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Abdelkrim Badjadja, historien, ancien DG des Archives nationales : «L’Algérie existe en tant qu’État depuis au moins 2 500 ans»


Archiviste et historien, Abdelkrim Badjadja est l’ancien directeur général des Archives nationales d'Algérie. Il a également exercé en tant que consultant en archivistique aux Archives nationales des Émirats arabes unis. Il est auteur de plusieurs ouvrages sur l’histoire de l’Algérie.
Dans cet entretien, et en réponse au Président français qui se demandait ce qu’était l’Algérie avant l’occupation française en 1830, il affirme que les fondements historiques de l’État algérien remontent à au moins 2 500 ans (25 siècles). Les déclarations de Macron ont, au moins, le mérite de rappeler aux Algériens que le sillon de leur histoire a été tracé par les rois berbères, avant notre ère.
Abdelkrim Badjadja souligne que le pays fut réunifié sous la bannière du roi Massinissa après sa victoire sur Syphax lors de la bataille de Zama en 202 av. J.-C. qui vit s’affronter les deux empires de la Méditerranée : Carthage et Rome. Il créa la Numidie avec Cirta (Constantine actuellement) comme capitale. Il regrette que notre Histoire ne soit pas enseignée selon les méthodes scientifiques et pédagogiques, mais avec des arrière-pensées politiques comme si l’on avait affaire à des militants d’un parti politique et non à des élèves assoiffés de connaissances et non de slogans. « Notre Histoire est très riche, il faudra mettre un terme aux incursions politiques qui ne débouchent que sur l’incompréhension, voire sur la désinformation », recommande-t-il.
L’ancien DG des Archives nationales affirme, en ce qui concerne le transfert du trésor de la Régence d’Alger en France au lendemain de la colonisation, que l’Algérie est en droit de réclamer à la France près de 684 milliards d’euros, capital plus intérêts.

Entretien réalisé par Karim Aimeur
Le Soir d’Algérie : Dans ses dernières déclarations, le Président français a lancé : « La construction de l’Algérie comme nation est un phénomène à regarder. Est-ce qu’il y avait une nation algérienne avant la colonisation française ? » Que répondez-vous à cette question, en votre qualité d’historien ? L'État algérien a-t-il des profondeurs historiques ?
Abdelkrim Badjadja :
L’Algérie existe en tant qu’Etat depuis au moins 2 500 ans. En 202 avant J.-C., le pays fut réunifié sous la bannière du roi Massinissa après sa victoire sur Syphax lors de la bataille de Zama en 202 av. J.-C. qui vit s’affronter les deux empires de la Méditerranée : Carthage et Rome. Chacun de ces deux empires avait été obligé de solliciter l’alliance de l’un des deux rois berbères, Syphax ou Massinissa.
Les Romains choisirent Massinissa qui disposait de la cavalerie la plus intrépide et la plus redoutable d’Afrique du Nord. Massinissa, vainqueur avec Rome, fusionna les deux royaumes berbères et créa un nouvel État : la Numidie avec pour capitale Cirta (Constantine depuis l’an 303 de notre ère). La Numidie avait pour frontières à l’est l’oued Mellègue (Tunisie actuelle) et à l’ouest le fleuve Moulouya (Maroc actuel), soit à peu près les frontières de l’Algérie actuelle. J’avais déclaré en direct à la Télévision algérienne de l’hôtel El-Aurassi où se déroulait le colloque international sur les archives concernant l’Histoire de l’Algérie et conservées à l’étranger : « En cette année 1998, nous célébrons le 2 200e anniversaire de la création de l’État sous le nom de Numidie. »
Et après cela, les nostalgiques de « l’Algérie française » pleurent sur la perte du pays créé par leurs ancêtres, oubliant que ce pays existe depuis trois millénaires. Et la Gaule ? C’était un grand boulevard au sud duquel passait le général carthaginois Hannibal avec ses éléphants pour attaquer Rome par le nord. Quant aux pauvres Gaulois, c’était un peuple rustre qui vivait dans des cabanes au moment où Cirta rivalisait de splendeur avec Rome et Carthage.

C’est donc en 1830 que la colonisation française a commencé en Algérie. Selon ce qui est enseigné à l’école, l’affaire de l'éventail entre le pacha turc Hussein Dey et le consul français Pierre Deval est la cause de cette colonisation. Or, des historiens estiment qu'il s'agit d'un prétexte alors que la vraie raison serait le refus de la France de s'acquitter des dettes. Qu’en est-il réellement ?
Le terme « pacha turc » est tendancieux, alors qu’il s’agit de l’Empire ottoman, la Turquie n’existant pas encore. Parlons du Dey Hussein. Deval n’était pas un vrai diplomate, mais un homme d’affaires (douteuses) investi de la fonction de consul. La vraie raison : c’est le refus de la France de payer ses dettes envers la Régence d’Alger qui lui avait évité la famine en lui vendant à crédit les cargaisons de blé nécessaires durant la crise économique de la Révolution française.
En vérité, le but ultime des gouvernants français était de conquérir la Régence d’Alger, et un plan de colonisation avait été dressé dès 1827 par le marquis De Clermont Tonnerre, ministre de la Guerre. À cette époque déjà une expédition sur Constantine avait été élaborée considérant qu’aucune colonisation ne pourrait s’établir sans le Beylik de Constantine qui couvrait tout l’Est algérien jusqu’à la vallée de la Soummam.

Après la prise d’Alger le 5 juillet 1830, la France s'est emparée immédiatement du trésor de la Régence d'Alger. À combien est estimé ce trésor et où se trouve-t-il ?
Le 17 juillet 1830, le général de Bourmont écrivait au ministre : « L'inventaire du trésor est à peu près terminé. Une somme en or de 13 200 000 francs a été chargée sur le Marengo ; le Duquesne va porter en France 11 500 000 francs en monnaie du même métal. Tout le reste est en lingots ou en monnaie d'argent, dont la valeur est de 27 000 000 environ. Ainsi, une somme de 52 000 000 aura été trouvée dans le trésor. Péant mentionne également les écrits des consuls en poste à Alger : le 9 juillet 1830, le consul anglais Saint-John estimait le trésor à « au moins 300 millions », le consul américain Shaler faisait la même estimation et le 13 août 1830, celui des Pays-Bas parlait de 230 millions.
Je retiens le chiffre de 300 millions de francs or, qui valent aujourd’hui 90 milliards d’euros. Ce trésor avait été transféré en France en partie, après retenues au passage des « butins de guerre ». Si l’on ajoute les intérêts minimums de 5% sur 132 ans, l’Algérie est en droit de réclamer à la France près de 684 milliards d’euros, capital plus intérêts.
D’autant plus que lors de l’indépendance de notre pays, le Trésor algérien était vide, et le Trésor français avait procédé aux versements d’avances à la trésorerie algérienne notamment pour le versement des salaires aux fonctionnaires dont beaucoup étaient encore des Européens. Je me souviens que les deux directeurs d’école que j’avais connus en 1963 et 1964 étaient des Français. Incroyable : notre pays était alphabétisé et riche en 1830, et il était devenu analphabète et pauvre en 1962 après 132 années de colonisation de peuplement.

La France avait également transféré les archives et les documents de la Régence d’Alger. Pourquoi cet intérêt pour ces archives et que contiennent-elles ?
Cela a permis à la France de clamer que notre pays n’existait pas. Pas d’archives, pas d’institutions, pas de trésorerie, donc pas de pays. La France avait transféré les archives nationales, dont les traités signés avec une vingtaine de nations, s’était accaparée de nos richesses pour renflouer le Trésor français, détruit nos institutions. Mais son problème, c’était la population rebelle qui refusait toute colonisation.
D’où des guerres partout où les troupes françaises se manifestaient. Ces guerres, soulèvements, insurrections, manifestations de refus avaient marqué la présence française de 1830 à 1962, et l’apothéose a été la Révolution armée 1954-1962. Après l’indépendance, la France avait commencé par restituer une partie des Archives nationales, le fonds qu’ils avaient appelé « série Z », en fait les archives de « Beit El Mal », et des correspondances arabes et ottomanes. J’avais négocié personnellement la restitution des traités (originaux) signés avec les nations occidentales. Reste les 59 Traités (originaux) signés avec la France elle-même, sachant que ces traités existent en deux exemplaires, un pour chaque pays.
La liste de ces traités avait été dressée et publiée par un diplomate français du XIXe siècle : Eugène Plantet, « Correspondance des Deys d’Alger avec la Cour de France 1579-1833 ». Je ne sais pas si les exemplaires revenant à l’Algérie ont été restitués, mais ce qui est certain, c’est que cet acte posera un sérieux problème aux dirigeants français, en premier lieu Macron : « Alors depuis 1830 vous n’avez cessé de nous bassiner avec ce pays qui n’existait pas, et voilà que vous nous sorter 59 traités signés depuis 1579 avec ce pays en principe inexistant ? »

À quoi est due la méconnaissance de l'histoire millénaire du pays, selon vous ? Que préconisez-vous pour une meilleure connaissance de l'histoire du pays ?
Notre Histoire n’est pas enseignée selon les méthodes scientifiques et pédagogiques, mais avec des arrière-pensées politiques comme si l’on avait affaire à des militants d’un parti politique, et non à des élèves assoiffés de connaissances et non de slogans. Notre Histoire est très riche, il faudra mettre un terme aux incursions politiques qui ne débouchent que sur l’incompréhension, voire sur la désinformation. Je donne deux exemples.
Le premier est que pour les uns, l’Histoire de notre pays s’est arrêtée au VIIe siècle avec les premiers cavaliers arabes propageant l’Islam, pour les autres, notre Histoire commence justement au VIIe siècle, avant c’était la Jahilia, on n’a pas à en parler. L’école française, quant à elle, persiste à enseigner que l’Algérie a été créée par la France. Le deuxième est que dans notre pays, nous persistons dans le mensonge, en escamotant des vérités, ce que j’appelle « le syndrome Abane Ramdane ».
K. A.

 

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