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Rubrique Actualités

22 février-22 mars Chronique d’un mois de contestation

Photo : Samir Sid
Photo : Samir Sid

Lorsque a été lancé, au début de la deuxième quinzaine du mois de février, un appel à des manifestations populaires, le 22 du même mois, pour dénoncer – ce qui n’était que probable à ce moment-là — la candidature de Bouteflika pour un 5e mandat, personne ne pouvait imaginer que du scepticisme né en raison du jour et de l’heure choisis, un vendredi après la grande prière hebdomadaire, on allait passer si vite à une euphorie générale, une impensable euphorie de voir le pays approcher comme jamais d’aussi près le rêve de plusieurs générations de faire de l’Algérie une terre de liberté.
Qui aurait pu croire qu’un régime aussi ingénieux pour se régénérer depuis près de six décennies, ne concédant que quelques menus espaces pour donner l’illusion d’une démocratie, puisse partir en lambeaux en quelques semaines, en un petit mois ? Renverser un ordre si solidement établi depuis des lustres, ils n’étaient sans doute pas des masses à y croire, même si les prémices d’une révolte telle qu’on en a jamais vu dans le pays se sont mises à fleurir ici et là dans une proportion, au début, pourtant pas aussi visible que l’était par exemple le bruyant et courageux mouvement qui avait tenté en 2014 de remettre en cause la candidature pour un 4e mandat du déjà souffrant président de la République. Hier donc, exactement, un mois s’est écoulé depuis qu’une tout autre Algérie s’est révélée d’abord aux Algériens eux-mêmes, puis au monde entier.
Un pays porté par une génération à qui on ne la fait pas, à laquelle on ne peut faire croire qu’un Président dans l’état de santé qui est le sien décide de briguer un nouveau mandat à la magistrature suprême, un Président dont le bilan loué à tout bout de champ par sa meute de porte-voix est loin de constituer un argument recevable par une grande partie d’Algériens laissés-pour-compte, ceux pour lesquels entonnent, depuis des mois maintenant, voire quelques années, d’autres milliers de jeunes à partir des stades de football pour exprimer la mal-vie que, par exemple, le défiant Premier ministre a fait mine de n’avoir jamais vue, lui qui, au contraire, une dizaine de jours avant le début de l’embrasement, s’en est allé narguer les Algériens à partir d’Addis-Abeba pour dire que l’écrasante majorité du peuple réclamait la candidature de Bouteflika pour un cinquième mandat.

Le jour où … le cachir perdit de sa valeur
Le début des manifestations du rejet du plan échafaudé par l’Alliance au pouvoir sonnera à l’appel pour des rassemblements lancé pour le 20 janvier par le mouvement Mouwatana, mais la révolte a commencé vraiment à être alimentée en ce fameux samedi 9 février, lorsqu’un flot d’inénarrables images est venu, à partir de la Coupole du complexe olympique du 5-Juillet, montrer combien le fossé était grand entre les acquis au clan présidentiel et le peuple d’Algérie.
Un meeting pour les besoins duquel a été ameutée une population venue servir de décor à d'anciens ministres et d’autres en fonction qui du FLN, qui du RND et des têtes de pont des deux partis accessoires que sont le Mouvement populaire algérien (MPA) d’Amara Benyounès et le Tadjamoue Amel El Djazaïr (TAJ) d’Amar Ghoul. Tous étaient là pour appeler Abdelaziz Bouteflika à se présenter à la présidentielle. C’est de là que les premières réactions se firent jour, elles étaient essentiellement circonscrites au centre du pays avant que, le 16 février, de Kherrata, dans la wilaya de Béjaïa, des centaines de personnes, des jeunes pour la plupart, sortent dans les rues de la ville pour donner le ton d’un mouvement qui, depuis, n’en finit pas de susciter l’admiration du monde entier.
De Khenchela, où les premiers portraits du président de la République sont mis à mal, à Annaba où des centaines de jeunes et moins jeunes se sont donné le mot pour faire passer une soirée mouvementée aux tenants du cinquième mandat, sonnait le prélude à ce qu’allait être le week-end du 22-23 février.
Le 22 février, date désormais repère, journée arrêtée par les auteurs d’appels anonymes relayés sur les réseaux sociaux pour des marches populaires à travers tout le pays où, finalement, ils ne seront pas loin du million de citoyens à sortir crier la fin du régime Bouteflika comme le symbolisait l’arrachage de l’immense portrait du fronton du siège du RND sis à la Grande-Poste, dans la capitale qui renouait avec les manifestations après dix-huit ans d’interdiction de tout rassemblement du genre.
Une brèche dont allait tirer profit Mouwatana pour organiser, deux jours plus tard, un rassemblement qui finira par réunir plusieurs milliers d’Algérois venus à la rescousse après que des policiers se soient mis à violenter Soufiane Djilali et ses amis.

24-27 février, les étudiants décident d’écrire l’Histoire
Après avoir pris part aux manifestations dans leurs localités, les étudiants de nombreuses universités du pays se donnent le mot pour investir les campus puis les rues des grandes villes. Ils sont des milliers un peu partout à rejeter le 5ème mandat de Bouteflika et d’allonger la revendication en exigeant le départ du système que le Président incarne.
Des avocats de plusieurs barreaux du pays se rassemblent ou marchent chacun dans sa wilaya pour grossir les rangs des citoyens anti-5e mandat, alors que les acquis à la cause du président de la République se font de plus en plus tout petits si l’on excepte les quelques sorties, curieusement rares, d’Ahmed Ouyahia et de son équipe. Ouyahia qui, finalement, a perdu une bonne occasion de se taire, lui qui, quelques jours plus tôt, affirmait que la rue, il savait comment la maîtriser avant de lâcher sa désormais phrase entrée dans la postérité pour faire le parallèle entre l’Algérie et la Syrie.
Encore plus que le week-end d’avant, celui du 1er mars verra se déverser un incroyable flot humain sur pratiquement toutes les grandes villes du pays. Des centaines de milliers d’hommes et de femmes de tout âge, souvent accompagnés d’enfants, sont sortis crier leur ras-le-bol du système politique qui a accaparé le pays depuis l’indépendance.
C’est à partir de ce deuxième vendredi que les images de la révolte algérienne commencèrent à faire le tour du monde, étayées par des commentaires soulignant le caractère pacifique des centaines de milliers de manifestants et leur opposition résolue à Bouteflika et son régime.

La candidature de Bouteflika dope la protesta
Passé ce second week-end de manifestations grandioses, conclu par le coup d’éclat du retrait de Sellal et son remplacement par Abdelkader Zaâlane à la tête de la direction du comité de campagne de Bouteflika, place à la journée tant attendue du 3 mars.
En effet, alors que les universités du pays sont dans un état d’ébullition comme elles n’en ont jamais vécu, tout le monde a les yeux rivés sur le Conseil constitutionnel pour enfin savoir si Bouteflika sera effectivement candidat à sa propre succession. La réponse au dépôt de sa candidature par son tout frais directeur de campagne viendra encore une fois de la rue avec des manifestations nocturnes jusqu’à des heures avancées dans de nombreuses villes du pays où l’on exprimait ainsi la résolution de ne pas laisser le processus se poursuivre tel que l’avait décidé le clan au pouvoir.
Dès le lendemain, les étudiants sont partout rejoints par des jeunes et moins jeunes et remettent l’habit des protestataires contre le 5e mandat et l’avènement de la IIème République avec des rassemblements notables comme celui d’Alger. D’autres potentiels candidats avaient auparavant annoncé leur retrait de la course, à l’exemple de Louisa Hanoune et Ali Benflis.
C’est à ce moment que les premières réactions internationales viennent alimenter l’actualité bouillante en Algérie. Ainsi, les Etats-Unis annoncent «soutenir le peuple algérien et son droit à manifester pacifiquement» alors que l’Union européenne appelle au «respect de la liberté d’expression et de réunion des Algériens».

8 mars, des manifestations uniques au monde
Puis vint cette mémorable célébration du 8 Mars, la journée mondiale de la Femme, qui coïncida avec le rendez-vous désormais hebdomadaire des rassemblements qui subjuguèrent le monde.
Des manifestations monumentales que les Algériens n’ont même pas eu besoin de commenter, la presse internationale s’en est, en effet, très bien chargée pour, entre autres, faire part de la définitive, cette fois, fracture entre les tenants du pouvoir d’Alger et leur peuple qui, par sa manière de manifester son désaccord avec ses gouvernants, s’attirait tous les compliments auxquels il n’était pas habitué.
C’est sous cette immense pression populaire, et alors que le monde entier avait les yeux rivés sur le pays, un message de Bouteflika venait faire part de la décision de ce dernier de son retrait de la course à un 5ème mandat, mais qu’en parallèle, il allongeait son 4ème au-delà de la date constitutionnellement admise avec la promesse de tenir une conférence nationale chargée de mener d'ici à la fin de l'année à la promulgation d'une nouvelle Constitution.
Solution qui ne recevra pas l’agrément du peuple malgré la confusion que certains canaux se mirent à distiller avant de se heurter à l’avis unanime des Algériens : refus de prolongation du 4ème mandat et fin du système, leitmotiv de millions de manifestants, le 15 mars, qui, encore une fois, ont valu à l’Algérie d’occuper les Unes de toutes les manchettes de la planète, et des heures de débats et d’analyses sur les plateaux de radios et de télévisions.
Une protesta qui finira par déchiqueter l’alliance autour de Bouteflika avec le ralliement annoncé par les patrons du FLN et son pair du RND. Ralliement accueilli «à l’algérienne» par des commentaires plus marrants les uns que les autres du genre «On se croirait dans une séquence du film Rissala lorsque les Koraïchites se convertissaient à l’islam»…
Azedine Maktour

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