Chronique du jour : Lettre de province
Le temps des graves soupçons



Par Boubakeur Hamidechi
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Il ne fait pas de doute que ce coup d’accélérateur dans les règlements de comptes au sommet suppose que l’on veuille d’ores et déjà prendre de l’avance dans la perspective de 2019. Préambule à la prochaine «solution» politique, la campagne de dénigrement visant le nouveau Premier ministre indiquerait en pointillés que le régime en place ne renoncera jamais à sa propre succession, quitte à envisager d’inimaginables transferts de responsabilités !
A priori, l’hypothèse paraît un tant soit peu farfelue, voire contraire à la logique républicaine encore que la réélection fantasmatique de 2014 a définitivement ouvert la voie à tous les écarts constitutionnels. Par ailleurs, certains politologues prudents réfutent cette explication en arguant de la marge suffisante qui nous sépare de l’échéance en question. Seulement au-delà de l’argument de l’agenda, eux-mêmes sont dans l’inaptitude de décrypter la complotite aiguë qui s’est emparée du palais tout en désignant le «deus ex machina». Alors que l’on admet que la gouvernance du pays est entrée dans une zone à haut risque et cela par la seule faute de quelques «conflits d’intérêts», la parole officielle (celle du président de la République) demeure inaudible laissant ainsi la voie libre aux messes basses de toutes sortes dans le seul but de discréditer, à travers une vindicte médiatique, un ministre ayant osé reposer la question de la prééminence de l’Etat sur les intérêts privés. Rappeler, par conséquent, que dans chaque épreuve de force il y a un catalyseur avec un nom, un prénom et une identité visuelle cela tombe sous le sens.
Or, celui-ci est rarement désigné dans les commentaires prudents de la presse lequels recourent à des formulations quasi subliminales quand il faut le citer nommément. Saïd Bouteflika, qui avait décidé de s’afficher publiquement aux côtés des adversaires du Premier ministre, ne peut plus se prévaloir dorénavant de neutralité et de non-ingérence dans les enjeux politiques relevant de l’arbitrage du seul président de la République. C’est ainsi que, depuis l’épisode d’El Alia, cet encombrant frère-conseiller ne peut plus se soustraire aux graves soupçons qui lui étaient destinés jusque-là. Après s’être présenté comme le médiateur de confiance du palais, le voilà impliqué jusqu’au cou dans une gravissime opération de brouillage de l’action gouvernementale.
La détestable ingérence dont il s’est rendu coupable indique bien que ces transgressions à répétition sont en train de faire de lui le véritable problème de l’Etat algérien quand, jusque-là, l’on pensait que les récriminations ne s’adressaient qu’à son frère aîné. C’est ainsi que, depuis avril 2013 (date de la seconde hospitalisation du chef de l’Etat), Saïd a progressivement conquis des espaces d’intervention au sein des structures de la présidence jusqu’à parvenir au contrôle systématique de l’ensemble de l’appareil d’Etat. D’ailleurs, il se dit tant de choses à propos de son influence que certaines assertions frisent parfois l’invraisemblance. Au fil des révélations qui circulent, le personnage semble bénéficier d’une influence indéniable dans le dispositif qui accompagne le Président. Il serait, en quelque sorte, le manipulateur en chef de l’ensemble de la communication institutionnelle au point d’être parfois l’inspirateur de certains brûlots odieux. Seulement la préoccupation cardinale qui taraude la classe dirigeante n’est pas dans le fait qu’il joue au vigile pour préserver le frère-Président mais qu’il abuse de cette proximité familiale pour dicter des feuilles de route. Conseiller de l’ombre, n’agissant en principe que dans la sphère privée et intime, est-il en droit de se substituer aux prérogatives du personnel politique et des commis de l’Etat jusqu’à encourager des clashes qui affaiblissent un chef de gouvernement quand il ne le pousse pas à la démission ?
Par le passé, l’on avait entendu les élites politiques se posant la troublante question relative à la déliquescence des institutions. Mais qui d’entre elles étaient alors en mesure d’anticiper sur la situation actuelle quand le sommet de l’Etat allait devenir le problème mortel pour la nation dès l’instant où celle-ci se trouve en butte à un réel vide institutionnel ? Que la séquence de la longue maladie d’un Président demeure un tabou occulté dans les interpellations des courants politiques de l’opposition signifie également qu’aucune des institutions de ce pays n’est solide ni ses attributs constitutionnels opératoires. Tout autant que les deux Chambres du Parlement, il n’y a rien à attendre des autres institutions de la République pour endiguer la dérive affectant le pouvoir exécutif soumis au diktat des clans et des réseaux spécialisés dans la captation des marchés de l’Etat.
A moins de deux années de la fin d’une «ère» politique, l’on découvre que le frère-conseiller se fait de plus en plus voir (ah ! le soutien médiatique à l’écrivain Rachid Boudjedra) à travers de faux bains de foule. Mieux encore, il signifie avec une insupportable incorrection son hostilité à un Premier ministre sous l’œil médusé des caciques du régime et avec la complicité amusée d’un Ouyahia qui semble jouer un rôle trouble dans la curée visant Tebboune.
En somme, est-il en train de cimenter à son profit des alliances auxquelles il leur demandera, par la suite, de lui sculpter une «statue-stature» d’homme d’Etat ? Alors que l’après-Bouteflika Abdelaziz se fait de plus en plus pressant dans les esprits, quoi de plus rassurant et de plus simple que de s’essayer au népotisme comme ersatz du républicanisme ?
Il est évident que ce projet semble inconcevable en Algérie en ce sens que certains principes fondamentaux, datant de notre culture plébéienne, fonctionnent comme un dissuasif écartant ce genre de scénario. Saïd Bouteflika, qui ne manque guère de flair, sait parfaitement qu’il ne pourra pas postuler à n’importe quelle succession à moins de réussir à trouver une personnalité-lige grâce à laquelle il demeurera aussi puissant dans sa fonction de marionnettiste masqué.
Car, si jusque-là, ce système de cooptation avait réussi avec Sellal notamment, le casting de Tebboune semble désastreux dans la mesure où celui-ci n’avait pas les bons codes du clan qui supervise à partir du palais.
La seule morale à retenir de ce désordre au sommet est que le président de la République, lui-même, finisse tout sagement par nommer Saïd son cadet au poste de Premier ministre(1)…
B. H.

(1) La possibilité n’est pas fantaisiste puisque la Pologne, membre de l’UE, a connu ce genre de binôme au lendemain de la présidentielle de 2006, lorsque le Président Kaczynsk nomma son frère jumeau 1er ministre.
Il est vrai que cela ne leur a pas porté bonheur puisque le président de la République décédera quelques mois plus tard dans un accident d’avion…




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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2017/08/12/article.php?sid=406&cid=8