Panorama : LETTRE DE PROVINCE
...Brevet� impopulaire
Par Boubekeur Hamidechi


Il �tonnera de moins en moins toutes les fois qu’il feignera de se rel�cher pour lancer � la cantonade son inusable leitmotiv. Car cela fait bien dix ann�es qu’il le s�rine � l’opinion du haut des tribunes. Une fois encore (encore une fois !), face aux experts du CNES, il s’en servira pour faire coup double : escamoter le d�bat sur l’�tat lamentable de la soci�t� et en m�me temps donner un coup de pinceau � son image. "(…) nous ne sommes pas l� pour �tre populaires…", rappelat- il sur un ton professoral. Le voici donc cet homme politique qui s’invente un nouvel art de gouverner en faisant de la d�testation des administr�s le moteur de son action.
Il est vrai que les coutumes r�publicaines se r�v�lent parfois trop contraignantes lorsqu’il s’agit de se justifier et de convaincre, surtout. Alors par bonne ruse, � d�faut de bonne conscience, il est loisible de recourir � d’autres normes afin de surprendre. Puis de se capara�onner dans une posture et prendre des traites sur l’avenir. L’intransigeance de fa�ade, dont il souhaite qu’elle devienne famili�re � son image, fait partie de la patiente strat�gie d’�mergence du personnage. C’est que, depuis le d�rapage des ponctions salariales qui inaugur�rent son ascension en 1995, nous avons appris qu’avec Monsieur Ouyahia nous aurons en permanence droit � la m�me mise en sc�ne. C’est-�-dire le recours � un seul artifice de mise en valeur : celui de le faire passer pour un intendant g�n�ral r�fractaire aux contingences du politique, uniquement soucieux du bien public. L’orthodoxe p�re Fouettard qui n’a que faire des froncements de sourcils cache bien un dessein. Lui, qui collectionne les hostilit�s du moment pour les faire valoir plus tard comme r�f�rences, ne cesse de dessiner les lignes d’horizon de sa carri�re. Ainsi, � d�faut de se pr�valoir de solides ancrages id�ologiques � partir desquels se b�tissent traditionnellement les grands destins, notre Premier ministre �dope� son profil de scrupuleux commis de l’Etat. En s’�chinant � vouloir convaincre qu’il est modestement un homme de devoir et jamais un personnage de pouvoir, n’a-t-il pas fini par prouver le contraire ? Son go�t prononc� pour la servitude des premiers cercles ne le d�signe-t-il pas paradoxalement parmi ceux qui n’ont que des app�tits de puissance ? Le pilotage de quatre gouvernements sous deux pr�sidences aux visions diam�tralement oppos�es porte infailliblement la marque d’une aptitude � se servir des leviers du pouvoir plut�t qu’autre chose… Il est clair que donc M. Ouyahia n’a jamais �t� dans la glorieuse servitude —sauf peut-�tre � ses d�buts — mais dans une autre perspective : celle qui doit le pr�parer aux �ch�ances de 2009 ou 2014. Comme dans tout plan de carri�re, il n’est jamais assez t�t pour esquisser le CV futur, d’affiner d’ores et d�j� les arguments et d’aff�ter les pr�textes qui rendent une ambition respectable, il s’y s’attelle secr�tement. Ce premier des ministres, qui brandit en tout lieu son indiff�rence � l’impopularit� comme un brevet de bonne gouvernance, anticipe pourtant sur les r�sultats en s’adressant d�j� aux �lecteurs imaginaires de 2009 ou 2014. Il le fait, il est vrai, au nom d’une exigence bien r�elle que l’on appelle aust�rit� budg�taire et dont il suppose qu’elle redonnera des couleurs � la soci�t� en des temps lointains ; mais en passant par pertes et profits le v�cu quotidien entre deux �lections. En somme, il lui importe peu d’�tre politiquement vertueux dans l’action de tous les jours, il lui faut investir dans les temps futurs afin de r�colter quelques m�rites � avoir sacrifi� un pr�sent pour �pargner l’avenir. Vaste choix politique qui n’a de respectabilit� que chez ceux qui le pr�nent dans le d�sint�ressement personnel et avec la b�n�diction de leurs sujets. Or, n’est pas Churchill qui le veut, lui qui ne pouvait garantir � ses concitoyens que du "sang et des larmes". Moins encore notre Boudiaf qui n’avait de riposte � opposer que l’�conomie de guerre avec ses restrictions. A l’inverse, dans l’Alg�rie de Ouyahia les possibilit�s d’all�ger la mis�re existent mais qu’en certaines occurrences la "tra�abilit�" des carri�res a toujours pris le pas sur le bien-�tre commun. A ce sujet, l’on sait de notori�t� ancienne que nos mœurs politiques sont essentiellement focalis�es sur le pouvoir et son partage au d�triment de toute consid�ration �thique. Ouyahia n’�chappe pas par cons�quent � la r�gle. Il a des ambitions de grandeur que nul, a priori, ne peut le lui reprocher. Cependant, il lui faudra faire un effort pour co�ncider avec l’image qu’il s’efforce d’imposer. Autrement dit, l’on ne peut se payer le r�ve d’�tre pl�biscit� un jour par le peuple et continuer impun�ment � faire usage d’une formule discourtoise. Compter sur la m�moire courte de l’�lecteur ou sur son propre talent de bateleur pour �noncer un jour que les ch�timents d’hier sont les bienfaits du moment, c’est le prendre doublement pour un "veau". Excessivement disert sur les lendemains d’aust�rit�, qu’il consid�re avec un aplomb troublant comme la th�rapie n�cessaire, il rajoute l’in�vitable louche de m�pris � l’endroit des sceptiques. Ce m�pris hautain qui lui fait d�cliner "l’impopularit�" sur tous les modes. "Il n’est pas l� pour �a…", ne cesse-t-il de plastronner comme si, avoir le souci de l’�tre �tait politiquement pervers. L’amalgame n’est pas loin pour qu’il puisse sugg�rer que la qu�te d’adh�sion et la culture consensuelle sont les deux mamelles de la d�magogie. Sans �tre encore un tyran aux petits pieds, il n’aimerait pas, semble-t-il, y recourir. Pr�caution surfaite tant l’usage de cette potion magique lui a permis de traverser toutes les bourrasques politiques. Mais alors qu’est-ce qui le fait tant courir derri�re une disgr�ce toute th��trale ? Simplement le moulage en "relief" du futur candidat. Celui-ci se fa�onne en "creux" dans la fonction actuelle. Un r�le o� il est loisible d’essuyer les pl�tres et d’en retourner plus tard les critiques � son profit. Pr�cis�ment, M. Ouyahia n’a d’id�es fixes que celles qui auraient des chances de l’imposer dans l’imaginaire collectif en 2009 ou 2014. Telle celle qui appr�hendera son parcours sous l’angle de visionnaire ou du moins de ma�tre d’œuvre de la sortie de crise. Qu’est-ce � dire aujourd’hui, sinon que ses actes d’intendant occultent les constats pour ne le projeter que dans le long terme. Or, cette pr�rogative appartient au chef de l’Etat, seul habilit� � l’inspirer et la cadrer en tant que strat�gie. Cela aurait d� le confiner, lui le Premier ministre, aux besognes de manager mettant en synergie les vecteurs de la gouvernance et plus g�n�ralement prendre langue avec les partenaires sociaux afin de d�gager des consensus destin�s � faire passer les dossiers. Prosa�quement, cette t�che consiste � consulter sans cesse, plaider en permanence et convaincre le plus souvent sans quoi il ne peut y avoir de bon retour d’�coute dans l’opinion. Cela s’appelle autrement, la recherche des cautions tant n�cessaires � la fois � la cr�dibilit� du gouvernement et � la lisibilit� de ses intentions. Tout le contraire, par cons�quent, de "l’impopularit�" revendiqu�e comme un label. Par ailleurs, dans l’inventaire de sa d�marche, n’a-t-on pas relev� certaines incursions dans des domaines extr�mement sensibles que seul le pr�sident de la R�publique, �galement, peut pr�ciser et r�f�rencer lorsqu’il estimera n�cessaire de le faire ? Autant de jalons discursifs qui pourraient pr�ter � certaines interpr�tations. Par exemple, la tentation chez lui d’�largir sa sph�re de comp�tence. Dans le m�me temps, le personnel politique plac� formellement sous son autorit� et qui semble rong� par des querelles de clocher minist�rielles, ne souhaitet- il pas que celui-ci r�investisse l’espace qui est le sien : celui du concret et du factuel au lieu de dispenser des formules � l’emportepi�ce ou de se hausser du col. L’irritation suscit�e par sa d�sinvolture � l’�gard des diagnostics du CNES — ne retenant avec ironie que les satisfecit —renforce d’autres impressions. Parmi elles, le fait que le personnage incline � faire de sa chefferie l’alpha et l’om�ga de la "v�rit�" sur l’�tat de la nation. L’assurance affich�e � travers sa rh�torique laisserait �galement � s’interroger sur ses postures hors de saison. Se sent-il d�j� � l’�troit dans sa fonction de copilote de l’Ex�cutif ? Aspire-t-il pr�cocement � l’autre marche ? Ou n’est-ce simplement qu’un d�rapage de tribun en r�p�tition ? Pour autant, le personnage r�put� prudent et fin calculateur serait-il trahi par une impatience mal r�fr�n�e ? Car chaque fois qu’il se surprend � disserter sur les grandes questions soci�tales, il ne donne pas modestement des avis mais fournit des clefs. Sur le code de la famille et le statut de la femme par exemple, il lui arrive de fixer les termes du d�bat. Idem pour nos questions existentielles, sujets bateau relatifs � la r�gression, lui d�j� nous indique la d�marche en se fendant du vague credo de la "r�volution des mentalit�s". Alors Monsieur Ouyahia en faitil un peu trop pour soigner uniquement son ego et pas assez pour gu�rir la soci�t� ? Dans l’inconfortable fonction qu’il occupe – l� o� il doit s’accommoder de l’ombre port�e d’un pr�sident r�put� pour �tre sans partage et pr�cis�ment ombrageux – il lui sera certainement difficile de concilier longtemps l’ambition future et le r�le actuel. Entre la fid�lit� apparente et un plan de carri�re cach�, il devra un jour trancher. Seul ou avec "l’aide" du chef de l’Etat, il aura alors � faire l’exp�rience des prestations sans filet et sans le cocon du pouvoir. A ce moment-l�, il aura tout le loisir de mesurer � ses d�pens ce que l’impopularit� peut laisser de stigmates. En attendant, il est en droit de croire encore � la vertu de la d�testation.
B. H.

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