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PRISONS ALGÉRIENNES Un monde toujours fermé

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Loin des regards de la société, des milliers de détenus croupissent dans des prisons dont l’opinion sait très peu de choses en réalité. Les échos de la vie carcérale filtrent par bribes, diffusés par d’anciens détenus courageux, certains avocats ou défenseurs des droits de l’Homme. L’enquête qui suit tente d’ouvrir une fenêtre sur un monde encore méconnu du grand public…
Abla Chérif - Alger (Le Soir) - 31 juillet 2018. Un ancien officier de l’armée algérienne lance un cri de détresse dans la presse algérienne. Son fils âgé de 24 ans vient de décéder d’une crise d’asthme à la prison d’El- Harrach. Le colonel Hamlet dénonce, accuse et impute le drame aux conditions de détention dans lesquelles se trouvait le défunt. Dans les colonnes de notre confrère Liberté, il confie avoir pourtant suivi toutes les étapes nécessaires pour faire parvenir à son fils souffrant le traitement nécessaire pour le soulager. Les démarches ont échoué, dit-il, «mon fils est mort en prison ». Quarante huit heures ont passé. L’administration pénitentiaire reste silencieuse sur le sujet. Pas de réaction non plus du ministère de la Justice. Les spécialistes du monde judiciaire incombent ce silence à l’enquête qui doit probablement et nécessairement être déclenchée suite à cette dénonciation. D’autres, plus sceptiques, rappellent que la loi du silence a toujours prédominé dans ce genre de situation. En décembre 2016, l’administration pénitencière a été pourtant forcée de sortir de son mutisme pour se défendre des violentes attaques dont elle a fait l’objet suite à la mort du journaliste Mohamed Tamalt. La famille et les avocats du défunt ont fait savoir que le défunt était mort des suites de coups inexpliqués. L’affaire tourne au scandale. Elle ouvre la porte à d’autres dénonciations. En septembre 2017, Ghadbane Hamdi, un ancien détenu de 28 ans libéré de la prison de Khenchela affirme avoir fait l’objet de mauvais traitements et de ne pas avoir eu droit aux soins réclamés. Son cas s’apparente à celui de Mejdoub Chani. Homme d’affaires algéroluxembourgeois accusé de blanchiment d’argent dans le dossier de l’autoroute Est-Ouest. Il s’était plaint de sévices divers et du manque de soins. De nombreuses autres affaires du genre ont valu à l’Algérie des critiques importantes de la part de la commission des droits de l’Homme de l’ONU ainsi que d’autres organismes internationaux.
Avocats : des avis divergents
Pour être fréquemment en contact avec des détenus, les avocats algériens figurent normalement parmi les personnes les plus indiquées pour évaluer la situation. Sur trois avocats interrogés, deux soutiennent qu’en dépit des apparences, des «efforts spéciaux ont été fournis pour améliorer les conditions de la vie carcérale». «Mon avis n’est pas forcément celui de tous mes autres confrères, mais j’estime sincèrement que le milieu carcéral est encore celui qui fonctionne le moins mal dans le monde de la justice» fait savoir Me Miloud Brahimi. «Depuis un certain nombre d’années, poursuit-il, tout a été fait pour humaniser les prisons. A mon niveau, je n’ai, par exemple, jamais rencontré un détenu qui se plaint d’avoir faim ou avoir subi de mauvais traitements. Sauf exception, tout semble avoir été mis en place pour renforcer le respect du détenu». A peu de mots près, Me Mecheri semble lui aussi partager l’idée d’une «amélioration ». «A El-Harrach, dit-il, la vie carcérale est un peu meilleure que celle qui prévalait auparavant. Ils ont installé des climatiseurs, des télévisions branchées sur une seule chaîne. Oui, de ce point de vue, cela semble un progrès compte tenu de la chaleur étouffante qui règne en été». Comparé à la situation qui régnait au cours des années 1980 et 90, c’est «mieux, c’est sans comparaison» poursuit-il. «A cette époque, les détenus vivaient un réel enfer. Ils étaient plus d’une cinquantaine (parfois 70) dans une salle, les odeurs étaient insoutenables, les toilettes dans un état de saleté quasi permanent, l’hygiène absente, c’était terrible». A cette époque, apprend-on, plusieurs détenus n’ayant pas supporté les conditions carcérales, les malades en particulier, sont décédés. On en sait pas plus, le sujet est tabou. «Certains sont morts étouffés. On ne pouvait rien faire à cette époque» poursuit notre interlocuteur. «Aujourd’hui, nous avons l’affaire du journaliste Tamalt, il est mort en prison cela veut dire qu’il y a encore des efforts à faire». Il déplore aussi le fait que les prisons algériennes regorgent de «détenus dans l’attente de jugements, d’absence de dossiers dans certain cas». Les informations demeurent cependant partielles, difficiles à obtenir. Ce que déplore Me Saddat qui estime que «le temps est venu d’obtenir des accès libres au monde carcéral afin de se faire une idée réelle de la situation». Elle fait part de son expérience basée essentiellement sur les témoignages des détenus qu’elle défend. «C’est un autre monde, dit-elle, un monde terrible qui se débat dans des problème de proximité, de difficultés d’accès aux soins de manque d’hygiène. Tout cela génère des maux. Cela va des attouchements sexuels, parfois plus aux maladies. Pour voir un médecin en prison, c’est le parcours du combattant. Il faut le signaler au prévôt, lequel doit à son tour le signaler à qui de droit et attendre la réponse, en attendant, le malade souffre et cela peut entraîner de graves conséquences (…). A Ghardaïa, les conditions de détention sont inhumaines. Dans cette région, beaucoup de personnes souffrent de problèmes ophtalmologiques en raison du climat. Ils ont du mal à se faire soigner, certains risquent même de perdre la vue. Le journaliste Tamalt n’a pas été soigné à temps, il en est mort. Des personnes décèdent en prison, mais nous n’avons pas de chiffres. Pas de données sur les maladies qui prolifèrent en prison, pas d’enquêtes sur les abus (…) Ce qui s’est passé avec le fils du colonel Hamlet est une honte, dit-elle, encore que le père a pu dénoncer, imaginez ce qu’il en est pour les autres. Malheureusement, nous n’avons pas de chiffres, pas d’éléments, pas de rapports basés sur des données fiables. Il n’y a pas possibilité de faire un travail de terrain, mais ce n’est pas en cachant la vérité qu’on pourra améliorer la situation ou avancer ». Selon Me Saddat, les «prisons sont aujourd’hui des lieux où les détenus ne sont pas en sécurité. Les autorités refusent le terme de prison lui préférant celui de centres de réinsertion, mais pour réinsérer un détenu, il faut d’abord le traiter correctement, respecter sa dignité, ses droits les plus élémentaires». Avocate des détenus de Ghardaïa, elle évoque la surpopulation des prisons de la région. «La situation est très particulière là-bas, même les droits des avocats ne sont pas respectés. J’ai eu des altercations avec des gardiens à plusieurs reprises car ils ne respectaient pas l’espace où je me trouvais avec mes clients, ils voulaient à tout prix écouter les conversations».
Des chiffres effrayants
Fin 2009. La Commission nationale de protection des droits de l’Homme présidée par Me Ksentini publie un rapport qui révèle une réalité effarante. Il y dénonce en premier lieu la surpopulation carcérale. Des chiffres sont rendus publics. Conçue pour abriter 1800 personnes, la prison d’El-Harrach contenait à cette époque 3 822 détenus dispatchés dans 26 salles. Le rapport dénonce le manque d’hygiène, le manque d’électrification, le manque d’eau et la présence de… 29 malades mentaux. 157 femmes, 32 mineurs et 60 étrangers sont également détenus ici. Comme les autres détenus, ils souffrent «d’insuffisance de lits, du manque d’aération et de lumière ainsi que d’une insuffisance des repas». La prison de Blida n’est guère mieux lotie. Bien que sa capacité d’accueil soit limitée à 90 personnes, elle abrite 1 043 détenus. Selon le même rapport, l’infirmerie, exigüe et mal aérée, entraîne des conséquences sur les détenus malades. A Boufarik, 11 détenus se partagent six lits. A Médéa, révèle la même source, les détenus souffrent de malaises psychologiques en raison du manque d’aération et de lumière. A Constantine (1097 détenus pour une capacité de 700 personnes), à Skikda, on signale l’impossibilité de faire la séparation entre malades et détenus. Le rapport a été remis aux plus hautes autorités.
«Il faut humaniser les prisons»
Plus de neuf ans ont passé depuis la publication du rapport. Au lieu de s’améliorer, la situation s’est encore dégradée dans le monde carcéral dénonce Me Ksentini. «Elles se sont aggravées sur plusieurs plans. Placer des climatiseurs ou mettre des télévisions ne veut pas dire qu’on a fait des progrès. La détention est excessive, la préventive a augmenté de manière exponentielle, les mécanismes mis en place ne fonctionnent pas». Selon lui, le nombre de détenus s’explique en partie par le fait que la liberté conditionnelle «qui est un droit, s’accorde au compte goutte». «Un détenu peut bénéficier d’une liberté conditionnelle lorsqu’il arrive à la moitié de sa peine, malheureusement chez nous, elle est accordée à un mois de l’expiration de la peine. Ce n’est pas normal, pas plus que la détention préventive». Selon lui, le projet visant à remplacer cette détention par un bracelet électronique n’a pas encore réellement vu le jour. «Les textes d’application n’existent pas encore. Le ministre a libéré quatre personnes, c’est très bien, mais qu’en est-il pour les autres ? Les seuls moments où les prisons sont un peu déchargées c’est lorsque le président de la République procède à des grâces partielles». Me Ksentini s’étonne des changements intervenus depuis un moment. «Auparavant, les détenus avaient droit à une visite familiale par semaine, à présent, le droit n’est accordé que tous les quinze jours. Le couffin ne peux donc entrer qu’une fois par quinzaine. Il ne doit pas dépasser dix kilos ce qui est une aberration et ne doit contenir ni gâteaux ni fruits ces derniers temps. Comment expliquer cela. Une dame m’a appelé à onze heures du soir pour me demander pourquoi son fils n’a pas le droit de recevoir une pastèque». L’avocat s’insurge également contre le fait que les détenus sont envoyés dans des prisons lointaines. «Je ne comprends pas que l’on continue à envoyer des détenus de Tlemcen à Tazoult ou d’Alger au Sahara, c’est inconcevable. Les familles sont pénalisées. Les mères et les sœurs, car c’est elles qui assurent la solidarité autour du détenu, souffrent de manière atroce pour se déplacer. Si l’on veut réinsérer un détenu, il faut commencer par se conduire de manière humaine avec lui, lui offrir une quantité de repas suffisants, de l’aération, de la lumière, des soins. Que font des malades mentaux, des personnes totalement inconscientes de leurs actes en prison ? Pourquoi aggraver les conditions de détention des prisonniers ? Ils ont commis une faute, ils la payent mais cela reste des citoyens. Nous ne devons pas nous montrer inhumains, c’est peu glorieux». L’avocat tient cependant à rendre hommage aux gardiens de prison qui, dans leur majorité, font tout ce qu’ils peuvent pour «soulager la souffrance des détenus». Avant de conclure, il livre l’un des plus terribles souvenirs de sa carrière. Celui d’un homme de plus de 70 ans, condamné à la prison et souffrant d’une tumeur au cerveau. Toutes les démarches entreprises pour éviter l’incarcération ont été vaines. «Il est mort trois jours après sa détention»…
A. C.

 

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