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CONFÉRENCE DE L’ÉVÊQUE D’ORAN Béatification : de quoi parle-t-on ?

Le 8 décembre 2018, à Notre-Dame de Santa Cruz, aura lieu la béatification de l’ancien évêque d’Oran, Pierre Claverie, des 7 moines de Tibhirine et de 11 autres prêtres et religieuses. Tous assassinés en Algérie durant les années 1990. Ce samedi, Jean-Paul Vesco, évêque d’Oran a choisi d’animer une conférence-débat afin d’expliquer le sens et les enjeux de cet évènement. Mais pas seulement, il a également livré son souhait que cette béatification permette d’être clair «il n’est pas question de chrétiens ayant été assassinés par des musulmans, mais de chrétiens assassinés avec des musulmans». 

Amel Bentolba - Oran (Le Soir) - Reconnus martyrs par Rome le 27 janvier dernier, la béatification de l’ancien évêque d’Oran et de ses 18 compagnons, devait justement dans un premier temps avoir lieu à Rome, mais voilà que lors d’une réunion sur le sujet, l’actuel évêque d’Oran, Jean Paul Vesco, proposa Oran. Il s’explique : «A mon sens, leur  béatification devait être  célébrée dans le pays où ils ont vécu là où surtout ils ont choisi de rester aux côtés de leurs amis algériens et musulmans, malgré la menace.» Un tel choix semblait au départ compliqué à concrétiser voire même à se faire accepter par les autorités algériennes. «Mais voilà qu’à ma grande surprise, ma rencontre avec le ministre des Affaires religieuses et la proposition du lieu de béatification fut accueillie favorablement et même avec beaucoup de facilité ».
Toutefois, l’évêque d’Oran ne cache pas que la situation n’est pas anodine, organiser une telle cérémonie émanant de l’Eglise catholique dans un pays musulman peut sembler complexe et délicate. Après avoir expliqué brièvement le principe de la béatification qui consiste en un « acte pontifical par lequel une personne défunte est mise au rang des bienheureux et dans ce cas-là, les 19 religieux ont eu un destin certes tragique mais ils en connaissaient les risques et ont préféré rester en Algérie ».
Cette cérémonie ne sera pas une fête dira Jean-Paul Vesco, «nous aspirons seulement à rendre audible un témoignage du risque. Durant cette période, ces religieux ont simplement choisi de vivre et de partager le quotidien du peuple algérien. Ils ont simplement continué à vivre avec eux et c’est en soi un acte de foi».
L’intervenant a tenu toutefois à évoquer la crainte envers les contresens de cette béatification, le premier étant ici en Algérie dit-il. «Ce serait d’imaginer que l’Eglise ici en Algérie voudrait glorifier ces religieux, ce serait grotesque car qu’est-ce que c’est 19 personnes sur les 200 000 victimes algériennes ?». Un contresens qui aurait, estime Jean-Paul Vesco, pour conséquence de séparer l’Eglise du reste du pays. «C’est exactement le contraire de ce que nous voulons faire. Cette béatification est une forme de reconnaissance officielle de la façon dont nous vivons notre religion ici en Algérie. Ça met en lumière non seulement la façon de vivre de l’Eglise ici en Algérie mais aussi la façon dont nous vivons ensemble les uns et les autres.»
Second contresens de cette béatification, ce serait de faire croire, dira l’évêque d’Oran, que «finalement le fait de mettre en lumière ces 19 chrétiens, c’est dire qu’ils ont été tués par des musulmans et tout d’un coup il y aurait un risque réel que cette béatification vienne nourrir à nouveau ce mouvement-là».
Durant cette conférence, l’intervenant, très ému, a tenu à rendre hommage à un 20e homme qui, lui, ne sera pas concerné par la béatification, étant un Algérien musulman, assassiné avec l’ancien évêque d’Oran car ce jour-là, il lui servait de chauffeur. «Le sang mêlé de Mohamed Bouchikhi (22 ans) à celui de Pierre Claverie, à travers cette béatification, va permettre de mettre en lumière ce lien entre chrétiens et musulmans.»
Les 19 religieux sont considérés comme étant des martyrs, mais pour Jean-Paul Vesco, les martyrs ce sont ceux qui ont préféré mourir que de renoncer à leur foi. «Ce mot martyr affilié aux 19 pose problème parce qu’il nourrit le contresens de chrétiens tués par des musulmans. En fait oui, ces 19 ont été tués parce qu’ils étaient chrétiens, mais aussi parce qu’ils étaient des étrangers. 
A cette époque-là, on tuait aussi les imams, les intellectuels…, ce ne sont pas des victimes de la foi mais des victimes comme toutes ces victimes.» De ce fait, pour lui cette béatification vaut la peine de donner  au monde ce témoignage d’une vie ensemble.
Pour l’évêque d’Oran, il est absolument inédit qu’une telle béatification puisse toucher à une mémoire aussi sensible 20 ans après, c’est quelque chose d’extraordinairement délicat, dit-il. 
«Nous ne sommes pas en train de préparer une fête autour de cette béatification, non, nous sommes en train d’essayer de rendre audible au monde entier un témoignage d’une vie jusqu’à la mort entre chrétiens et musulmans, ce témoignage a du sens aujourd’hui autant qu’hier.»
A. B. 

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