Actualit�s : AU "SOIR D'ALG�RIE" MOHAMED CHAFIK MESBAH
“J’ai commis des erreurs d’appr�ciation”
Entretien r�alis� par Hani Mostghanemi (5e partie)


�Il faut s’�tonner qu’un chef de l’Etat soucieux d’inscrire son nom au fronton de l’histoire puisse s’accommoder de l’�quipe de gouvernance actuelle�.

L. S. : Si nous marquions une halte dans cet entretien pour relever votre appr�ciation plus nuanc�e du bilan de mandature du pr�sident Bouteflika. Votre appr�ciation est bien diff�rente par rapport � ce qu’elle �tait ?

M. C. M. : Arr�tons-nous un peu au libell� de votre question. Il faut distinguer entre la r��lection de M. Bouteflika et le bilan de mandature qui est le sien. Pour ce qui concerne sa r��lection, nul ne peut contester qu’il a drain�, en effet, un fort courant de sympathie populaire. Il faut garder raison, cependant. J’�tablis un distinguo entre le ph�nom�ne politique et sociologique que constitue son audience populaire et l’aspect technique du r�sultat des �lections. C’est, d’ailleurs, l� un bon pr�texte pour aborder certaines insuffisances de l’opposition. Cheikh Abdallah Djaballah, par exemple, avait �voqu� �une fraude invisible�. La formule est �blouissante. Mais que n’e�t-il gagn� � approfondir cette piste de recherche. Comment expliquer cette r�signation de l’opposition qui n’a pas pu mobiliser une cellule d’experts pour r�fl�chir sur les m�canismes de la fraude et la d�monter aux yeux de l’opinion. Justifier cette r�signation par le seul choc des r�sultats de ce 8 avril 2004 est un comportement infantile. Avant m�me scrutin, � supposer que cette opposition ait voulu prendre � t�moin l’opinion publique internationale, il lui eut suffi de s’accorder sur la r�alisation d’un sondage dit �sortie d’urnes�. Ce sondage qui, � partir du questionnement d’�lecteurs � la sortie de bureaux de vote pr�s�lectionn�s, permet de conna�tre, en temps r�el, les r�sultats approximatifs du scrutin. C’est un sondage de ce type, organis� par l’opposition et parrain� par les Nations unies, qui avait, en son temps, d�jou� la tentative de fraude par laquelle le g�n�ral Pinochet voulait se maintenir au pouvoir. Au moins l’opposition aurait dispos� d’un rep�re mat�riel pour contester les r�sultats du scrutin. Je ne veux pas manquer d’impertinence � l’�gard de dirigeants politiques qui ont d�fendu leurs id�es au prix m�me d’un s�jour en prison, mais je per�ois une forme de dilettantisme dans leur mani�re de r�agir � la conjoncture. Une sorte de l�thargie semble avoir frapp� les partis de l’opposition qui ont d�sert� la sc�ne politique. Nous assistons � une sorte de l�thargie de la vie politique que le verrouillage des pouvoirs publics ne justifie pas � lui seul.

L. S. : Cela nous �loigne de notre question. Quelle est votre �valuation du bilan de M. Bouteflika?

M. C. M. : Rappelez-vous les trois param�tres sur lesquels se fondait mon �valuation n�gative du bilan de M. Bouteflika : l’absence de strat�gie, l’indisponibilit� d’�quipe de gouvernance et des rapports ambivalents avec la hi�rarchie militaire. A ce niveau de l’analyse, cette appr�ciation peut �tre att�nu�e pour ce qui concerne les rapports avec l’institution militaire puisque ceux-ci semblent se clarifier. Nous le verrons, probablement, la strat�gie fait toujours d�faut. Du moins, elle gagnerait � �tre non seulement mieux �labor�e dans son contenu mais �galement plus conforme aux int�r�ts nationaux dans sa substance. Par contre, la faillite persistante de l’�quipe de gouvernance devient presque chronique...

L. S. : Vous visez l’�quipe gouvernementale ? Voil� un ancrage int�ressant pour aborder le volet politique de notre entretien. Quel commentaire vous inspire la physionomie du paysage politique avec l’�mergence de ce p�le pr�sidentiel que constituent le FLN, le RND et le MSP ?

M. C. M. : Votre question peut susciter, en v�rit�, des r�ponses multiples. Examinons, en premier lieu, la pertinence sociale et politique de ces partis coalis�s. De mon point de vue, le RND a termin� la mission ponctuelle pour laquelle il avait �t�, sp�cifiquement, cr��. Combler le vide laiss� par le FLN pass� � l’opposition. Le FLN, m�me en crise, n’est plus aussi d�marqu� vis-�-vis des pouvoirs publics. Il n’emp�che, les dirigeants actuels du RND aspirent � en faire un parti dominant qui supplanterait le FLN, dans l’imaginaire populaire aussi bien que dans l’exercice concret du pouvoir. Mais le RND, particuli�rement sous la f�rule de M. Ouyahia, reste un parti administratif qui ne saurait r�sister, longtemps, � un divorce d’avec le pouvoir. Le MSP, quant � lui, est plus un parti alibi pour repr�senter le courant islamiste. Son ancrage limit� � certaines franges ais�es de la population et son discours id�ologique d�phas� par rapport aux attentes concr�tes de la soci�t� r�elle ne le pr�disposent pas � �tre ce v�ritable grand parti islamiste d’extraction forc�ment populaire. Le FLN, longuement, �voqu� au cours de cet entretien dispose, en effet, de capacit�s et du ressort indispensables pour acc�der au rang de parti social-d�mocrate dominant, un vrai moteur pour la transition politique et �conomique. Sous r�serve qu’il se r�forme, qu’il abandonne ces lieux stupides de combats fratricides et qu’il s’astreigne m�me, si besoin est, � une nouvelle cure d’opposition, la premi�re lui ayant procur� tellement de bienfaits. S’agissant � pr�sent de la solidarit� qui devrait caract�riser cette coalition gouvernementale, il faut s’interroger sur le programme de gouvernement, laborieusement n�goci� qui en serait le soubassement. Quels rep�res strat�giques indiquent les objectifs majeurs, � moyen et long terme, de cette coalition gouvernementale ? Il convient de se rendre � l’�vidence. C’est une pure logique de �distribution de la rente� qui impulse la coalition. Il ne peut exister, donc, de motif pour un antagonisme majeur entre les trois partis. Leurs dirigeants n’ignorent pas, v�rit� �l�mentaire, que les partis qui refusent la logique du syst�me disparaissent fatalement. A moins de s’inscrire dans une perspective historique et de choisir de mener un combat implacable, � l’image du FFS. Bref, votre question illustre, parfaitement, le d�fi majeur qui, au plan politique, interpelle le pr�sident Bouteflika. Des conglom�rats, plus ou moins constitu�s, ont apport� leur concours, peu ou prou, efficace � la r��lection du chef de l’Etat. N’ayant, en v�rit�, aucune assise sociale pertinente ni, d’ailleurs, aucun ancrage id�ologique d�terminant dans le terroir, ces conglom�rats veulent perdurer en d�tournant � leur usage, pratiquement, le propre succ�s de M. Bouteflika. Le pr�sident de la R�publique devrait se garder de cette pratique inaugur�e par la haute hi�rarchie militaire laquelle, depuis l’arr�t du processus �lectoral en 1992, a voulu g�rer les affaires du pays en s’appuyant sur des relais politiques, purement, virtuels.

L. S. : A propos du FFS justement…

M. C. M. : Permettez que je compl�te d’abord ma r�ponse. Les rapports de la coalition gouvernementale avec le pr�sident de la R�publique posent un probl�me de fond. Le chef de l’Etat, en ce qu’il consid�re incarner l’unit� d’action gouvernementale, s’int�resse- t-il � disposer de relais fiables et porteurs en direction de la soci�t� ou se suffit-il de relais virtuels ? Souhaite-t-il apposer son empreinte sur l’histoire nationale comme l’homme d’Etat qui aura permis au processus d�mocratique de prendre de l’essor et � la soci�t� politique de mieux s’organiser autour de p�les id�ologiques pertinents ou bien pla�t-il de laisser le souvenir de celui qui a gel� cette avanc�e ? L’histoire enseigne que l’�re du despotisme �clair� est r�volue. La bonne gouvernance n�cessite des relais puissants et fiables au sein de la soci�t�. M�me le pr�sident Ben Ali en Tunisie, s’appuie, dans un syst�me qui pour autoritaire qu’il soit, sur des �lites agissantes et qualifi�es, des institutions plus ou moins l�gitimes mais parfaitement dynamiques et, enfin, sur un parti extr�mement puissant et fortement implant� dans la soci�t�. Si son objectif est d’assurer la stabilit� du pays et de garantir la p�rennit� de ses institutions, le pr�sident Bouteflika devrait aller � la rencontre de la soci�t� r�elle. Il aura � r�habiliter la politique, c'est-�dire favoriser l’expression des attentes de la population � travers, d’une part, des partis politiques repr�sentatifs dont il faudra encourager le d�veloppement, et d’autre part, des assembl�es �lues qu’il faudra consolider et �riger en v�ritables contre-pouvoirs… Voil� la probl�matique � partir de laquelle il convient d’envisager le r�le et le statut de la coalition gouvernementale.

L. S. : Vous persistez dans votre �loge du FFS que vous �rigez au rang de parti-phare dans l’avanc�e du processus d�mocratique en Alg�rie. Ne voyez-vous pas que ce parti est d�liquescent ?

M. C. M. : Le FFS dispose de quatre atouts importants pour pr�tendre � ce r�le de parti-phare dans l’avanc�e du processus d�mocratique en Alg�rie. Son patrimoine historique, un. Il s’agit bien du plus ancien parti engag� dans le combat d�mocratique en Alg�rie. Son ancrage social, deux. Le FFS, m�me s’il dispose d’un �lectorat captif en Kabylie et parmi les populations berb�rophones du reste du pays, est bien implant� dans les classes moyennes et la soci�t� r�elle. Sa constance id�ologique, trois. Le FFS, est le parti qui a le mieux formalis� l’option social-d�mocrate en insistant, toutefois, sur la dimension politique du mod�le. Son rayonnement international, quatre. Le FFS est le parti alg�rien le plus familier aux yeux de l’opinion publique internationale. Tous ces atouts font que le FFS demeure un parti incontournable sur la sc�ne nationale, de m�me qu’il exerce une fonction de thermom�tre pour mesurer l’avanc�e du processus d�mocratique. L’influence h�g�monique qu’exerce sur lui son leader historique M. Hocine A�t Ahmed peut �tre source de nuisance comme il pourrait �tre aussi un attribut de notori�t�. Le FFS traverse, probablement, une crise de croissance. Tous les partis peuvent traverser des crises de croissance sans devoir n�cessairement dispara�tre. Le probl�me est ailleurs. Le pr�sident de la R�publique est-il d�cid� � r�genter et caporaliser, de mani�re administrative et polici�re, la vie politique nationale ou bien souhaite-t-il favoriser la constitution d’une v�ritable opposition, cr�dible et capable de mobiliser les �nergies vives du pays pour des objectifs d’int�r�t patriotique ? R�pondez � cette question, vous saurez quel est l’avenir du FFS, le premier parti d�mocratique alg�rien.

L. S. : Revenons de mani�re plus d�taill�e sur la situation du FLN. Ce parti est-il parvenu au terme de son parcours, faut-il le ranger au mus�e de l’Histoire ?

M. C. M. : Tous les observateurs s�rieux de la sc�ne politique nationale et les sp�cialistes de sociologie politique habitu�s au contexte alg�rien confirmeront que le processus de transition d�mocratique dans le pays n�cessite, pour son parach�vement, un puissant parti social-d�mocrate. Un parti enracin� dans la soci�t� r�elle, fortement impr�gn� de nationalisme, p�tri d’authenticit� culturelle et propuls� vers l’avant par des choix focalis�s sur la modernit� politique, l’efficacit� �conomique et la justice sociale. Le FLN qui a �t� le port d’attache de tout le peuple alg�rien, le parti lib�rateur du pays, le parti r�dempteur des classes d�favoris�es et le parti creuset de l’identit� nationale rassemble, incontestablement, toutes les pr�dispositions requises pour devenir ce moteur indispensable � l’essor de l’Alg�rie d�mocratique. Ce n’est pas l’�pisode actuel, combien d�testable, de cette lutte fratricide qui pourrait constituer un handicap r�dhibitoire. Par contre, le FLN doit effectuer un parcours laborieux qui passe, n�cessairement, par son aggiornamento. La r�novation de sa doctrine, la r�g�n�ration de sa base militante et son ouverture r�solue au monde ext�rieur constituent des imp�ratifs absolus. Le d�fi de cette transformation est � port�e de main des militants du FLN dont j’ai mesur�, de visu, la qualit� d’id�es pour certains et pour tous les autres la fid�lit�, la combativit� et m�me l’esprit d’abn�gation.

L. S. : Vous ne r�pondez pas sur la possibilit� de disparition pure et simple du FLN…

M. C. M. : P�riodiquement, chaque fois que l’opportunit� s’y pr�te, le projet visant � remiser le FLN au mus�e de l’Histoire est relanc�. Si c’est la logique politique qui doit pr�dominer, pourquoi ne pas laisser, tout simplement, la dynamique interne au parti et le suffrage des �lecteurs d�cider, en toute libert�, de son devenir ? Si c’est une d�cision administrative forc�e qui est attendue, le pr�sident Bouteflika, qui n’a pas connu de famille politique autre que celle du FLN, irait-il jusqu’� se renier ? Mais, examinons plus en d�tail la question. Sur le plan interne, la disparition du FLN profitera- t-elle , forc�ment, au RND auquel il se substituerait. C’est l’ambition peu r�aliste des dirigeants du RND. Il est � craindre que les militants du FLN aillent plut�t grossir les rangs des partis islamistes les plus radicaux. Quel est l’int�r�t que procurerait la disparition du FLN ? Pour le chef de l’Etat lui-m�me, quel int�r�t � se priver d’un parti qui, pour des consid�rations historiques et politiques, continue d’�tre, parmi tous les autres, celui qui lui est le plus proche ? Depuis l’interruption du processus �lectoral en 1992, tous les chefs de l’Etat qui se sont succ�d�, sous quelque forme, ont �chou� pour ne pas avoir dispos� d’un relais politique fiable en direction de la population. Apparemment, le pr�sident Bouteflika a retenu l’enseignement dispens� par l’exp�rience puisqu’il s’est abstenu : ni de donner au RND les gages qu’il souhaite, ni de donner consistance partisane � ses comit�s de soutien. Sur le plan externe, maintenant. Les USA voudraient bien, en effet, gommer de la sc�ne politique arabe ces partis qui, se r�clamant de l’id�ologie nationaliste, v�hiculent des exigences de progr�s �conomique, d’authenticit� culturelle et de justice sociale, probablement, incompatibles avec la domination imp�rialiste du monde. Si c’est le cas, il faudrait m�diter l’exp�rience am�ricaine en Irak. Faut-il n�gliger la le�on que nous procure l’�pisode v�cu par ce pays o� la disparition forc�e du parti Ba�th en Irak a d�bouch� sur un vide sid�ral en l’absence d’une v�ritable force politique de substitution. Il est possible de s’interroger, aussi, si la France – de mani�re � refermer, subrepticement, la page de son pass� colonial – ne peut pas trouver int�r�t � ce que le FLN soit rang� au mus� de l’Histoire. Ce n’est plus la sociologie politique qui est en cause mais une volont� de d�voiement de l’histoire nationale. Il faut s’inqui�ter, alors, de ce r�visionnisme insidieux qui vise � d�pr�cier, un � un, les r�f�rents symboliques de la guerre de Lib�ration nationale, pr�lude probable � une r�habilitation posthume de la p�riode coloniale. Ce plaidoyer en faveur du FLN peut �tre interpr�t� comme l’expression d’un �tat d’�me, pas la traduction d’une analyse scientifique. D�trompez-vous. S’agissant du potentiel politique r�siduel du FLN, le constat se base sur l’analyse rigoureuse des tendances �lectorales en Alg�rie, � la lumi�re du r�sultat de toutes les �lections intervenues depuis l’instauration du multipartisme. Avec en arri�re-plan le panorama politique r�el dans le pays. S’agissant du caract�re �ph�m�re de la tentative de d�voiement actuel du FLN, le constat se nourrit de l’observation directe de l’�tat d’esprit des militants de base, visc�ralement attach�s au fonds identitaire inalt�rable de ce parti, par-del� les hommes qui le dirigent, momentan�ment.

L. S. : Vous persistez � dire que la probl�matique du FIS est d�pass�e malgr� la politique de r�conciliation nationale pr�n�e par le pr�sident Bouteflika ?

M. C. M. : Absolument. Le paysage politique alg�rien comportera, forc�ment, un courant islamiste. C’est l’�vidence impos�e par les caract�ristiques m�mes de la soci�t� alg�rienne. Quelle forme devra rev�tir ce courant ? Quelle fonction devra-t-il assumer dans la soci�t� ? Comment le rendre compatible avec le syst�me d�mocratique ? Voici la probl�matique o� doit s’inscrire la question, d’apparence anodine, que vous soulevez. En tout �tat de cause, ce serait de l’infantilisme politique que de vouloir ressusciter ex-nihilo un parti effrit� qui semble avoir perdu de son potentiel de mobilisation. D’autant que ce parti est loin d’avoir effectu� sa mue, ni sur le plan doctrinal, ni sur le plan organique. Quel int�r�t, donc, � r�habiliter l’ex- FIS ? S’agit-il d’annoncer, p�dagogiquement, le proc�s des officiers g�n�raux qui ont interrompu le processus �lectoral en 1992 ? Il ne semble pas que la politique de r�conciliation nationale pr�n�e par le pr�sident Bouteflika lequel vient m�me de prendre l’initiative d’un projet d’amnistie g�n�rale - puisse s’accommoder du risque qui en r�sulterait pour la coh�sion de l’institution militaire. S’agit-il, alors, d’assurer une l�gitime repr�sentation politique du courant islamiste dans sa totalit� en s’assurant qu’il accepte les r�gles de fonctionnement du syst�me d�mocratique ? Le risque est grand d’aboutir, seulement, � la reconstitution d’un parti islamiste populiste pr�nant un islam radical et susceptible de compromettre l’ach�vement pacifique de la transition d�mocratique ? Incontestablement, un travail de recomposition du champ politique est n�cessaire, avec un dimensionnement plus intelligent du courant islamiste. Mais, il faut se garder de jouer � l’apprenti sorcier. La d�marche doit �tre prudente. Sans museler l’expression populaire, il faut tendre � canaliser, p�dagogiquement, la vie politique pour lui �viter les chemins de perdition. Observez, de ce point de vue, la pertinence de ces n�o-conservateurs am�ricains, catalogu�s pourfendeurs de l’islam, qui adoubent, volontiers, le Parti de la justice et du d�veloppement turc lequel s’affiche comme le chantre de l’int�gration de la Turquie au sein de l’Union europ�enne. A la fois pour son r�le interne – dissolution de l’islamisme dans la pratique d�mocratique – et son r�le externe – confortement des positions internationales du camp occidental -, le parti islamiste turc trouve gr�ce aupr�s des strat�ges am�ricains. Voil�, quoi qu’il en soit, l’islam dont l’ob�dience agr�e les puissances occidentales.

L. S. : Le pr�sident Bouteflika souhaite instaurer un r�gime pr�sidentiel bas� sur une relation directe avec le peuple et caract�ris� par la pr�dominance absolue de la fonction pr�sidentielle. Partagez-vous cette approche ?

M. C. M. : Votre question peut �tre examin�e en fonction de trois param�tres. Premi�rement, l’opportunit� de la r�vision. Deuxi�mement, la proc�dure de cette r�vision. Troisi�mement, le contenu m�me des amendements projet�s. S’agissant d’opportunit�, faut-il croire l’�minent juriste Mohamed Bedjaoui qui, � la faveur d’une m�morable conf�rence tenue en 1989 devant les cadres de la communaut� du renseignement r�unis au si�ge de l’INESG, affirmait que �la r�vision fr�quente des constitutions est une pratique peu recommandable car elle d�note un manque de stabilit� politique et institutionnelle� ? La Constitution actuelle, en l’occurrence, n’a pas connu une p�riode d’application suffisamment longue pour que ses anomalies aient pu appara�tre, ce qui aurait pu justifier d’une r�vision. La proc�dure choisie pour la r�vision projet�e appelle, elle-m�me, des r�serves. Un comit� ad-hoc, presque clandestin, qui d�lib�re sur un texte fondamental, voil� le contraire d’une d�marche consensuelle. Un d�bat national est indispensable pour clarifier les choix propos�s au peuple alg�rien. Autrement, la Constitution n’est qu’�une barri�re de papier� selon l’image d’un grand constitutionnaliste fran�ais. Pourquoi s’embarrasser de formalisme, si le texte doit �tre �labor� en cercle ferm� et son approbation impos�e ? Venons-en au contenu � pr�sent. La courte p�riode d’exp�rimentation de la constitution a mis en �vidence, plut�t, les pouvoirs exorbitants du chef de l’Etat, compar�s � ceux dont disposent le chef du gouvernement aussi bien d’ailleurs que les assembl�es �lues. Certes, il y a quelques incoh�rences dans l’architecture g�n�rale de la Constitution. Notamment cette dichotomie apparente entre les programmes respectifs du pr�sident de la R�publique et du chef du gouvernement. Logiquement, c’est celui du pr�sident de la R�publique, �lu au suffrage universel, qui doit pr�valoir. Ce sont l� des modifications de forme plut�t que de fond. Mais, bien �videmment, tout cela pourrait n’�tre que pr�texte. Le vrai d�bat porte, d’une part, sur l’institution d’un poste de vice-pr�sident de la R�publique que veulent imposer ceux qui aspirent � contenir les pouvoirs du pr�sident Bouteflika et � contr�ler sa succession. Il porte, d’autre part, sur la modification du nombre de mandats pr�sidentiels autoris�s ou, le cas �ch�ant, sur l’allongement de leur dur�e, projet auquel semblent attach�s le chef de l’Etat ainsi que son entourage.

L. S. : Consid�rez-vous que la transition d�mocratique est compromise en Alg�rie ?

M. C. M. : La transition d�mocratique peut sembler compromise. Fort de son �lection spectaculaire et revigor� par la manne financi�re dont dispose l’Etat, le pr�sident Bouteflika semble opter, en effet, pour une gestion autoritaire de la vie publique. La dynamique politique, heureusement, ne se d�roule pas, exclusivement, au niveau de la sph�re virtuelle, appareils administratifs, institutions nationales et partis politiques. C’est au cœur de la soci�t� r�elle que se dessinent les contours de la soci�t� politique de demain. Comment pr�voir son cheminement et appr�hender sa dynamique souterraine ? Comment d�crypter ses codes sp�cifiques et se familiariser avec les leaders qu’elle produit en toute autonomie ? Voil� la v�ritable question. Ce n’est pas tant la perspective in�luctable du parach�vement du processus d�mocratique qui pose probl�me que le co�t qui devra en r�sulter. Le co�t qui r�sultera du d�voiement actuel du processus d�mocratique � travers l’�touffement de la vie politique.

L. S. : D’apr�s vous, le d�ficit de l�gitimit� des institutions nationales est d�sormais combl� ?

M. C. M. : Le probl�me que vous soulevez est accessoire par rapport au contenu lui-m�me du projet national. M�me si le contexte international qui a �volu� remet au go�t du jour cet imp�ratif de l�gitimit�. C’est-�-dire la concordance entre l’autorit� exerc�e et son acceptation volontaire par ceux qui la subissent. R�f�rez-vous � l’histoire imm�diate et lointaine pour vous convaincre que le probl�me – si tant qu’il existe - n’est pas insurmontable. L’histoire imm�diate montre bien que les USA privil�gient � la d�mocratie, le choix de la stabilit� des syst�mes propices � la sauvegarde de leurs int�r�ts. L’histoire lointaine montre que les �22�, – � l’origine du d�clenchement de la guerre de Lib�ration nationale, l’initiative historique contemporaine la plus audacieuse en notre pays –, puis �le Conseil de la R�volution� qui avait pris la responsabilit� de chasser du pouvoir, Ahmed Ben Bella, le premier pr�sident de la R�publique de l’Alg�rie ind�pendante, ont conquis leur l�gitimit� apr�s coup. Il faudrait inverser cette probl�matique de la l�gitimit�. A examiner l’histoire contemporaine de l’Alg�rie, il ressort bien que les instances militaires s’approprient le pouvoir lorsqu’il y a carence des instances politiques l�gales, le renversement �tant suivi d’une l�gitimation a posteriori. La l�gitimit� n’est plus un pr�alable, la primaut� revenant � la nature du projet que portent ceux qui ont le pouvoir de fait. Ce n’est pas un �loge du coup de force, c’est un constat. La sagesse populaire a, d’ailleurs, d�j� r�solu l’�quation. Un proverbe fort usit� �nonce ce qui est une v�rit� premi�re : �Sois lion et d�vore moi�.

L. S. : Quelle lecture faites-vous du projet de r�f�rendum portant amnistie g�n�rale envisag� par le pr�sident Bouteflika ?

M. C. M. : En tous les cas, une lecture diff�rente de celle du microcosme politique alg�rois. Faisons du projet une premi�re lecture institutionnelle. Il est vrai que le recours excessif au r�f�rendum pour d�cider de certains choix majeurs peut alt�rer le caract�re d�mocratique du syst�me politique. Cette pratique risque d’atrophier, en effet, les assembl�es �lues, notamment le Parlement. Dans le cas d’esp�ce, il serait impudique, cependant, d’invoquer un tel argument. L’avis direct du peuple alg�rien est indispensable pour clore ce chapitre dramatique de l’histoire nationale. Cet avis est suffisant en soi pour contourner cet obstacle de forme. Faisons, � pr�sent, une lecture morale du projet. Est-il possible de pardonner dans l’opacit�, sans avoir qui a contrevenu et qui a souffert ? N’est-il pas n�cessaire de passer par un devoir de repentir ? Faut-il faire pr�c�der cette amnistie g�n�rale par une introspection du pass�, � travers une commission de r�conciliation, � l’image de ce qui s’est pass� en Afrique du Sud ? Nul ne pourra se substituer, en effet, aux familles de disparus pour ressentir la peine qui est la leur d’avoir perdu l’�tre, souvent, le plus cher. Il s’agit l�, toutefois, d’un exercice p�rilleux capable de faire baigner le pays dans un nouveau bain de sang. Lorsque le peuple souverain statue en toute libert�, la raison d’Etat suit. Il appartiendra, alors, � l’Etat de d�terminer les m�canismes compl�mentaires de r�conciliation pour apaiser les souffrances psychologiques et morales des familles de disparus. L’essentiel consiste � ne pas opposer entre elles les parties constitutives de la population. Ces m�canismes sont techniques, mais ils proc�dent toujours d’une volont� politique. Examinons, pr�cis�ment, le projet sous son aspect politique. C’est, naturellement, moins les auteurs d’actes terroristes qui sont concern�s par le projet d’amnistie g�n�rale que les chefs et cadres des services de renseignements ou de s�curit� susceptibles de faire l’objet de poursuites judiciaires initi�es par les familles de disparus. L’objectif concret consiste � leur assurer une r�insertion pacifique dans la soci�t�, avec la garantie de ne pas �tre poursuivis. Ainsi, le pays pourrait s’engager dans une nouvelle phase sans que p�se sur lui la menace d’une guerre civile. C’est une d�marche classique pour le d�nouement des conflits internes. Habituellement, cependant, l’amnistie g�n�rale est l’aboutissement d’un processus de n�gociations qui, impliquant tous les protagonistes, d�bouche sur un v�ritable pacte politique. Le pr�sident Bouteflika semble vouloir contourner l’�cueil de ce pacte afin de ne pas avoir � r�habiliter, forc�ment, l’ex-FIS. Fort d’une connaissance intuitive de l’�tat d’esprit de l’opinion nationale, il table sur un pl�biscite qui lui procurera les moyens suppl�mentaires pour avancer, plus s�rement, dans sa politique de r�conciliation nationale. En inversant ainsi l’ordre des choses, il prend une avance certaine sur ses protagonistes politiques qui ne pourront s’opposer au choix populaire. C’est une d�marche habile si elle s’inscrit, en effet, dans une strat�gie politique au long cours.

L. S. : Vous n’avez cess� d’insister sur l’absence de vision strat�gique dans la d�marche du pr�sident Bouteflika. Imaginez-vous qu’un candidat � la pr�sidence de la R�publique puisse r�aliser le score de M. Bouteflika si sa d�marche n’�tait pas adoss�e � un projet strat�gique ?

M. C. M. : Vous avez, parfaitement, raison d’envisager le probl�me sous cet angle. Mais, par souci p�dagogique, permettez-moi d’envisager la r�ponse selon deux hypoth�ses. La premi�re voudrait minimiser des capacit�s du pr�sident Bouteflika en lui d�niant toute vision strat�gique. La seconde, valorisante, consiste � en admettre l’existence au moins implicite.

L. S. : Commen�ons par la premi�re hypoth�se…

M. C. M. : Distinguez-vous, une visibilit� strat�gique dans la d�marche du gouvernement en mati�re de modernisation politique, de d�veloppement �conomique ou d’�panouissement culturel ? C’est l’opacit� la plus totale. M. Bouteflika veut-il faire perdurer le statu quo ou, au contraire, s’attelle- t-il � r�ussir la mue du syst�me ? Dans le contexte qui pr�vaut, une r�ponse cat�gorique est impossible � formuler.

L. S. : Examinons, alors, l’hypoth�se valorisante…

M. C. M. : Il faut partir d’un constat de bon sens. En quoi les USA et la France avaient-ils int�r�t dans la r��lection de M. Bouteflika ? Dans une large mesure, les int�r�ts de ces deux pays sont li�s � l’insertion de l’Alg�rie dans le cours de la mondialisation. Il est possible d’imaginer, alors, que la d�marche actuelle du pr�sident Bouteflika satisfait les int�r�ts de ces deux pays du fait qu’elle prend en charge, pr�cis�ment, les exigences de cette mondialisation. Par petites doses et suivant un cheminement souvent alambiqu�, le chef de l’Etat a franchi certains rubiconds significatifs dans cette progression implacable de la mondialisation. En termes de lib�ralisation �conomique, le secteur des t�l�communications et celui � venir des hydrocarbures ne fonctionnent-ils pas aux normes de l’�conomie de march� ? En termes de modernisation de la vie publique, le code de la nationalit� qui sera prochainement adopt� va constituer une v�ritable r�volution dans les esprits – puisque le droit du sol va supplanter le droit du sang – et, sous peu, le code de la famille ne va-til pas subir des amendements jusquel� assimil�s � de l’h�r�sie ? En termes de �civilisation� de la vie politique, M. Bouteflika n’est-il pas d�j� presque parvenu � d�politiser l’institution militaire et � �liminer les app�tits de pouvoir de sa haute hi�rarchie tout en faisant �merger de jeunes et brillants officiers ? Ces observateurs qui consid�rent que la d�marche du pr�sident Bouteflika s’inscrit, en fait, dans la probl�matique de l’avanc�e de la mondialisation peuvent avoir raison. Selon eux, le pr�sident Bouteflika n’est pas d�muni de vision strat�gique. Sa d�marche s’inscrit bien dans une perspective strat�gique m�me si elle n’est pas d�voil�e dans le but de ne pas susciter de r�sistances. Il est difficile de d�celer, cependant, autre chose qu’un assemblage dans toutes ces d�marches entreprises par le gouvernement qui apparaissent comme des initiatives �parses, artificiellement, accol�es les unes aux autres. O� est ce fil conducteur qui refl�terait cette politique �conomique globale qui, tel un v�ritable soubassement conceptuel et m�thodologique, fixe pour la vie nationale les �tapes � franchir et les objectifs � atteindre ? A quoi sert-il de lib�raliser les t�l�communications si le secteur bancaire demeure ferm� � l’esprit m�me de r�forme ? Si l’Etat persiste � maintenir sous perfusion le secteur public industriel ? Pourtant, la sant� financi�re florissante de l’Alg�rie constitue un atout inestimable pour mener, dans un climat de paix sociale garanti, ces r�formes incontournables.

L. S. : Les initiatives de M. Bouteflika, sur le plan politique, proc�dent-elles, selon vous, d’une v�ritable d�marche strat�gique ?

M. C. M. : Il existe un param�tre subjectif important qui plaide pour l’existence de cette vision strat�gique. C’est le souci du pr�sident Bouteflika de prendre, symboliquement, sa revanche sur l’histoire, d’effacer la trace de sa longue travers�e du d�sert, en laissant son empreinte dans les futurs manuels qui retracent le pass� du pays. A l’�vidence, le pr�sident Bouteflika s’acharne � vouloir prendre date avec l’histoire. Pour cela, il est oblig� d’emprunter le passage oblig� d’une r�conciliation pr�alable avec le peuple alg�rien et ses �lites, � travers l’instauration d’un contexte favorable pour l’approfondissement des libert�s d�mocratiques et la mise en place de m�canismes qui garantissent la libre expression des tendances politiques qui agitent la soci�t�. Pour cela, le pr�sident Bouteflika est condamn� � r�habiliter la politique.

L. S. : Que voulez-vous dire par r�habilitation de la politique ?

M. C. M. : La politique, � l’origine, constitue l’art de g�rer les affaires de la cit�. C’est un exercice noble d�voy� par un recours excessif � la roublardise et � la tromperie. C’est l� une conception utopique de la politique ? Malgr� toutes leurs insuffisances, les syst�mes d�mocratiques de par le monde, offrent, � des degr�s divers, l’illustration de cette compatibilit� possible entre la morale et la politique. Ce n’est pas l’imp�ratif de vertu seul qui est en cause. La r�habilitation de la politique c’est aussi l’expression �quitable des forces politiques qui traversent la soci�t�, la garantie d’une stabilit� institutionnelle durable indispensable � la mise en œuvre de projets nationaux de longue port�e.

L. S. : Comment pourrait se manifester en Alg�rie cette r�habilitation de la politique ?

M. C. M. : L’Etat r�gulateur peut intervenir dans le champ politique pour jouer un r�le p�dagogique, ce que nul ne lui contestera. Il n’est pas aberrant d’imaginer que le pr�sident de la R�publique, d�cidant de favoriser une meilleure expression des courants politiques qui traversent la soci�t� r�elle, proc�de � l’organisation d’�lections l�gislatives et communales anticip�es. Le chef de l’Etat doit y songer, sans doute. Naturellement, des mesures pr�paratoires sont indispensables avant d’arriver � cet �pisode. Les partis politiques majeurs sont en phase de croissance ou de mutation. Il est indispensable, au pr�alable, que le FLN, le FFS et El-Islah d�passent leur crise de croissance. Il est peu probable que le chef de l’Etat se r�signe � la disparition du FLN. C’est du FLN que sortira la force essentielle sur laquelle il pourra reposer pour poursuivre la transition d�mocratique. Il faut, donc, envisager l’hypoth�se ou plut�t que de favoriser la disparition du FLN, le pr�sident Bouteflika ne contribue, m�me indirectement, � sa pr�servation en l’aidant � d�passer le conflit interne qui le paralyse. Pas forc�ment dans le sens que souhaitent �les redresseurs� coup�s de la base du FLN. De m�me – certains signes l’annoncent bien –, le pr�sident Bouteflika pourrait favoriser le red�ploiement du FFS, � la fois comme parti-phare du p�le d�mocratique et comme force la plus repr�sentative de Kabylie. Reste l’�quation du courant islamiste, ce courant dont il est difficile d’imaginer, d’ores et d�j�, le contour final. Il est �vident que sa recomposition se profile � l’horizon. Apr�s cette phase de normalisation des partis et le d�passement du contexte �lectrique de l’apr�sscrutin pr�sidentiel, le chef de l’Etat organisera, vraisemblablement, le r�f�rendum sur l’amnistie g�n�rale qui devrait se solder par un pl�biscite. Il sera tout � fait dans l’ordre des choses que le chef de l’Etat proc�de, apr�s ce r�f�rendum, � une dissolution de l’Assembl�e populaire nationale pour permettre � la volont� populaire de mieux �tre repr�sent�e au niveau du Parlement. Et pour permettre au pr�sident de la R�publique de se doter d’une majorit� parlementaire plus conforme � son projet. Tout cela suppose un nouveau paysage politique, reflet d’une meilleure expression des choix populaires et garantie, sans doute, d’une plus grande stabilit� institutionnelle. Mais, il faut admettre que cette d�marche ambitieuse ne transpara�t pas dans la qualit�, plus que m�diocre, de l’�quipe de gouvernance qui entoure M. Bouteflika.

H. M. (A suivre)

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