Contribution : Comment aller vers une natalité organisée
Par le Dr Mohamed Tahar Zerouala
C’est l’article de M. Layachi Salah Eddine, paru dans ces mêmes colonnes
le mardi 30 mai, qui a inspiré ma contribution. L’auteur évoque l’agonie
(les derniers symptômes, c’est son expression) de la Cnas et une caisse
des retraites qui doit faire face au règlement de trois millions de
retraités en 2017, selon les chiffres de l’ONS. L’auteur établit un
constat, pas très réjouissant, des dépenses de santé que la Cnas assume
pour le remboursement des différentes prestations dont l’origine est
multiple : médicaments, consultations (carte Chifa pour les retraités
dont la consultation est gratuite chez le médecin conventionné), actes
chirurgicaux, hospitalisations, prises en charge dans les stations
thermales, accidents de travail, arrêts de travail, salaires des
personnels, budgets d’équipement et de fonctionnement.
L’auteur fait, à juste titre, un constat, et propose des solutions à
court terme. A l’instar des politiques qui agissent dans l’urgence au
détriment d’une réflexion sur le long terme qui doit prendre en
considération tout le socle sur lequel repose la société. Pour assurer
un avenir lointain serein pour nos enfants, nos petits-enfants et ceux
qui viendront après, nous avons tous les moyens financiers, s’ils sont
bien gérés, et humains pour y arriver. Je ne suis pas économiste, mais
j’expose mon analyse citoyenne de la situation. Il est vrai que la
décennie noire a fortement ralenti notre développement et nous a fait
basculer dans un gouffre humain et financier tragique. C’est notre
vaillant patriotisme qui nous a permis de relever la tête.
L’ancien ministre de la Santé annonce un million de naissances au cours
de l’année 2016. Dans six ans, ces nouveaux-nés rejoindront les bancs de
l’école. Il faudra compter près de 700 classes disponibles par wilaya
pour les accueillir. Quand ils auront vingt ans et plus, ils entreront
dans le marché du travail. Il leur faudra un logement pour chacun s’ils
doivent vivre décemment. La demande dépassera l’offre et nous aurons
l’impression de faire du surplace.
Dans les années 1970, il y avait une politique d’organisation des
naissances, les dirigeants de l’époque ayant pris conscience du danger
du taux de natalité de l’Algérie qui était le plus fort du monde ! Nous
étions 9 millions d’âmes à l’indépendance. Nous sommes plus de 36
millions en 2017. Nous calons déjà sur le logement. Ce que nous
construisons ne suffit pas. Les salles qui accueillent les élèves sont
surchargées, elles dépassent les normes jusque-là admises
universellement pour transmettre les connaissances d’une façon correcte.
Au cours des années 1970, nous avions réussi à faire baisser la courbe
de natalité d’une façon sensible. Rien n’était tabou. Même dans les
zones rurales, où j’ai eu le bonheur d’exercer pendant trente ans, nous
avions des résultats heureux dans la contraception et les moyens
contraceptifs, à l’instar de la lutte antituberculeuse et
antipaludéenne. La tuberculose a été éradiquée ou du moins contrôlée
dans sa forme endémique ainsi que le paludisme. L’Algérie a été citée
comme modèle par l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte
contre ces deux fléaux.
Le primum movens pour atteindre le niveau des pays développés est
d’organiser la natalité dans notre pays. Nous ne pouvons continuer dans
l’accroissement anarchique des naissances sous peine qu’aucun budget ne
suffise pour entretenir une population qui évolue d’une façon
exponentielle alors que la croissance est arithmétique. En dehors des
hydrocarbures, nos exportations sont insignifiantes et nous importons
tout ce dont nous avons besoin et même des choses futiles. Dominer la
natalité, c’est réduire les factures d’importation dans le futur tout en
maîtrisant celles de maintenant. L’exemple du médicament est
démonstratif. Certains patients consomment jusqu’à 15 médicaments par
jour. Certes, ils présentent une pathologie multiple, mais l’absence de
coordination entre les différents spécialistes fait grossir la
prescription qui, souvent, est inutile, voire dangereuse. Le code de
déontologie médicale laisse le praticien libre dans sa prescription, à
condition qu’elle ne présente aucun danger pour le patient, mais un
manque de formation du médecin favorise une prescription pléthorique et
coûteuse. Parfois, dans les officines, il y a une vingtaine de produits
génériques pour une molécule d’origine. Ce qui est encombrant et souvent
ne sert à rien. La tutelle devrait mettre de l’ordre pour la délivrance
des autorisations de mise sur le marché. Quant aux examens
complémentaires demandés, ils doivent être orientés et non
systématiques. Les check-up relèvent souvent de la complaisance. Leurs
résultats reviennent presque toujours normaux. Nos confrères pharmaciens
sont aussi interpelés quand ils favorisent l’automédication. Certains
médicaments doivent être interdits à la vente sans prescription du
médecin. Certains patients retraités, qui jouissent de la convention
(leurs consultations sont gratuites), espèrent organiser une véritable
pharmacie chez eux grâce à leur carte Chifa. Mais c’est sans compter sur
la vigilance des médecins.
Cette prise en charge de la santé du citoyen est un grand acquis que
l’on ne retrouve que dans certains pays développés, et qu’il faut
préserver en évitant le gaspillage. Le citoyen doit être éduqué pour ne
consommer que ce dont il a besoin. La gabegie entraîne des frais de
remboursement faramineux.
L’intervention du Dr Chawki Acheuk Youcef, directeur de la Casnos, est
rassurante. S’il y a surplus dans les cotisations, il pourrait être
consacré à l’édification de véritables maisons de retraite
conventionnées et qui n’ont rien à voir avec Diar Errahma, au
remboursement des frais dentaires, aux examens complémentaires
nécessaires, à toutes les prises en charge chirurgicales et
gynécologiques, et pourquoi pas à des cycles de formation complémentaire
des corps médical et paramédical. Je rends hommage aux laboratoires
internationaux qui nous organisent régulièrement des rencontres de
formation post-universitaires de haut niveau et gratuitement. Pour faire
des économies à tous les niveaux et particulièrement pour la garantie de
notre retraite, il faut instituer une justice dans la distribution de
l’allocation : revaloriser les petites retraites et restreindre
certaines pensions exorbitantes et indécentes. Il n’est pas raisonnable
que certains cotisants grossissent d’une façon factice leurs
contributions pour jouir après d’une retraite convenable.
Nous devons agir en amont pour honorer les retraites d’une population
qui vit statistiquement, dans l’ensemble, plus longtemps. Mieux prévenir
que guérir n’est pas une vaine expression. La mortalité en Algérie due
aux maladies cardiovasculaires est 2 fois plus importante que la
mortalité européenne. Ces maladies cardiovasculaires auxquelles
s’ajoutent les accidents vasculaires cérébraux sont des complications de
l’hypertension artérielle, d’un diabète souvent mal équilibré ou
méconnu. La prévention va être axée sur le dépistage de ces deux
affections par un examen clinique dans l’entreprise et à l’université
ainsi que dans toute collectivité par des analyses orientées : glycémie,
dosage des cholestérols et des triglycérides. La prévention la plus
importante sinon capitale concerne l’hygiène de vie de l’Algérien : son
alimentation dans sa qualité est catastrophique. Dépenser beaucoup dans
l’alimentation n’est pas un signe de richesse ! «On creuse sa tombe avec
ses dents.» Il faut aussi réduire la consommation de sucres, de sel et
de matières grasses. Trop de sucres=augmentation des triglycérides=dépôt
de plaques d’athéromes au niveau des artères=diminution du calibre de
celles-ci=hypertension artérielle=affection cardiaque, rénale, accident
vasculaire cérébral. La prise en charge de ces affections est très
coûteuse. La prévention consiste aussi, et ce n’est pas de moindre
importance, à pratiquer une activité physique. Les Allemands de l’Est au
summum de leurs victoires aux différents Jeux olympiques avaient une
devise : «quand on ouvre un stade, on ferme un hôpital.» Les pouvoirs
publics doivent encourager le sport à tous les niveaux et pour tous les
niveaux. Une alimentation saine et de l’exercice physique vont alléger
considérablement la facture du médicament. Un mot sur la vaccination :
l’Etat a décidé d’une campagne de vaccination il n’y a pas longtemps
contre la rubéole pour les enfants d’âge scolaire. La vaccination est
une prévention contre des maladies dites endémiques et épidémiques qui
peuvent être redoutables par leurs complications. Nombreux parents ont
refusé cette vaccination pour leurs enfants.
C’est une faute. Acheter un antibiotique dans une pharmacie sans
prescription médicale est plus grave !
En 1987, j’affirmais dans mon livre paru aux éditions El Baath à
Constantine sur la contraception et les moyens contraceptifs que
l’espacement des naissances permettra au pays de souffler et de
rattraper son retard économique. Une contraception bien conduite
permettra à la femme de préserver sa santé et celle de sa progéniture.
Une progéniture peu nombreuse est plus facile à gérer. La position
sociale de la femme actuelle ne lui permet plus d’assumer la
responsabilité de beaucoup d’enfants. En plus des motivations
économiques qui doivent adapter la natalité aux réalités de notre pays,
une femme multipare (qui a eu plusieurs grossesses) est fatiguée et
usée. Contrairement à la femme qui a espacé les naissances. Celle-ci a
moins de contrainte pour élever ses enfants, elle est plus disponible,
plus affectueuse et a le temps de leur assurer un développement
psychologique normal. Tout comme l’enseignant qui s’occupera plus
facilement d’une classe de 20 élèves que de 40. Quel est le rapport
entre la préservation des versements des retraites et l’espacement des
naissances ? Une natalité organisée entraîne une économie dans les
dépenses de santé. La prévention coûterait beaucoup moins cher que la
prise en charge en médicaments, d’où une économie pour la Caisse de
sécurité sociale et une assurance pour le versement régulier des
retraites.
Z. M. T.
Médecin écrivain essayiste. Livres parus concernant ce sujet :
Contraception et moyens contraceptifs (1987 édition El Baath,
Constantine). Gérer sa santé et bouger (2014 Tala Edition Alger).
|