Chronique du jour : Kiosque arabe
Youssef, pour nous changer de Karadhaoui


Par Ahmed Halli
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Talonnés par un furieux besoin de prophètes, et n'en tolérant aucun qui soit issu de nos rangs et pour cause, nous recourons régulièrement aux importations, quel que soit le niveau de nos réserves de change. Comme nous sommes censés ne suivre qu'un seul et unique, le Sceau des prophètes, il a bien fallu trouver des substituts parmi les armées d'apprentis prophètes qui nous entourent. Ce sont ces derniers, d'ailleurs, qui ont imposé le fameux slogan attrape-nigaud selon lequel les «Ulémas» ou «savants» religieux autoproclamés sont les «héritiers des prophètes». Jamais à court d'une contradiction, ils ont, du même coup, enterré définitivement un autre argument massue de l'Islam, sous forme d'un hadith proclamant que «les prophètes n'ont pas d'héritiers». Un clou chasse l'autre ! Il faut dire qu'en la matière, nos contrées n'offrent pas le paysage idéal pour ces apparitions cycliques qui privilégient apparemment les étendues désertiques. Et puis, nul n'est prophète en son pays, comme l'a affirmé jadis un vrai, et surtout en Algérie où le voisin, le frère, ou l'ami ne peuvent être que des ennemis de Dieu et les nôtres subséquemment. Nous avons donc choisi de n'accepter que ce qui nous vient d'ailleurs, de l'Est de préférence, et d'avaler toutes les sornettes pour peu qu'elles soient invérifiables.
Après avoir disqualifié nos zaouïas, pour cause de collusion pas toujours évidente avec la colonisation, et la stérilité locale aidant, nous avons opté pour le tout-venant et gobé n'importe quoi. Pour pallier l'indigence programmée de la production nationale et endiguer une modernité inéluctable, mais dangereuse à terme pour les tyrans aux petits souliers, nous avons ouvert les portes. Avant même d'attendre la permission d'entrer, les Ghazali, Karadhaoui et consorts sont venus nous réapprendre et renouveler notre religion, selon la prophétie. Grâce à eux et à notre système éducatif, des «compétences» nationales à vocations prophétiques ont pu émerger et donner naissance au «fleuron» de notre Islam politique, à savoir le FIS. Pendant plus de deux ans, nous avons consommé quasi exclusivement national, si on excepte quelques apparitions folkloriques, comme celle du Yéménite Zendani, l'inventeur du «Zawadj friend». Exit le «FIS», bienvenue à son programme ! Selon l'humeur et les relations du moment, nous avons eu droit à une brochette de prêcheurs très cathodiques mais douteux. Il a fallu remplacer au pied levé l'idole nationale, l'Égypto-Qatari Karadhaoui qui aurait pu nous faire un enfant dans le dos, si la divine providence ne l'avait pas dépourvu et privé de son oie blanche.
Nullement sevrés et encore moins découragés, nous avons vu et lu du Aïdh Al-Qarni, auteur du plagiat le plus vendu en terres arabisées, «Ne sois pas chagriné», et d'autres comme Nabil Al-Audhi, ou Al-Arifi. Ce dernier s'est fait une sacrée réputation en 2012, après avoir publié une fatwa autorisant les jeunes filles à se rendre en Syrie, dans les rangs des milices islamistes, pour pratiquer le djihad du sexe. L'année d'après, Mohamed Al-Arifi a lancé un nouvel appel aux jeunes musulmans pour qu'ils aillent au djihad, également en Syrie, pour renverser le régime de Bachar Al-Assad. Seulement, au lieu de prendre la tête des djihadistes, en conformité avec sa théologie et ses appels, le prêcheur s'est empressé d'aller en vacances à Londres, où il s'est fait agresser au sortir d'un restaurant. Pourquoi je vous ai parlé de ce prêcheur ? Tout simplement, parce qu'il y a quelques jours, les Algériens ont eu un coup de cœur pour un anti-Arifi patenté, Cheikh Youssef Wissam. Imam de la Grande Mosquée d'Abou Dhabi, le cheikh est un trentenaire jordanien, qui a acquis, il y a trois ans, la nationalité des Emirats, pour services rendus. Il était parmi nous, la semaine dernière, invité par la télévision et le quotidien An-Nahar, pour un circuit touristique et cultuel, que les Algériens ont suivi de bout en bout sur leur petit écran.
Avant de découvrir l'Algérie, qu'il a qualifiée de «paradis sur terre», en visitant ses montagnes(1) et ses sites verdoyants, Youssef Wissam s'est fait connaître par ses polémiques avec les cheikhs saoudiens. C'est ainsi qu'il n'a pas hésité à affirmer que certains cheikhs saoudiens, en plus d'être les inspirateurs de Daesh, étaient également complices de cette organisation, et de citer justement Al-Arifi(2). En réplique, certains médias saoudiens ont accusé Youssef Wissam d'être un agent des services jordaniens, avant de se faire recruter par les services émiratis. Ils ont donné pour preuve le fait qu'il ait bénéficié de la nationalité des Emirats en un temps record, sur intervention directe d'un haut responsable local et sans avoir suivi la filière administrative obligatoire. Ses détracteurs lui reprochent également de présenter de fausses références universitaires, sachant qu'il n'a pas suivi les enseignements du fondamentalisme dont il se réclame. Interviewé l'année dernière sur la chaîne saoudienne Rotana», citée par le quotidien saoudien de Londres, Al-Hayat, le prêcheur s'est encore réclamé de l'orthodoxie wahhabite et s'est rétracté sur certaines de ses accusations. C'est ainsi qu'il s'est excusé d'avoir publié des accusations calomnieuses, qu'il a effacées depuis contre le cheikh Nabil Al-Audhi, sur sa page Twitter.
Plus intéressant, il a été interrogé sur le port du niqab, il a affirmé que les avis étaient partagés entre l'obligation et la préférence et que lui-même penchait vers la préférence, à l'instar de cheikh Al-Albani(3). Il a précisé, au demeurant, que sa mère et ses sœurs portaient le niqab, mais qu'il ne les avait pas obligées à le porter ou à l'abandonner. Ces dames qui ont applaudi au discours, tenu ici par le cheikh «Youyou», apprécieront les propos de celui qui est aussi connu comme interprète des rêves. On retiendra, toutefois, qu'il a enfin annulé la fatwa, prononcée il y a quelques années par le cheikh Ferkous, et interdisant la consommation de «zalabia», ce qui est une bonne nouvelle pour la saison. Personnellement, j'ai remarqué sur les images diffusées à profusion l'absence de notre cheikh national «Chemsou», qui semble avoir apprécié modérément cette visite. Jalousie ou attitude politique, ou bien les deux ?
A. H.

(1) En parlant d'altitude, Youssef Wissam a visité, juste en passant, le chantier de la Grande Mosquée, chère à Bouteflika, édifice qui sera peut-être son prochain point de chute, sait-on jamais ?
(2) Le cheikh préféré de Daesh est aussi un partisan des Frères musulmans d'Egypte, et c'est du Caire, en compagnie de Morsi alors président, qu'il a lancé, en 2013, son appel au djihad en Syrie. D'où la réaction hostile de nos «frères musulmans» locaux, par le biais du Hamas qui a qualifié le cheikh de «prêcheur de fitna».
(3) Al-Albani (1914-1999) est le cheikh préféré des salafistes, après Ibn-Taymia, et la référence suprême en matière de hadiths, dont il a été un tardif et fécond validateur.




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