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Rubrique A fonds perdus

Imprévisible Trump

«Pourquoi une guerre commerciale avec la Chine n'est pas “facile à gagner” ?», s’interroge Paul Krugman, le prix Nobel d’économie dans la tribune qu’il tient tous les lundis dans le quotidien The New York Times.(*)
Krugman se définit comme un «libéral», c'est-à-dire (dans un contexte américain) comme un économiste qui se situe «à gauche».
La question qu’il traite ce lundi relève des thématiques qu’il affectionne le plus, puisqu’il a obtenu le «Nobel d'économie» en 2008 pour avoir montré «les effets des économies d'échelle sur les modèles du commerce international et la localisation de l'activité économique». Ses travaux sur le commerce international en concurrence imparfaite et en économie géographique ont également fait sa notoriété.
Il s’intéresse au traitement que fait Trump des questions de commerce international, notamment sino-américain, à partir de discours jugés «aussi vides que durs».
Il lui est même reproché de reculer «ignominieusement» dès lors que pointe la moindre «perspective de se mettre à dos des intérêts puissants», et d’être sans pitié envers «les immigrants désespérés, les pauvres qui ont besoin de soins de santé, etc.».
Ses «fanfaronnades» sur les guerres commerciales qui sont «bonnes et faciles à gagner» ont subrepticement disparu, non par enchantement, mais pour des raisons précises que Krugman circonscrit principalement à ce qui suit :
«1. Quelqu'un a réussi à lui expliquer l'économie, et il s'est rendu compte que la guerre commerciale n'était pas une bonne idée.
2. Il a juste perdu son sang-froid, comme il le fait constamment lorsqu'il affronte des gens qui ne sont pas impuissants.
3. Il a été soudoyé, avec la Chine offrant des accords sucrés à ses intérêts commerciaux personnels.»
Grande est alors la déception de l’auteur sur «l'état du leadership américain qui est hautement invraisemblable». Un doute d’autant plus fondé que cette guerre commerciale «n'est pas aussi facile à gagner qu'elle pourrait le paraître à première vue».
Dans le bras de fer qui l’oppose à Pékin, Trump semble, en apparence seulement, avoir le dernier mot : «L'année dernière, nous n'avons vendu à la Chine que 130 milliards de dollars de biens, alors qu'ils nous ont envoyé 500 milliards de dollars. Donc, ils ont beaucoup plus à perdre, non ? Eh bien, ce n'est pas aussi clair que ça. Vous devez regarder les réalités du commerce moderne. Et quand vous le faites, l'histoire semble tout à fait différente.»
Trump commet une double erreur aux yeux de l’expert : en matière d'économie des déséquilibres commerciaux bilatéraux, d’une part ; en matière d’économie politique, d’autre part. 
«Le génie du système de commerce international d'après-guerre a été de tirer parti de cette réalité d'intérêt spécial, en utilisant les ambitions des exportateurs pour contrebalancer le protectionnisme de ceux qui concurrencent les importations, pour créer une sorte de mercantilisme éclairé du commerce mondial.»
Depuis, l’enjeu d’un développement international n’est plus seulement d’exporter mais de s’insérer également dans les chaînes de valeur mondiales.
Selon Krugman, l’avènement de «chaînes de valeur internationales complexes» réécrit la problématique initiale dans les termes suivants : «Même si les intérêts des producteurs prédominent sur les intérêts des consommateurs, ce dont les producteurs devraient se préoccuper ce n'est pas le volume qu'ils exportent, mais le montant des revenus qu'ils tirent de l'exportation. Autrement dit, ils devraient se préoccuper du «revenu à risque» et non des «exportations à risque». 
Les deux paramètres envoient à des sens différents, ce qui est le cas du commerce entre les Etats-Unis et la Chine, comme l’illustre le cas surmédiatisé de l'iPhone assemblé en Chine avec des composants fabriqués partout dans le monde : «Cet assemblage final ne représente que 3 à 6% du coût de fabrication, mais le prix total d'un iPhone expédié de Chine vers l'Amérique est considéré comme une exportation chinoise. Si je fais les bons calculs, cela signifie que la Chine exporte environ 17 milliards de dollars d'iPhones vers l'Amérique chaque année, mais les producteurs chinois ne représentent qu'environ 1 milliard de dollars de cela.»
«Les smartphones sont un cas extrême, mais il y a beaucoup de choses de ce genre. Le revenu que la Chine tire des exportations vers les Etats-Unis ne représente probablement pas plus de la moitié de la valeur nominale de ces exportations. Il se passe un peu la même chose dans l'autre sens — les avions américains, par exemple, contiennent beaucoup de composants étrangers —mais c'est beaucoup moins extrême.»
«Ce que cela signifie, à son tour, c'est que même si nous nous concentrons uniquement sur les intérêts étroits des producteurs — même si nous adoptons une vision mercantiliste — le commerce américano-chinois est beaucoup moins déséquilibré qu'il n'y paraît, ce qui signifie que la guerre serait beaucoup moins asymétrique que ne le suggèrent les chiffres du commerce brut.»
«Mais attendez, il y a plus. Apple vend ces iPhones pour beaucoup plus que ce qu'il en coûte pour les importer de Chine. Cela ajoute une partie supplémentaire du revenu américain à risque à la relation commerciale bilatérale. Certes, avec le temps, Apple pourrait probablement trouver d'autres fournisseurs — mais pas tout de suite, et pas facilement.»
Au final, même si la Chine risque d’être «plus touchée que les Etats-Unis dans une guerre commerciale totale (…) la douleur ne serait pas du tout unilatérale». Et Trump qui a les yeux fixés sur «son marché boursier bien aimé» qui n'aime vraiment pas les discussions sur la guerre commerciale semble l’avoir finalement compris.
Le problème avec Trump est qu’il est insaisissable, il n’arrête pas de prendre tout le monde à contre-pied, soutenant la chose et son contraire, démentant ainsi tous les pronostics. Dans un éditorial publié en 2016, avant que Donald Trump ne parvienne à la Maison Blanche, écrivait alors Krugman : «Si Trump est élu, l'économie américaine va s'écrouler et les marchés financiers ne vont jamais s'en remettre.» Un an après son élection, le taux de chômage est au plus bas, à seulement 4.1% (2.1 millions d'emplois ont été créés en une année, le chiffre le plus important depuis 1990) - de 6.8% pour la population noire, le taux le plus faible depuis 1973.
Imprévisible M. Trump, au point de démentir un Nobel d’économie.
A. B.

(*) Paul Krugman, Why a Trade War With China Isn’t «Easy to Win» (Slightly Wonkish), New York Times, 22 mai 2018

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