse notoriété de «carriéristes aux ordres».
Or, le contexte actuel constitue, semble-t-il, une sérieuse opportunité
pour la classe politique afin de peser sur l’ensemble des questions
relatives à la rénovation de tous les instruments de fonctionnement des
institutions élues.
Se poser désormais la question cruciale de l’existence d’un Parlement
devra aller plus loin que les diagnostics établis au chevet du pouvoir
législatif exclusivement. Elle se veut une interrogation qui renvoie à
l’examen global de notre système politique dont la matrice demeure la
loi fondamentale de 1996. Cette fragilité originelle qui avait
d’ailleurs permis au vieux système datant des années 60 de survivre
malgré les crises majeures de 1988 et 1992 ne doit pas faire oublier que
le rôle de l’armée a toujours été
déterminant malgré les dénégations ridicules qui s’annoncent
cycliquement. Or, la décomposition progressive du Parlement aussi bien
que les triturations abusives de la Constitution n’ont, à chaque fois,
été possibles que parce que le pouvoir s’est senti suffisamment
«protégé» pour mettre sous le boisseau les assemblées élues et oser même
tailler une Constitution selon les besoins du moment. C’est ainsi que
ceux qui, naïvement, croient que le temps des véritables réformes
démocratiques peut s’accorder avec le temps du régime ignorent qu’il
était possible de recourir à des subterfuges en toute impunité pour
mettre en place un régime à vie. C'est-à-dire reléguer aux calendes
grecques la démocratie tant rêvée.
B. H.
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