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Hommage à Mohammed Sahnoun, grand patriote et grand ambassadeur

Par Khalfa Mameri, auteur et ancien ambassadeur
Mohamed Sahnoun vient de s’éteindre paisiblement, discrètement et dignement. j’ai eu l’honneur et le privilège de servir sous sa brillante et bienveillante direction au moment où il était directeur de la si particulière, presque mythique, direction des «3A» (Afrique, Asie, Amérique latine) au ministère des Affaires étrangères. Certes, pendant assez peu de mois ; de novembre 1962 à juin 1963. Puis je l’ai croisé longuement à plusieurs reprises. C’était, me semble-t-il, largement suffisant pour apprécier les talents d’un grand homme, d’un grand patriote et qui révèlera des qualités exceptionnelles en tant qu’ambassadeur. Il était surtout impressionnant de lucidité et de réalisme, vertus ô combien nécessaires en diplomatie mais qui sont si rares et si peu partagées ! Il aurait pu être, à l’échelle du continent et des problèmes extérieurs de l’Algérie, ce Talleyrand, ce Metternich et, plus près de nous, ce Kissinger qui ont marqué l’histoire du monde. La chance n’était pas de son côté. Voici quelques souvenirs qui ont forgé ma conscience de diplomate apprenant à ses côtés que l’Algérie doit être au-dessus de tout et que son destin ne doit plus jamais être risqué ; même pour des peuples supposés frères à tort dont aucun n’a accepté de mourir pendant notre cruelle et longue guerre de Libération nationale. Bien que jeune diplomate, encore sans beaucoup d’expérience, Sahnoun, en accord bien sûr avec le si regretté Tewfik Bouattoura, alors directeur des affaires politiques, et Abdelmalek Benhabyllès, secrétaire général du ministère, avait désigné le 15 mai 1963 pour aller à Addis Abeba, capitale de l’Ethiopie, préparer la conférence des chefs d’Etat qui allaient, une semaine plus tard, créer l’Organisation de l’unité africaine (OUA). j’ai assisté, pendant près de 15 jours, à l’un des évènements les plus émouvants de mes trois décennies de vie diplomatique : l’Algérie, mon pays, était célébrée triomphalement. C’est la première fois qu’on voyait à l’échelle d’un continent, voire de la planète tout entière, en raison des nombreux journalistes qui y étaient présents, ces Algériens, clandestins il y a peu de mois, qui avaient arraché leur indépendance grâce aux sacrifices d’un peuple admirable, faisant même coup double en permettant aux autres peuples d’Afrique de s’émanciper de l’esclavage colonial. La délégation algérienne, la plus nombreuse, forte probablement de plusieurs dizaines de personnages, était partout ; arborant au revers du veston les couleurs du pays, renforçant cette forte et «remuante» présence en distribuant des pin’s à tous ceux et celles qui le demandaient ; ce qui faisait passer presque tout le monde pour Algérien ! Ce succès était certes dû au prestige de la Révolution algérienne, encore brûlante dans les mémoires, mais aussi aux nombreux délégués algériens qui avaient des liens, des attaches et des relations d’amitié avec la plupart des autres délégués africains. Sahnoun était, sans conteste, le «Monsieur Afrique» de l’Algérie. Il était partout ; saluant et embrassant de nombreux délégués inconnus des autres Algériens. j’ose écrire pour la première fois l’ordre que me donna Sahnoun, admis dans la salle de conférences avec quatre autres délégués algériens, tous derrière le chef de l’Etat. Sorti discrètement de la salle, Sahnoun me demanda d’aller voir Simon Malley, journaliste de Jeune Afrique, en poste à New York, pour lui dire que «tel pays (impossible à citer par réserve diplomatique) était hostile à l’admission de la Mauritanie comme membre fondateur de l’OUA». je peux préciser qu’il ne s’agissait pas du Maroc, puisque ce pays qui revendiquait le territoire mauritanien n‘était pas présent ; boycottant les assises pour la fondation de l’organisation continentale, aussi longtemps que la Mauritanie y serait présente. je laisse donc le lecteur deviner de quel pays il s’agissait. Inutile de souligner que le coup de génie de Sahnoun avait fait le tour de tous les journalistes présents ; provoquant une réaction en chaîne au souffle dévastateur. Ce pays qui avait la prétention de disputer le leadership à l’Algérie ou de défendre indirectement, voire sournoisement les positions annexionnistes du Maroc, était sans voix, totalement anéanti. A lui seul, Sahnoun a donc ouvert la voie à notre pays pour inscrire son plus beau succès diplomatique dès sa première conférence internationale, moins d’un an après son indépendance. Comment ne pas lui adresser l’hommage de la nation ! Donné pour être le plus sûr du probable ministre des Affaires étrangères après la mort de Mohamed Khemisti, le si talentueux Sahnoun sera écarté par une conjuration de jalousies et de convoitises. Après le coup d’Etat du 19 juin 1965, Sahnoun sera tout simplement arraché à son pays qu’il aimait tant et qu’il servait si utilement et si brillamment. Il est envoyé, pour ne pas dire exilé à Addis Abéba où il purgera une «longue peine» de 15 ans, pour avoir eu trop de talents, ou même d’ambitions légitimes, en tant que secrétaire général adjoint de l’OUA. Autant dire frappé d’une double peine : exil plus déclassement. Perdre autant d’années quand on est au sommet de son art, c’est tout simplement irréparable et inconsolable. Mais il arrive parfois que les forces du mal cèdent devant les forces du bien. Le destin programmé par Dieu omniscient peut se venger de la machination des hommes. C’est alors que Sahnoun est «récupéré» par le président Chadli Bendjedid, qui en fera, non seulement son ambassadeur à Paris et Washington, mais, plus encore, mais trop tardivement, son conseiller diplomatique à la Présidence de la République. Ambassadeur d’Algérie en France, Sahnoun réussira en peu de temps à apaiser les relations entre les deux pays, trop souvent portées à être éruptives et maladives pour des causes extra-algériennes. Au total, comment ne pas déplorer que notre pays ait pu gâcher autant de ses enfants, hommes et femmes, dont les talents sont plus appréciés et même souvent utilisés par les institutions internationales que pour les besoins criants et pressants de leur peuple. Sahnoun aura été l’incarnation même de ce paradoxe : écarté par les dirigeants de son pays, mais recherché par la communauté internationale. Combien d’autres Algériens n’ont pas été ou ne sont pas encore dans ce cas ? je peux en citer des dizaines. Longtemps condamné au silence, à l’inaction ou loin de son pays, Mohamed Sahnoun n’a pu révéler toute sa richesse, ses talents et son amour pour son peuple. je peux témoigner qu’il n’avait ni amertume ni rancune. La dernière fois que je l’ai vu, embrassé, échangé un peu avec lui, c’était il y a quelques années, au moment où nous étions conviés à nous recueillir à la mémoire de Abane Ramdane au carré des Martyrs d’El Alia, à Alger. Il était accompagné par le général Hocine Ben-Maâlem, un autre grand patriote, un autre disparu. Que tous reposent en paix. A Mohamed Sahnoun plus particulièrement que j’ai connu, respecté, admiré, qui m’a tant appris pour servir la seule Algérie et être digne du sacrifice de nos libérateurs, je lui dis tout simplement : bravo et merci pour toujours, sûr de moi que la mémoire algérienne lui sera reconnaissante !
K. M.

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