Contribution : L’impôt sur la fortune
Alternative à une fiscalité éphémère et contre-productive
Par Sarrab Larbi, économiste, financier
Face à la crise financière qui secoue notre pays, les pouvoirs publics
ont déjà opté, en 2015, pour deux alternatives d’augmentation des
recettes budgétaires : «la mise en conformité fiscale volontaire» et
«l’emprunt obligataire de croissance». Cependant, avec la persistance de
la crise, des voix s’élèvent, actuellement, pour réclamer l’institution
de l’impôt sur la fortune. La demande de cet impôt s’est propagée à tel
point qu’il a fini par paraître comme le meilleur instrument à renflouer
les caisses de l’Etat, en le surclassant par rapport à nos traditionnels
impôts et taxes de notre système fiscal. Le choix porté sur l’impôt sur
la fortune a-t-il, au préalable, fait l’objet d’étude quant aux
possibilités d’appréhender les fortunes et d’évaluation de ses
dispositifs techniques ainsi que de son rendement fiscal ?
Commençons par rappeler que, universellement, chaque Etat dispose de
quatre moyens pour assurer le financement de ses activités : le
prélèvement fiscal, les revenus du domaine public, le recours à
l’emprunt et les ressources monétaires. Mais, dans cette contribution,
seul sera abordé le moyen le plus important de tout système fiscal, à
savoir le prélèvement fiscal, vu que le sujet se rapporte à l’impôt sur
la fortune.
Le prélèvement fiscal, élément constitutif de la charge financière, doit
être supporté par tous les membres de la collectivité nationale, et ce,
par application du principe constitutionnel : «Les citoyens sont égaux
devant l’impôt. Chacun doit participer au financement des charges
publiques en fonction de sa capacité contributive» (article 78 de notre
Constitution). Cependant, la caractéristique d’obligation ne peut
justifier que l’impôt peut être opéré sans discrimination et sans
prudence. Il importe, en effet, de proportionner son montant aux
possibilités financières des individus, et de fixer une limite au
prélèvement global en fonction de la capacité contributive de l’ensemble
de la nation.
Il y a donc lieu, avant d’instituer un impôt ou d’augmenter son taux, de
tenir compte de l’aptitude du revenu, individuel et global, à supporter
un prélèvement et de tenir compte des besoins personnels de l’individu
et des besoins de l’entreprise pour lui permettre de poursuivre son
activité.
Or, notre système fiscal se caractérise, actuellement, d’une part, par
l’octroi, tous azimuts, d’exonérations en dépit de la crise financière
et sous prétexte que les bénéficiaires des avantages fiscaux créent de
la richesse et de l’emploi, et, d’autre part, par un dérèglement au
point où il n’est plus possible au contribuable d’honorer ses
obligations fiscales.
En premier lieu, au cours de ces dernières années, des exonérations
fiscales sont accordées tous azimuts. Il s’agit essentiellement de
l’exonération de TAP, de TVA, d’IBS et d’IRG sur les activités
professionnelles, pour une période variant entre 3 ans et 10 ans, en
fonction de conditions à remplir, des activités et des opérateurs
économiques tels que :
- les activités exercées par les promoteurs éligibles aux dispositifs
Ansej, Cnac, Angem et Andi ;
- les clubs professionnels de football constitués en sociétés par
actions ;
- exonération de l’IBS des entreprises touristiques créées par les
promoteurs nationaux et étrangers, et exemption du droit
d’enregistrement pour leurs actes de constitution et d’augmentation du
capital social ;
- les investissements réalisés dans certaines activités relevant des
filières industrielles suivantes : sidérurgiques et métallurgiques,
liants hydrauliques, électriques et électroménagers, chimie
industrielle, mécanique et automobile, pharmaceutiques, aéronautique,
construction et réparation navales, technologies avancées, industrie
agroalimentaire, textiles et habillement, cuirs et produits dérivés,
bois et industrie du meuble (article 75 de la loi de finances pour
2015).
Cette énumération n’est pas exhaustive et elle ne peut l’être en raison
de l’éparpillement des avantages fiscaux à travers des textes
législatifs autres que les lois de finances.
Ces opérateurs économiques bénéficient d’exonérations fiscales alors
qu’ils profitent de biens et services fournis par l’Etat au même titre
que la communauté en général et qui sont indispensables au
fonctionnement de leur entreprise. L’Etat réalise les infrastructures
indispensables à tout opérateur économique pour ses activités, il lui
forme (normalement) la main-d’œuvre utile au fonctionnement de son
entreprise, etc. En somme, il produit des biens et services qui
contribuent à créer et à développer le revenu national. Il est, donc,
tout à fait normal que l’Etat prélève à son profit une partie de ce
revenu sous forme d’impôts et taxes.
En outre, au cours de l’année 2015, première année qui a suivi la perte
de plus de 50% du prix du baril de pétrole, la générosité de l’Etat
approuvée par le législateur, s’est élargie aux professions libérales et
aux personnes morales commerçantes (SNC, Sarl, SPA…) en promulguant deux
lois de finances relatives à leur assujettissement à l’impôt forfaitaire
unique – IFU —en remplacement de l’IRG ou l’IBS, la TAP et la TVA
réunis.
De plus, l’article 2 du code des procédures fiscales qui permettait à
l’administration fiscale d’évaluer le chiffre d’affaires imposable à l’IFU
a été abrogé. Et dorénavant, c’est le contribuable lui-même qui
calculera son impôt forfaitaire unique à partir de sa propre estimation
du chiffre d’affaires prévisionnel et, en même temps, il a été soulagé
de la déclaration de sa comptabilité comprenant ses chiffres d’affaires
et ses bénéfices.
Cette même loi a exclu du champ d’application de la TVA les affaires
faites par les personnes dont le chiffre d’affaires global est inférieur
ou égal à 30 MDA, qu’ils soient soumis au régime du forfait ou du réel.
Par ces largesses fiscales accordées ces dernières années, d’une loi de
finances à l’autre, auxquelles s’ajoute une confusion quasi généralisée
induite par des dispositions contradictoires, voire inapplicables, on ne
sait plus qui paie l’impôt et qui reçoit.
En second lieu, depuis 2010, année d’entrée en vigueur de la loi n°07-11
du 25 novembre 2007 portant Système comptable financier – SCF —, la
comptabilité tenue, selon ce système, est sans rapport avec les règles
fiscales relatives aux impôts et taxes : TAP, TVA, IRG et IBS et se
trouve d’une complexité au point où peuvent facilement se produire soit
des fraudes fiscales soit des redressements fiscaux arbitraires. Le SCF
ne permet pas de fournir le chiffre d’affaires des entités économiques
et qui doit être déclaré à l’administration fiscale au titre de la taxe
sur l’activité professionnelle – TAP — ni au titre de la taxe sur la
valeur ajoutée – TVA —, vu que, conformément à cette loi, les ventes de
biens et les prestations de services sont à comptabiliser non pas au
montant de leurs factures, mais à la juste valeur. La juste valeur est
la valeur déterminée par le gérant de l’entreprise selon sa propre
évaluation.
Le SCF ne permet pas non plus aux contribuables de déterminer leurs
bénéfices à déclarer aux impôts au titre de l’IRG catégorie bénéfice
professionnel ou l’IBS parce que les règles du SCF et les règles
fiscales n’ont aucune correspondance. Par exemple, conformément au SCF,
les éléments à comptabiliser sont, au préalable, évalués à la juste
valeur. Ces évaluations sont effectuées à l’aide de mathématiques
financières. Mais, au moment des déclarations fiscales, elles sont à
remettre en cause pour revenir aux valeurs des factures. Idem pour les
composants de chaque immobilisation qui sont à regrouper pour les
besoins des déclarations fiscales et leurs réévaluations réalisées
chaque année sont à supprimer. Et les amortissements correspondants sont
à calculer à nouveau en fonction de la durée de vie de chaque
immobilisation… avec ces travaux fastidieux et inutiles, vu qu’ils
doivent être remis en cause pour les besoins de l’administration
fiscale, je constate, à travers mes activités professionnelles, que les
contrôleurs fiscaux ne s’y retrouvent nullement et aboutissent à des
redressements infondés.
Ce qui rend également impossible la déclaration des TAP, TVA, IRG et IBS,
c’est la comptabilité simplifiée prévue par les textes relatifs au SCF
et pouvant être tenue par toute entreprise ou société ayant un effectif
de moins de dix employés recrutés à titre permanent. Cette comptabilité
consiste en une comptabilité de caisse où l’on ne doit enregistrer que
les recettes et dépenses. Elle n’est donc d’aucune utilité pour la
détermination des chiffres d’affaires et des bénéfices à déclarer à
l’administration fiscale. Ainsi, les impôts et taxes constitutifs de
notre fiscalité ordinaire, à savoir TAP, TVA, IRG et IBS se retrouvent
vidés de leur substance. Les dispositions législatives y afférentes,
ajoutées à l’économie informelle, induisent, sans aucun doute, une
énorme réduction des recettes budgétaires, compensée malheureusement par
des décisions arbitraires. Alors qu’au niveau mondial, après les
expériences éprouvées en matière fiscale, on a fini par admettre que le
prélèvement fiscal le plus efficace est celui qui s’opère sur le revenu
national au moment où il est distribué en revenus particuliers et en
bénéfices des entreprises. A ce prélèvement fiscal s’ajoutent ceux qui
s’appliquent au moment où le revenu est utilisé : TVA ou droits
d’enregistrement. Ce sont des prélèvements fiscaux qui permettent de
tenir compte de la capacité contributive de par leurs dispositifs
techniques appropriés à cet effet.
De mon point de vue, ce sont ces dysfonctionnements qui sont à remettre
en cause pour non seulement accroître les ressources financières de
l’Etat, mais aussi instaurer une justice fiscale, élément incontournable
d’une justice sociale. Mais, on a fait le choix de se focaliser sur les
fortunes des personnes pour les considérer comme niche fiscale apte à
compenser les réductions de la fiscalité pétrolière et, en conséquence,
à compenser notre énorme déficit budgétaire. Alors que la fortune est
déjà imposée en Algérie par application de dispositions contenues dans
le code de l’enregistrement et d’autres contenues dans le code des
impôts directs et taxes assimilées.
Concernant le code de l’enregistrement, l’imposition sur la fortune est
occasionnelle et se produit lors de la transmission d’un patrimoine à un
autre ou lors de ses transformations. Les impôts y afférents se
subdivisent en droits de succession, droits de mutation à titre onéreux
et droits sur les sociétés. Ces droits sont perçus conformément au code
de l’enregistrement. Par exemple, les échanges de biens immeubles et les
cessions d’actions et de parts sociales sont assujettis à un droit de
2,5% de leur valeur. Les donations et les ventes de biens immeubles sont
taxées au taux de 5%. Les actes de formation, de prorogation, de
transformation ou de fusion de sociétés, sans transmission de biens
meubles ou immeubles entre les associés, sont assujettis à un droit de
0,5%...
Quant au code des impôts directs et taxes assimilées, il s’agit des
dispositions relatives à l’impôt sur le patrimoine. Cet impôt ne peut
être qu’éphémère et il est fort probable que les résultats escomptés
seraient dérisoires même si la liste des biens à inclure dans la base
d’imposition venait à s’élargir. C’est un impôt éphémère parce qu’il
s’applique à une ressource qui ne se renouvelle pas et qui risque, donc,
de disparaître définitivement en emportant avec elle sa taxation.
En outre, c’est un impôt contre-productif tant parce que les
propriétaires des biens sont difficiles à identifier eu égard aux
pratiques en vigueur dans notre pays consistant à répartir les fortunes
entre les membres de la famille ou lorsqu’il s’agit de fortune
constituée d’entreprises, à utiliser des prête-noms, que parce que les
richesses sont difficiles à appréhender et à évaluer. Il peut,
également, représenter une double imposition au cas où il viendrait à
s’appliquer à des fortunes constituées honnêtement, à l’aide de revenus
ayant déjà été taxés au titre de l’IRG et de l’IBS.
S. L.
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