Panorama : A FONDS PERDUS
Vertus et avatars de la bonne gouvernance
Par Ammar Belhimer


De l’avis de notre ami Chafik Mesbah, tous les ingr�dients d’une explosion sociale sans cesse diff�r�e sont r�unis dans notre pays. Il les illustre par des pouss�es de fi�vre sociale d�nomm�es �jacqueries � et �escarmouches� et les rattache principalement � la mauvaise gouvernance. Il d�veloppe lui aussi un th�me r�current aussi bien au discours officiel qu’� celui de l’opposition puisqu’il nous apprend, au passage, que �le chef de l’Etat vient de sommer le chef du gouvernement de reprendre le processus des r�formes �conomiques�.
Pauvre processus qui ob�it � des injonctions alors qu’il est justement cens� y mettre fin ! Mais passons. Dans une premi�re r�action, plut�t concise, M. Abdelaziz Rahabi identifie cette mauvaise gouvernance au manque de transparence et au fl�au de la corruption – les deux mamelles de la m�diocrit� et de l’enrichissement illicite. En quoi la bonne gouvernance offre-t-elle une alternative aux maux dont nous n’arr�tons pas de nous plaindre ? N’est-elle pas en fin de compte une nouvelle tarte � la cr�me dont se nourrissent �lites et sph�res dirigeantes internationalis�es, souvent d�connect�es des r�alit�s locales ? Dans l’ensemble, la notion reste plut�t floue et sert d'alibi pour remettre en cause l'autorit� politique de l'Etat-nation au profit du march� et des nouveaux espaces d’exercice et de contr�le du pouvoir, comme les villes, les r�gions ou la soci�t� civile. Autant d’espaces qui, � l’exception de la Kabylie (ne confirme-telle pas la r�gle ?), n’expriment justement pas la m�me demande de d�mocratie dans nos pays. L’expression fran�aise de �bonne gouvernance� est � l’origine une traduction �loign�e de �Accountability� un terme g�n�rique qui englobe tout ce qui participe � "rendre des comptes". Il s’agit alors d’identifier les d�cideurs parce que leurs d�cisions affectent directement la vie des gens, afin de savoir � qui s'adresser s'ils ne sont pas contents et exercer un recours. Le m�rite de son �laboration revient aux organisations non gouvernementales (ONG), avec une mention particuli�re pour Hetty Kovack, Caroline Neligan et Simon Burall de l'ONG britannique One World Trust. Ils sont les coauteurs du premier rapport relatif � la question (intitul� Global Accountability Report) dans lequel ils passent au crible des organisations internationales intergouvernementales, comme la Banque mondiale, des multinationales, comme Microsoft ou Shell et m�me des ONG, comme Amnesty International. A leurs yeux, la bonne gouvernance recouvre deux dimensions. Une dimension interne qui int�gre la capacit� des employ�s, actionnaires, pays membres et militants � exercer leur contr�le, les proc�dures de s�lection des dirigeants, la mise en œuvre les d�cisions prises et l'�valuation des politiques suivies. La dimension externe de la bonne gouvernance concerne les personnes et les groupes touch�s par les d�cisions prises. Elle passe par le degr� de consultation des populations concern�es, la fa�on dont elles peuvent exprimer leurs plaintes, la responsabilit� sociale et environnementale des institutions et l'acc�s public � l'information qu'elles permettent. Les coauteurs du rapport s’attardent sur deux param�tres : la fa�on dont les membres d'une institution contr�lent les d�cisions prises et l'acc�s � l'information, mesur� par l'information disponible sur elle. Les plus mauvaises notes sont attribu�es aux institutions dont les d�cisions sont r�serv�es � une petite �lite, dont le pouvoir est exorbitant ou mal identifi� et les strat�gies peu explicites, dont les fonctionnaires sont surepr�sent�s aux postes cl�s et qui verrouillent les statuts pour �viter toute remise en cause de leur pr�dominance. La Banque mondiale et le FMI reprennent �galement � leur compte la �bonne gouvernance� dans leur qu�te d’un environnement politique et social favorable � la mise en œuvre de plans de stabilisation �soutenables�, faute d’�tre accept�s. Il ne leur vient pas � l’id�e d’esp�rer r�ussir un programme de privatisations dans un environnement de corruption qui autorise une poign�e de rentiers � accaparer leurs retomb�es �conomiques positives. Bien que relativement r�cents, les rapports de la Banque mondiale consacr�s � la question sont nombreux parce que le concept de "bonne gouvernance" est la pierre angulaire de �l’�conomie politique de la r�forme � qu’elle pr�ne dans le sillage des conditionnalit�s du Fonds mon�taire international. Dans un article intitul� "Governance and Development" (1992), la Banque mondiale d�finit la gouvernance comme la "mani�re dont le pouvoir est exerc� au regard de la gestion des ressources �conomiques et sociales d'un pays". Le concept �dicte alors une somme de principes de gouvernement qui devraient guider les responsables d'un pays en d�veloppement soucieux de croissance �conomique. Jonathan Isham, Daniel Kaufmann et Lant H. Pritchett sont les co-auteurs d’un rapport plus r�cent et plus fouill� datant de 1997. Ils explorent la relation pratique entre les libert�s publiques et les performances r�alis�es par les projets gouvernementaux d'investissement financ�s par la Banque pour conclure � des liens empiriques forts et positifs entre l'existence d'institutions d�mocratiques et les performances des projets d'investissement financ�s par la Banque. Un gouvernement soucieux de respecter des crit�res minima de transparence contribue � cr�er un environnement favorable � l'investissement d'origine locale ou �trang�re. Isham, Kaufmann et Pritchett pr�cisent alors la d�finition initiale en d�composant la notion de gouvernance en trois �l�ments : - "What", c’est-�-dire quelles sont les politiques publiques susceptibles d'affecter les m�canismes de la croissance �conomique mises en oeuvre par un gouvernement ? - "How", c’est-�-dire de quelles mani�res ces d�cisions sont-elles �labor�es et adopt�es ? - et "How Well", c’est-�-dire dans quelle mesure ces d�cisions se r�v�lent-elles efficaces et, en dernier ressort, favorables � la croissance ? La conditionnalit� �conomique, associ�e � la mise en œuvre de plans d'ajustement structurel et de stabilisation a notablement �volu� au cours des ann�es 1990 ; elle est devenue plus directement politique. Le World Development Report de 1999-2000 de la Banque mondiale prend d'ailleurs acte de cette nouvelle orientation, puisqu'il �voque explicitement, outre le caract�re indispensable d'un environnement macro�conomique stable, la n�cessit� pour les pays en d�veloppement de lutter �nergiquement contre la corruption et la pauvret� et de respecter les droits de la personne humaine. En Alg�rie, le recours fr�n�tique � la bonne gouvernance est associ� � la restauration du pouvoir r�el des confr�ries religieuses dans l’encadrement de la soci�t� r�elle (et non celle dont r�ve une poign�e de d�mocrates). Cette restauration ne sugg�re-t-elle pas le transfert des espaces de consultation des institutions issues du mouvement de Lib�ration nationale, oul�mas compris, vers des autorit�s religieuses plus dispos�es � l’ob�issance ? L’articulation des relations entre l’�conomie et le pouvoir � l’aune de la bonne gouvernance fait l’impasse sur leur enclavement dans la culture. Un enclavement d’ailleurs propre aux soci�t�s traditionnelles, pour ne pas dire archa�ques. Celles-ci ne connaissent pas de crises de l'autorit� au sens o� on l’entend en Occident o� l'impuissance grandissante des adultes ne leur permet pas d’obtenir une ob�issance spontan�e aux normes qu'ils �dictent et o� la gouvernance politique se heurte � une contestation permanente qui prend de plus en plus la forme d’une abstention. Nos soci�t�s continuent � prendre en charge leurs peurs primales par une autorit� per�ue comme une promesse de s�curit� et associ�e � une certitude de perte d'amour en cas d'indocilit�. C’est une m�diation de nature familiale, clanique, r�gionale dans laquelle une autorit� de type parentale est associ�e � la figure du p�re �s�v�re mais juste� � tous les niveaux. Suivez mon regard. C’est dire que nous sommes loin, tr�s loin, de nous remettre sur le droit chemin de la d�mocratie, quels que soient par ailleurs ses avatars.
A. B.

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