Panorama : PARLONS-EN
A qui profitera l’amnistie g�n�rale ?
Par Malika BOUSSOUF , malikaboussouf@yahoo.fr


Fort des 85% de voix qui se sont exprim�es en faveur de sa r��lection le 8 avril dernier, le chef de l’Etat, qui, lors de son premier mandat, ne s’�tait pas g�n� pour prendre des libert�s avec la Constitution en accordant la gr�ce � des personnes non jug�es et donc non condamn�es, se pr�sente, aujourd’hui, comme un pr�sident scrupuleux qui avoue son indisposition � appliquer l’amnistie g�n�rale sans en r�f�rer au peuple sous le confortable pr�texte que cela d�passe ses pr�rogatives. Etrange attitude, il faut le dire, qui incite � davantage de prudence tant le pav� jet� dans la mare pourrait appara�tre comme un ballon-sonde destin� � prendre le pouls d’acteurs politiques et � donner, par la m�me occasion, une id�e de lui, qui soit celle d’un pr�sident qui n’est l� que pour traduire dans les faits l’expression d’une volont� populaire.
S’il reste admissible que le chef de l’Etat poursuit l� une logique entam�e par la concorde civile pour aboutir � l’amnistie g�n�rale en passant par la gr�ce amnistiante de janvier 2000, il n’en demeure pas moins que le doute quant � la spontan�it� de l’aveu relatif � l’amnistie g�n�rale laisse planer un certain malaise. On s’imagine mal, en effet, Bouteflika se r�veillant un matin avec une id�e aussi “lumineuse” pour ne pas dire “�trange” que celle consign�e dans un discours � la nation � la veille du cinquantenaire de la R�volution alg�rienne. L’id�e qui se voudrait g�n�reuse ne peut en aucun cas �tre d�pourvue d’arri�re-pens�es. Car alors, pourquoi, avant de s’engager � parler d’amnistie g�n�rale, n’a-t-on pas commenc� par planter le d�cor en explicitant clairement le concept ? Le chef de l’Etat ne l’a pas fait. Le flou est sciemment entretenu, peut-�tre pour mieux faire passer la pilule le moment venu. Amnistie g�n�rale ou totale impunit� ? La surprise pourrait �tre la m�me avec l’amnistie g�n�rale qu’elle l’a �t� avec la gr�ce amnistiante. Se r�concilier les uns les autres, se donner la main, cr�er une cha�ne de solidarit� et travailler ensemble pour consolider l’Etat dans sa “grande” marche vers la d�mocratie, ce sont l� des arguments plut�t galvaud�s pour justifier le recours � l’amnistie g�n�rale. Mais au fait, qui veut-on amnistier et � qui, en l’occurrence, veut-on servir la soupe avec pareille proposition qui pourrait bien ne pas tarder � �tre impos�e comme une n�cessit� absolue r�clam�e par un peuple en mal de paix ? Le pouvoir pourrait bien, en effet, ne pas s’encombrer, le moment venu, d’atermoiements ou de d�bats qui s’�taleraient � l’infini. N’est-il pas l�, apr�s tout, pour penser, r�fl�chir et agir aux lieu et place des autres, ces gouvern�s d�j� roul�s dans la farine et qui ne demandent pas mieux, croit-on, que de se laisser conduire vers ce qui leur sera pr�sent� comme politiquement correct et indispensable � la stabilit� du pays ? La souverainet� populaire, faut-il le reconna�tre, n’est sollicit�e par le pouvoir que lorsque celui-ci projette de faire prendre aux autres des vessies pour des lanternes � des fins jamais avou�es. La mesure d’amnistie g�n�rale serait donc ent�rin�e par voie r�f�rendaire. Tout d�pendra, bien s�r, de la forme sous laquelle la question sera pos�e aux Alg�riens. Il va de soi qu’une formule telle que “�tesvous pour l’amnistie des terroristes ?” ne sera, par exemple, jamais propos�e aux �lecteurs : le risque �tant trop �lev�, en cas de transparence totale du scrutin, de se voir opposer un “non” cat�gorique. Qui aurait, en fait, l’outrecuidance d’affirmer, pour les besoins d’une telle consultation populaire, que “tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil” et que nous sommes tous fr�res ? Il est tout de m�me un peu os� de demander � des victimes de la barbarie terroriste, sans compter les familles qui accusent les services de s�curit� d’avoir fait dispara�tre qui un fils, qui un �poux, qui un fr�re, de pardonner d’autant qu’en fin de parcours seuls les hors-la-loi point�s du doigt en sortiraient gagnants et donc comme les seuls grands b�n�ficiaires d’une d�marche que les victimes n’auraient pas avalis�e. Aujourd’hui, le chef de l’Etat pr�f�re ne pas “remuer le couteau dans la plaie” et pr�conise la patience, affirmant que la r�conciliation nationale rel�ve de la responsabilit� de tous et qu’il ne s’engagera dans cette voie qu’une fois le peuple mis en ad�quation avec son id�e puis consult�. Tout le monde semble se plaire � croire que le pr�sident de tous les Alg�riens ne visait, en �voquant l’amnistie g�n�rale, que les terroristes comme si nous vivions dans une sorte de prolongement de la gr�ce amnistiante. Et s’il n’en �tait rien ? Et si le but recherch� �tait ailleurs ? Pourquoi ces d�clarations ne pr�teraient-elles pas � quelques interpr�tations possibles ? Pour quelles raisons, en effet, Bouteflika aurait-il abord� la question de l’amnistie g�n�rale alors que s’il ne s’agissait l� que du volet relatif au terrorisme, il y aurait lieu de constater que la situation de 2004 compar�e � celle de 2000 est totalement diff�rente ? L’adoption, il y a quatre ans, par le Parlement de la loi sur la concorde civile ent�rin�e par le peuple avait permis au Pr�sident de gracier et d’amnistier des terroristes de l’AIS qui avaient, eux, d�pos� leurs armes. A pr�sent, on est en droit de se demander pourquoi cette amnistie, que l’on veut de surcro�t g�n�rale, alors qu’aucun des groupes arm�s du GSPC et du GIA n’a ni �mis le vœu de se rendre ni fait acte de repentance et que la violence continue ? Faut-il rappeler que l’amnistie, en droit, est synonyme de pardon l�gal, qu’elle �teint l’action publique et efface la peine prononc�e ainsi que les actes commis ? Faut-il remarquer, par ailleurs, qu’il est pour le moins incongru de d�cider de pardonner � des assassins encore et toujours en activit� ? Sauf s’il n’�tait question que des terroristes emprisonn�s apr�s janvier 2000 ; dans ce cas, il aurait fallu alors le pr�ciser. Except� cette troublante opacit� sciemment entretenue autour du terme “amnistie”, celui de “g�n�rale” appara�t, lui, comme totalement ambigu. Reste � savoir si le peuple, dont on tient � requ�rir l’avis, sera consult� sur la simple question du terrorisme. Tous les doutes restent permis et l’id�e d’une arri�re-pens�e politique sur laquelle reposerait, peut-�tre, un deal, conclu la veille du scrutin du 8 avril dernier, pourrait bel et bien germer et faire son petit bonhomme de chemin. En d’autres termes, � qui pourrait profiter aussi et surtout une amnistie g�n�rale ? Les familles de disparus pourraient avoir leur petite id�e l�-dessus ; les barons de l’import-import aussi, sans compter ceux qui fraudent abusivement le fisc et leurs complices, ceux qui blanchissent un argent pas tr�s honn�tement acquis ou encore ceux qui ont commis des d�tournements de fonds et autres malversations… Si c’�tait ce but qui �tait recherch� par les cercles occultes, encore au pouvoir, on comprendrait mieux le souci du pr�sident de ne pas vouloir “porter seul le chapeau” en pr�cisant — ce qu’il n’a pas fait en janvier 2000 — qu’il ne pouvait d�passer ses pr�rogatives et d�cider seul de l’amnistie g�n�rale. Quelques acteurs politiques et de la soci�t� civile se sont d�j� exprim�s sur la question, pour certains d’entre eux avec beaucoup de prudence, attendant, peut-�tre, de s’assurer qu’ils n’ont pas compris le contraire de ce que pourrait cacher la proposition. Cette derni�re, si l’on n’y prenait pas garde, pourrait bien se r�v�ler confortable pour ceux qui continuent � profiter all�grement de la rente p�troli�re. Toutes les sp�culations demeurent, pour l’instant, envisageables, pr�cis�ment gr�ce � ce flou artistique savamment entretenu. Pour exorciser le cauchemar, nous aimerions tellement privil�gier la notion de crime contre l’humanit� d�fendue par ma�tre Miloud Brahimi et qui, lui, est imprescriptible ! Le concept, h�las, n’existe pas dans le code p�nal ni, d’ailleurs, dans notre l�gislation d’une mani�re g�n�rale. Il n’en demeure, pourtant, pas moins que ce pav� jet� dans la mare, comme nous le disions en d�but de chronique, par le premier magistrat du pays a un avantage : celui de susciter un d�bat de plus en plus rare et qui restera ouvert tant que l’on n’aura pas d�cid� en haut lieu d’y mettre un terme.
M. B.

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