Culture : LA RELIGION DE MA MÈRE DE KARIM AKOUCHE
Un chant d’exil et de solitude
Dans ce roman étourdissant, la
partition est accompagnée d’une musique rythmée et tournoyante comme au
son des tambourins. Les sens en éveil, on entend alors chanter les mots.
Et on n’écoute d’autre prédicateur que le temps, la mémoire et la terre.
La religion de ma mère est une composition littéraire tumultueuse. Cela
évoque le bouillonnement d’une source, ou encore un torrent impétueux et
rapide. Karim Akouche a un style d’écriture clair, pur, avec des mots
simples et concrets.
Un style rythmé, incisif. Les phrases (et même les chapitres) sont
courtes et concises. Quant à la prose de l’auteur, elle est vigoureuse,
souple, mesurée, impulsée par une rythmique proche de la poésie. Cette
richesse reflète la sensibilité particulière de l’écrivain à l’égard du
langage. C’est surtout sa manière d’exprimer sa pensée, des émotions,
des images, des idées... L’art étant le Je, Karim Akouche a le don de
libérer sa créativité : il laisse libre cours à son tempérament
personnel et s’exprime avec sa propre voix. Dans La religion de ma mère,
il fait naturellement jaillir les pluies de printemps (les mots) et il
fait parler la voix du cœur.
Le roman est très agréable à lire. Esthétiquement, il est même une
réussite tant l’auteur sait construire un langage dans le langage,
humaniser son texte et écrire très lisible. Karim Akouche confirme qu’il
ne manque pas de punch.
Et pour mieux dire les mystères de la vie et faire réfléchir sur
l’énigme de l’homme et du monde, quoi de mieux qu’une œuvre romanesque
percutante ? De l’amour, de la tendresse, de la violence, de la folie...
Le tout subtilement canalisé. Il y a notamment le recours (retour) à
l’enfance, ce qui permet à la mémoire d’affluer, de restituer des
visages, des lieux, des odeurs... «L’enfance est un conte qui ne dure
pas. La nuit, on le lit. Le jour, il se dissipe. Au crépuscule, il
devient cendre et poussière», fait remarquer le narrateur. Le personnage
central du récit a cet autre aphorisme : «La mort est un bateau ivre que
tout le monde prendra.» Le lecteur a tout de suite une mine de chat
devant un bol de lait. Son imagination s’emballe : et qui sont les
passagers les plus importants du voyage, au cours de cette immersion
houleuse dans une mer mémorielle ? Le lecteur commence à laper avec le
sérieux de l’enfant qui joue. «Au pays de ma mère, tous les jours on est
poète», rappelle le narrateur. Promesse que le roman sera un grand poème
: «Maintenant que ma mère s’est tue, je fais le serment de graver sur sa
tombe le plus beau de ses poèmes.» Bel hommage à celle qui disait des
poèmes sans avoir jamais mis les pieds à l’école. Et toujours ces
phrases courtes, actives : «Ma mère était une montagnarde. Elle
façonnait l’argile. Elle en faisait des poteries. Je n’ai pas peur pour
elle. Elle ne souffrira pas dans sa tombe. Elle est retournée à la terre
qu’elle aimait tant.»
Karim Akouche cherche des émotions. Il est à l’écoute de ses sentiments,
de ses inclinations altruistes. Mais il est aussi de tempérament
artiste. Créateur d’images sonores, il aime par-dessus tout jouer avec
le sens des mots. Il a le don de zigzaguer mentalement d’un domaine à un
autre, de jongler avec la polysémie «subversive», les formules imagées
et les figures de rhétoriques innocentes mine de rien (analogies,
métaphores, tropes...). Tout cela contribue à colorer et à «électriser»
le texte, à mettre l’imagination du lecteur sur orbite. Exemple : «Les
puits de pétrole fument dans le désert. Ils veillent sur la paix
sociale. L’élite est éblouie par l’argent. Les commis de l’Etat sont
dévorés par l’ambition. La jeunesse est bipolaire. Elle veut le voile et
la nudité. Elle veut la cage et la liberté. Parfois elle est kebab,
parfois elle est fast-food. Tantôt elle est Europe, tantôt elle est
Orient. Roule, frangin ! Ecrase la pédale !» La vie moderne, à
l’algérienne.
Le lecteur a un peu le tournis. Il s’accroche. Il finit par s’accorder
au rythme des mots. Ses sens sont éveillés, stimulés par le ton et la
petite musique qui font un bon livre. La quatrième page de couverture
donne déjà une vue d’ensemble qui fait ressortir le sens profond, la
philosophie du roman. Voici ce résumé : «Exilé à Montréal, Mirak apprend
la mort de sa mère qu’il n’a pas revue depuis longtemps et rentre en
Algérie pour l’enterrement. Il traverse une dépossession au fur et à
mesure qu’il croise les lieux et les visages de son enfance dans un pays
méconnaissable où règnent l’absurde et le chaos. A travers la quête
désespérée d’un passé révolu et la découverte d’un présent violent, le
narrateur brosse l’émouvant portrait de sa mère et le confronte à
l’égarement de son peuple. Alternant monologue et récit, Mirak interroge
l’identité d’une nation fragmentée qui peine à se remettre d’une longue
crise politique. La religion de ma mère est le roman de la
désintégration de l’être humain. Après la disparition de sa mère, Mirak
se décompose, son père devient fou, son frère se transforme en
djihadiste... On se croirait dans un asile d’aliénés à ciel ouvert. Ce
roman exprime on ne peut mieux la folie et la confusion de notre
époque.»
Une allégorie de l’Algérie contemporaine. «Les mots s’enfuient comme des
balles perdues. Ils s’éteignent dans le brouillard de ma tête»,
soliloquait le narrateur. Mirak (Karim ?) semble égaré, perdu dans le
froid et la brume élégiaque de l’Occident. L’exilé est de retour dans
son pays, mais personne ne le reconnaît plus... «Je suis incertain. Je
flotte. Je viens d’un peuple mystérieux. Il refuse de mourir. Il vivote
comme les oiseaux de passage. Il résiste aux tourbillons des
légendes. L’histoire n’est pas l’alliée des vaincus. Elle est la
concubine des puissants.» Oui, le monde ment et il n’est pas sérieux,
nous dit Karim Akouche : «Il est ovale comme une pastèque pourrie. Telle
une mouche, je vrombis autour.» A son tour, le lecteur est entraîné dans
le tourbillon des mots. Il est rempli d’un singulier vertige...
Hocine Tamou
Karim Akouche, La religion de ma mère, éditions Frantz Fanon 2017, 218
pages, 600 DA.
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