Panorama : Le dernier buffet politique
Par Boubekeur Hamidechi


�… Une mentalit� d’anciens combattants…�, dit-on couramment afin de souligner la morgue des g�rontes du patriotisme pour qui tout ce qui ne les agr�e pas est �cart� du revers de la main. Prompts aux oukases, combien de fois, eurent-ils, par le pass�, l’occasion de jouer aux procureurs des voix contraires ? Qualifiant de fatras antinationalistes ceux qui s’aventuraient � contester une l�gitimit� historique, que pourtant les temps nouveaux ont naturellement disqualifi�e, ils entretinrent par ob�dience sectaire une sorte de primaut� sur la vie publique.
En somme, ils n’eurent de cesse de cultiver un �tat d’esprit charg� de cimenter d’anciennes solidarit�s de combat sans faire cas de ce qui a chang� dans la soci�t�. A travers une alchimie faite d’h�ro�sme — souvent r�el certes – et de langue de bois qui s’exprime comme un tract, leur statut "d’anciens" devint une posture d’aristocrates de l’identit� nationale. Une sorte de sang bleu h�rit� de la nuit coloniale et dont ils voulurent tr�s t�t irriguer la descendance jusqu’� la dixi�me g�n�ration. Le propos est sans aucun doute f�roce et le portrait fatalement caricatural, mais sont-ils pour autant injustes dans leur signification globale ? En tout �tat de cause et en face "d’eux", les jeunes g�n�rations - (majoritaires dans ce pays) – ne s’emp�chent gu�re de brocarder le comportement de ces a�n�s, ces a�eux, voire ces anc�tres quand ils les entendent ergoter au sujet de leur inalt�rable l�gitimit�. M�me les plus charitables d’entre eux admettent que ces sexag�naires d�clinants et ces septuag�naires fatigu�s d�raisonnent quand m�me en d�pit de toutes les sollicitudes dont ils sont entour�s. Ainsi, eux qui s’�taient autoproclam�s, par d�fiance hautaine, "famille r�volutionnaire" exclusive afin d’�tablir le distinguo avec le Vulgum pecus de la citoyennet�, sont-ils toujours audessus de tout soup�on. L’immunit� de la m�daille d�cern�e pour service rendu ne les a-t-elle pas abus�s jusqu'� s’organiser en "soci�t� � responsabilit� illimit�e" au sein m�me de la communaut� nationale ? C’est que l’ONM est bien plus proche de l’esprit d’une "grande loge" que d’une Amicale de rescap�s de l’enfer uniquement soucieuse d’entretenir le grand souvenir � l’abri des contingences des pouvoirs. H�las, ce devoir de m�moire qui lui �choit dans nos c�l�brations a-t-il �t� rel�gu� au second plan au profit d’un activisme trivial ; celui de s’impliquer dans les combinaisons d’appareil. En succombant au p�ch� originel de l’ambition politicienne, cette organisation s’accommoda de tous les accoutrements d’Arlequin au lieu de s’habiller de neutralit�. D�mon�tisant ce qui reste de rectitude morale encore attach�e � sa fonction, elle volera alors au secours des victoires pr�fabriqu�es des r�gimes successifs et finira par sombrer dans une �mouvante culture renti�re dont pourtant elle n’avait que faire, m�me mat�riellement. La lente pente de la compromission qu’elle emprunta durant la p�riode post- 1988 est �difiante � ce titre. Tant est bien (si mal !) que les avatars de notre r�cente histoire la surprendront en flagrant d�lit de carences. Celles-ci �taient multiples � l’exemple de son instrumentation �lectorale ou des scandales des usurpations. En d’autres termes et sous d’autres cieux, une telle d�marche erratique est qualifi�e de turpitude. Le vocable est lourd de sens car il signe et signale les �carts avec les principes fondateurs dont d�sormais l’Organisation des moudjahidine ne semble plus exempte. Qu’elle ait b�n�fici� jusque-l� d’une bienveillance int�ress�e quant aux pratiques la caract�risant et notamment le laxisme d’une direction sans mandat depuis trois ans, signifie bien que les principaux cercles du pouvoir n’y voyaient que b�n�fices dans cette d�composition. La docilit� – et pour cause – devenue sa marque de fabrique voire son signe distinctif, elle acceptera alors d’assumer d’autres " vocations " sauf la sienne. Battre compagne par exemple pour un candidat contre les autres �tait non seulement incorrect moralement – lorsqu’on se rappelle que le Conseil constitutionnel valida les titres de noblesse r�volutionnaire des autres comp�titeurs – mais de surcro�t il satellisa la "famille" � un fils unique au lieu d’assumer toute la prog�niture. En 1995 puis en 1999 et 2004, ce sc�nario se r�p�tera lors des scrutins majeurs qui chaque fois alt�rera en profondeur la cr�dibilit� de nos consultations et freinera par voie de cons�quence le fragile �lan d�mocratique. A travers cette propension � distribuer des bonus au nom de "Novembre", l’ONM �rodera � son tour le magist�re re�u en dot depuis le parti-Etat du temps de son unicit�. Ainsi, � trop vouloir demeurer l’unique �talon de la dignit� r�publicaine sur lequel doit se fonder le choix du "meilleur", elle �tait devenue dans les faits l’otage des appareils politiques de la m�me mani�re que fut caporalis�e l’UGTA. Ses oracles autant que les fetwas �lectorales du syndicat participeront � la perversion des urnes d�s lors que leurs messages de "sanctification- all�geance" dans une succession ouverte diabolisaient par omission ceux qui n’en b�n�ficiaient pas. Il ne faut pas craindre d’�crire, le recul aidant, qu’historiquement le d�voiement de nos suffrages et le tassement de la dynamique d�mocratique amorc�e au lendemain de 1988 ont eu, entre autres, pour origines le r�le n�gatif jou� par ces exorganisations de masse et leurs intempestives interf�rences �lectorales, au sujet desquelles il faut plut�t parler de viol de l’opinion. Cette survivance du centralisme d�mocratique structur� par le parti unique constituait justement une b�n�diction pour les n�o-convertis � la gouvernance d�mocratique. Gr�ce � un ravaudage de fa�ade qui la d�barrassera des oripeaux trop apparents d’officine, elle continuera � rendre les m�mes "services" que par le pass�. Celui de caisse de r�sonance. Un bon usage valant un autre, ses caciques b�n�ficieront alors de larges lib�ralit�s et deviendront des gardiens du temple au lieu d’acc�der � la sagesse de la montagne. En sch�matisant, disons que la crise actuelle de l’ONM est de la m�me nature que celle qui gangr�ne et d�compose pr�sentement le mammouth UGTA. Ici et l�, il y a le m�me diagnostic : un "surpoids" d’all�geance politicienne et une incapacit� de se recentrer sainement sur "ce pourquoi" elles existent. Le syndicalisme sur la d�fense exclusive du salariat et l’ONM sur les int�r�ts moraux et sociaux de ses authentiques affili�s. Autrement formul�e, une organisation qui tarde � se d�faire des fils � la patte continuera immanquablement � tra�ner des casseroles bruyantes. Or, ce tintamarre qui accompagne son existence finira bien par lui �tre fatal. Prendre garde de passer du discr�dit au d�shonneur l’interpelle, elle, plus qu’aucune autre des organisations. Car apr�s avoir fait liti�re � tous les pouvoirs, croyant aveugl�ment �tre une grande faiseuse de rois, l’ONM appara�t aujourd’hui sous l’�mouvante caricature du manipul� � "l’insu de son plein gr�", selon l’humoristique boutade. Joyeusement bern�e par caresses et les pattes de velours du monde politique, elle a justement l’opportunit� de quitter les tables o� s’invitent les ambitions en qu�te de bonnes gr�ces. Or, rien n’emp�che les maquisards et les embastill�s du devoir patriotique de se soustraire � ces sollicitations, de refuser les arbitrages politiques et d’�tre enfin de leur �poque : c’est-�-dire g�rer la grandeur du pass�. En redonnant un sens au mot ind�pendance, ne devrait-on pas exiger de leur organisation qu’elle renoue avec le credo de neutralit� qui est l’antidote de la compromission ? Trop de grognes sourdes et de m�contentements publics ne peuvent �tres apais�s que par une r�forme en profondeur. Celle qui conduirait � la refondation d’une repr�sentativit� mit�e par les myopies bien que ses dirigeants aient voulu chaque fois les accr�diter de la lucidit� politique et m�me parfois de sagesse. Ignorant par orgueil qu’� l’aune de celle-ci, bien peu de ces animateurs auraient m�rit� son onction. Triste fin d’une �poque pour une organisation qui fit la courte �chelle � tous les princes quand c’est le dernier d’entre eux qui lui signifiera la fin d’une l�gitimit�. Fatale ruade de la fable qui l’ex�cute d�finitivement. L’ONM a rat� le dernier train de l’histoire pour n’avoir pas su grandir dans son propre estime. Au moment o� une d�mocratie balbutiante la priait instamment de se retirer dans sa respectable montagne. Ce glorieux rendez-vous rat�, il ne reste que le temps des inventaires.
B. H.

Nombre de lectures :

Format imprimable  Format imprimable

  Options

Format imprimable  Format imprimable