Soirmagazine : ATTITUDES
La lettre



Par Naïma Yachir
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Des mots poignants écrits sur un bout de papier. Un message serein adressé à l’humanité. Une lettre d’adieu rédigée dans une mer déchaînée. Des phrases lourdes de sens, des mots de désespoir, de désolation d’un fils qui se voyait engloutir par des vagues en furie avec ses camarades d’infortune dans une embarcation. Un billet adressé à sa tendre maman, celle qui ne voulait pas le voir partir. C’était comme lui arracher une partie de sa chair. Elle savait que la mer était sans pitié, qu’elle le «mangerait». Elle ne le reverra plus, comme ces milliers de jeunes qui ne sont jamais revenus, laissant des cœurs déchirés. Ce jeune Bônois rêvait d’une vie meilleure, comme ses compatriotes.
Dans sa missive qu’il a sans nul doute écrite à la hâte, en arabe, avant que la mort ne le happe, il voulait parler à sa maman chérie, exprimer sa désillusion. Il était désolé de ne pouvoir tenir ses promesses. A son frère, il avait promis de lui envoyer 50 euros tous les mois dès qu’il aurait franchi les eaux italiennes ; à sa sœur, un téléphone avec wifi. Là-bas il trouverait le bonheur, il leur offrirait une belle petite maison comme ils la voyaient à la télévision et il sortirait sa famille de la précarité dans laquelle elle vit dans son propre pays.
«Tu sais maman, il fallait que je parte comme beaucoup d’autres personnes qui fuient la guerre ou les mauvaises conditions de vie dans leur pays. Tu sais aussi que mes rêves ne sont pas disproportionnés, ils sont juste comme ta boîte de médicaments contre le côlon. Désolé de ne pouvoir t’offrir la maison dont on rêvait. Je suis désolé aussi de ne pouvoir rembourser les frais du voyage, je veux dire l’embarcation. Et puis, ne sois pas triste, si l’on ne trouvera pas mon corps, ça évitera les dépenses pour le rapatriement, l’enterrement, etc. Je suis désolé pour ceux qui vont chercher ma dépouille, de ne pouvoir les aider car je ne connais pas le nom de la mer qui m’a avalé. En revanche, je la remercie car au moins elle, elle ne demande ni visa ni passeport. Merci aux poissons qui vont se partager ma chair sans se poser de question sur ma religion ni mon appartenance politique. Je remercie enfin les médias qui vont consacrer quelques mots sur les milliers de harraga qui ont péri en mer. Mais, moi, je ne suis pas désolé de m’être noyé, au contraire je suis reposé.»





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