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Rubrique A fonds perdus

Quelle place pour le capital civique ?

Quelles institutions favorisent le développement ?
A côté d’une place accrue accordée au rôle de l'histoire dans l’étude des questions économiques, de nouvelles préoccupations se font jour portant notamment sur les causes à long terme du (sous-) développement.
Le nouveau millénaire a placé au centre du débat le type d'institutions formelles qui favorisent le mieux la croissance à long terme. Des articles académiques ont, à cet effet, valorisé la vision institutionnelle proposée par les historiens économiques. Les institutionnalistes soutiennent, pour l’essentiel, que le contrôle de l'exécutif (donc de la dépense publique) et une meilleure protection des droits de propriété créent un environnement favorable au développement économique.
D’autres travaux pertinents – en particulier le Doing Business de la Banque mondiale — suggèrent la prise en compte de la part du droit dans les processus économiques. Cette piste soutient que, contrairement aux pays de tradition romano-germanique (à laquelle nous appartenons), les pays ayant un héritage de common law assurent une meilleure protection aux investisseurs, ce qui leur procure un développement financier plus efficient.
Au cours de la décennie écoulée, les économistes se sont tournés vers l'impact des institutions informelles, en particulier le capital civique (plus généralement appelé capital social), sur le développement.
Le civisme, une valeur qui, paraît-il, se perd chez nous, est – nous le rappelle le Larousse «un dévouement envers la collectivité, l'Etat, et à la participation régulière à ses activités, notamment par l'exercice du droit de vote».
Alors que des sociologues soulignent l'importance de la culture civique, la nature intangible de concepts tels que le «capital civique» dissuadait les économistes d'étudier le sujet plus en détail jusqu'au début des années 2000.(*)
Comment peut-on mesurer quelque chose d'aussi immatériel que le capital civique sans qu'il soit affecté par d'autres facteurs confondants comme le développement économique ou institutionnel ? Guiso, Sapienza et Zingales (2004) ont développé de nouvelles mesures pour estimer le capital civique.(**)
Par exemple, le niveau de confiance qu'un New Yorkais manifeste dans son comportement économique quotidien résulte-t-il d'une connaissance et d’une conformation à la loi ou du produit d'un capital social élevé ?
Les deux exemples les plus illustratifs du capital civique sont la participation électorale et le don de sang. Il n'y a pas d'incitations légales ou économiques à donner du sang ou à voter. Les deux décisions ne sont dictées que par la pression sociale et les normes internes, c'est-à-dire les composantes fondamentales du capital social.
Dans une recherche de 2004, Luigi Guiso Einaudi, Paola Sapienza et Luigi Zingales se sont concentrés sur les effets économiques du capital civique, montrant que les régions italiennes avec une plus grande participation électorale et un don de sang élevé enregistraient un développement financier plus élevé ; les ménages dans ces régions ont utilisé plus de chèques et moins d'argent ; l’accès au crédit institutionnel y est également plus élevé.
Le même trio Guiso, Sapienza et Zingales signe un article intitulé «Persistance à long terme» pour recenser les facteurs générateurs d’un capital civique plus élevé. Remontant à l'expérience médiévale des villes italiennes, leurs résultats confirment empiriquement la célèbre hypothèse de Putnam et autres (1994) sur les origines historiques de la culture civique en Italie du Nord associée à la durée de l'expérience de la république urbaine historique.
Les résultats de l'article sur la persévérance à long terme sont particulièrement édifiants parce qu'ils ont montré «comment un choc historique positif survenu il y a plusieurs siècles à la période médiévale pouvait persister à travers la transmission intergénérationnelle des normes».
Ils se focalisent sur les chocs historiques pour voir comment ils peuvent générer une persistance à long terme dans le développement en favorisant une meilleure culture. «Nous montrons que les villes italiennes qui ont connu l'autonomie gouvernementale au Moyen-Age ont un niveau de capital civique plus élevé aujourd'hui que les villes similaires qui ne l'ont pas fait. Non seulement la présence d'un état de ville libre, mais aussi la durée de cette expérience et son intensité semblent avoir un impact positif sur le capital civique.»
Pourquoi les différences de développement économique sont-elles si persistantes ? Ils attribuent ce phénomène à «l'effet à long terme des institutions formelles, telles que la protection des droits de propriété et la limitation du pouvoir de l'exécutif. Incorporées dans les règles juridiques d'un pays, ces institutions ont tendance à durer au cours des siècles».
Un autre article de Nicholas Bloom, Raffaella Sadun, John Van Reenen (2012) montre que dans les pays où le niveau de confiance est plus faible, les entreprises sont plus centralisées, ce qui réduit leur productivité, les P-dg étant incapables de déléguer efficacement les décisions.(***)
Ils soutiennent que le capital social représenté par la confiance augmente la productivité globale en affectant l'organisation des entreprises. Leurs conclusions découlent de la collecte de nouvelles données sur la décentralisation des décisions d'investissement, d'embauche, de production et de vente d'entreprises à des directeurs d'usine locaux dans près de 4 000 entreprises aux Etats-Unis, en Europe et en Asie. Ils découvrent que «les entreprises ayant leur siège social dans les régions de haute confiance sont nettement plus susceptibles de décentraliser». Bien mieux, s’efforçant d’identifier les effets causaux, ils constatent que les entreprises multinationales subissent elles les niveaux de confiance bilatérale entre les pays d'origine et de la filiale d'implantation : son élévation accroît le niveau de décentralisation. Enfin, preuve est faite que la confiance augmente la productivité globale en facilitant la réallocation de ressources entre les entreprises et en permettant à des entreprises plus efficaces de se développer, car les P-dg peuvent décentraliser davantage leurs décisions. A la fin des années 2000, on a également mis davantage l'accent sur la modélisation de la dynamique de la transmission intergénérationnelle de la confiance (Tabellini, 2008a, Guiso, Sapienza et Zingales, 2008b).
Au-delà de la confiance et de la culture civique, le document sur la persévérance à long terme a influencé la littérature sur la persistance de la culture en général.
Voilà pourquoi, si «jusqu'au XXe siècle, la recherche empirique en économie était largement centrée sur les marchés et les entreprises», il en est autrement aujourd’hui : «Depuis les années 2000, les économistes ont également commencé à étudier les institutions formelles et informelles passées et présentes qui influencent le comportement économique et la structure des marchés.»
A. B.

(*) Prateek Raj, Prize-Winning Innovations in Measuring Civic Capital and Its Effects, Promarket, 22 mars 2018.
https://promarket.org/prize-winning-innovations-measuring-civic-capital-effects/?mc_cid=7cacad886c&mc_eid=6b484f1c8e
(**) Luigi Guiso Einaudi, Paola Sapienza, Luigi Zingales, Long-term Persistence, juin 2014.
https://www.kellogg.northwestern.edu/faculty/sapienza/htm/putnam.pdf
(***) Nicholas Bloom, Raffaella Sadun, John Van Reenen, The organization of firms across countries, The Quarterly Journal of Economics (2012), 1663–1705. doi:10.1093/qje/qje029. Advance Access publication on September 7, 2012.
http://worldmanagementsurvey.org/wp-content/images/2014/11/QJE-2012-Bloom-1663-705.pdf

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