Actualités : Crise Libyenne
Le jeu trouble des islamistes maghrébins


Un jeu trouble des islamistes maghrébins semble se jouer actuellement en direction de la Libye. Objectif : saborder les efforts diplomatiques de leurs Etats pour un passage en douceur vers un processus démocratique qui éviterait de transformer ce pays en Etat islamique.
Abla Chérif - Alger (Le Soir)
- Tous les éléments le prouvent aujourd’hui. Les leaders des mouvements islamistes des pays frontaliers avec la Libye ont jeté leur dévolu sur cette zone et se démènent à grands coups d’opérations médiatiques pour tenter de s’introduire coûte que coûte dans le processus de normalisation recherché par la communauté internationale. La toute dernière déclaration du Président tunisien en constitue l’exemple le plus probant. Lors d’un entretien accordé à la chaîne de télévision tunisienne Nessma, Caïd Essebci a tenu à révéler n’avoir jamais mandaté Ghannouchi, chef du mouvement Ennahdha pour une quelconque action envers la Libye. Et comme pour bien se faire mieux comprendre, le Président tunisien ajoute que le seul interlocuteur qu’il ait délégué n’est autre que son ministre des Affaires étrangères lequel, précise-t-il, «s’acquitte parfaitement de sa tâche».
Les propos résonnent comme une mise au point cinglante aux dernières déclarations du responsable d’Ennhadha totalement engagé dans une sorte de médiation où il incarne le rôle de personnage à travers lequel tout se joue dans l’affaire libyenne.
C’est d’ailleurs lui qui a récemment annoncé la tenue d’un prochain sommet entre chefs d’Etat algérien, tunisien et égyptien pour tracer les grands axes d’une issue rapide à la crise qui secoue ce pays frontalier. Une telle annonce, apprend-on de sources bien informées, a été perçue par les dirigeants concernés comme un dérapage de trop. L’information en elle-même n’a pas été démentie de manière officielle, mais les cercles hermétiques chargés d’œuvrer pour une réconciliation libyenne ont laissé échapper des éléments allant dans le même sens que les déclarations d’Essebci.
«L’Algérie n’a pas besoin d’intermédiaires pour dialoguer avec nos amis libyens», affirme-t-on au ministère des Affaires étrangères. Quelques jours auparavant, une rencontre avait pourtant regroupé Ahmed Ouyahia et le dirigeant islamiste libyen Ali Salabi dans le domicile de Ghannouchi Tunisien. Le tête-à-tête s’est déroulé peu de temps après que le leader d’Ennahdha eut été recu, une nouvelle fois, par le Président Bouteflika qui l’a notamment écouté sur le dossier libyen. Ghannouchi se disait alors dûment mandaté par le Président tunisien pour effectuer cette mission, ce que Essebci a formellement démenti dimanche lors de son passage télévisé. Des sources algériennes bien informées affirment de leur côté que les mises au point du Président tunisien ont été accueillies comme une mise au point nécessaire au moment où l’Algérie et d’autres pays amis «redoublent d’efforts diplomatiques pour une issue urgente au conflit libyen». «Ghannouchi comme d’autres leaders islamistes profitent de cette situation pour prouver leur existence sur le terrain, retrouver une aura perdue auprès des populations et surtout (le danger est là) tenter d’appliquer en Libye leur projet de société, ce qu’ils n’ont pu faire dans leur propre pays. L’Algérie n’est pas dupe, mais elle a décidé de ne fermer aucune porte pour parvenir à un apaisement de la situation libyenne. Elle reste prudente, mais à côté, des forces œuvrent effectivement pour s’immiscer dans le processus. C’est un danger, oui, car les pays limitrophes n’ont pas intérêt à voir un Etat islamique s’ériger à ses frontières».
Chez nous, l’implication du président du MSP dans le processus de normalisation de la situation en Libye a soulevé de nombreuses interrogations ces derniers jours, notamment après l’annonce de la rencontre de Abderrezak Mokri avec Ghannouchi au domicile de ce dernier. Sur sa page Facebook, le président du MSP avait révélé que l’ambassadeur d’Algérie en Tunisie, Abdelkader Hadjar, se trouvait également présent à ce moment, tout en se gardant de livrer la teneur des entretiens. Pour beaucoup, cette nouvelle implication du président du MSP dans le dossier libyen prouvait la mise en place d’une offensive islamiste dans le cadre de ce que Ghannouchi a lui-même qualifié de «diplomatie parallèle».
Contacté par nos soins, Abderrezak Mokri a nié avoir été mandaté par une quelconque partie dans le cadre d’une médiation avec les parties en conflit. Pas un commentaire de plus. Fin politicien, Mokri préfère, sans doute, s’en tenir à ses déclarations officielles autour du dossier. Des déclarations qui en disent long : «Nous soutenons la politique de l’Algérie en direction du Mali et de la Libye (…) c’est l’application de notre plate-forme (celle de la CNLTD) qui s’effectue». C’était avant l’implosion de la CNLTD où Mokri est accusé d’avoir tenté d’imposer un projet contre lequel les partis progressistes se sont élevés… «Le travail qui est mené par les leaders islamistes n’est que la partie visible de l’iceberg, parallèlement, d’autres actions redoutables ont été menées, et continuent à l’être dans une moindre mesure. N’oubliez pas que l’Algérie a été confrontée à un grave problème, celui du passage massif d’islamistes marocains sur notre sol. Leur objectif était de grossir les rangs de Daesh à ce moment. Il était clair que ses éléments avaient reçu des instructions de leurs chefs pour agir de la sorte. La Libye est un pays où tout est encore possible, tout est jouable et les islamistes de toute la région l’ont compris. Bâtir un Etat islamiste en Libye c’est la concrétisation d’un rêve, d’un projet qui leur permettra d’être plus forts dans leur propre pays. Les dirigeants maghrébins l’ont compris. Mais ils ont joué avec le feu en leur ouvrant une porte. Voyez par vous-mêmes, ils tentent même de prendre le dessus sur les actions diplomatiques et précèdent les Etats sur des communications importantes, peut-être déterminantes»
A. C.



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