Panorama : PARLONS-EN
Le b�n�fice du doute
Par Malika BOUSSOUF malikaboussouf@yahoo.fr


On se demande quand il parle, et il parle souvent, � qui s’adresse le pr�sident de la R�publique ? Abdelaziz Bouteflika adore discourir, c’est un fait av�r�. Mais contrairement � ce que pourraient penser les Alg�riens, � qui officiellement sont destin�s ses propos, ce n’est pas � eux que ceux-ci sont adress�s.
Se souciant peu de l’effet que sont cens�s produire les mots sur ses administr�s, le chef de l’Etat n’a de regard que pour cet ext�rieur qu’il n’a de cesse de draguer en vue d’enjoliver son image de marque, celle-l� m�me dont on lui fait volontiers croire qu’elle est d�j� tr�s fortement appr�ci�e par ses homologues �trangers. Le premier magistrat du pays aurait pu se contenter, dans son “message � la nation”, de reprocher � Farouk Ksentini le peu d’enthousiasme montr� par sa structure � l’endroit des familles de disparus, par exemple, ou en direction d’entit�s en mal d’�coute. Il n’a pas pu se limiter � cela. Et du coup, nous apprenons, nous, citoyens de ce pays en d�ficit de justice et d’�quit�, que l’Alg�rie compte “parmi les nations o� les droits de l’Homme sont les mieux respect�s, par conviction et sans contrainte”. Incroyable mais vrai ! Voil� qui est �nonc� sans h�sitation et m�me sans ambigu�t� par un pr�sident dont on refuse de croire qu’il ignore tout de la r�alit� alors qu’il nous d�clare �tre ouvert � toute critique objective et que toute suggestion d’o� qu’elle vienne est la bienvenue. Ce sera bien la premi�re fois que nous l’aurons entendu prendre autant de risques ; aussi, nous n’allons pas prendre de gants pour lui r�pondre que la situation dans le pays est autrement moins reluisante qu’il ne l’affirme aux autres. L’Alg�rie n’est pas un Etat de droit ! L’Alg�rie est un pays o�, au contraire, les passe-droits d�nonc�s au quotidien sont une r�alit� qu’il ne sert � rien de travestir ! En Alg�rie, personne n’a voix au chapitre � l’exception de ceux dont l’action se r�sume � chanter les louanges du ma�tre du moment ! Ce sont, h�las, ceuxl� dont on tol�re les propos et pas les autres dont on estime, sans fondement, qu’ils travaillent � saper la r�putation du pays. Ainsi, le chef de l’Etat allonge la sauce � merci en excluant “toute distinction bas�e sur l’opinion” ! Voil� enfin qui aura eu le m�rite d’�tre dit ! Ainsi, l’Alg�rie compterait, selon ses dires, “parmi les rares pays qui ont ratifi� la quasi-totalit� des conventions internationales relatives aux droits de l’Homme”. De m�me que l’on nous affirme, un peu plus loin, qu’elle “peut �tre fi�re de sa l�gislation, qui, en mati�re de protection des droits de l’Homme, n’a rien � envier aux nations les plus d�velopp�es”. Rien que cela ! Mais alors, Monsieur le Pr�sident, que font Mohamed Benchicou ou tout autre d�tenu d’opinion en prison o� ils croupissent depuis des mois pour avoir os� exprimer � leur mani�re un avis diff�rent du v�tre ? Le responsable charg� de veiller au respect des droits humains d�clare publiquement que l’incarc�ration du directeur du Matin est “abusive, exag�r�e et de trop”. Serait-il concevable que vous n’ayez �t� inform� ni de la situation d�plorable dans laquelle se trouvent les victimes de votre syst�me carc�ral ni de l’�tat de sant�, jug� s�rieux, de vos prisonniers ? Serait-il admissible que la justice aux ordres de ce pays ait os� travailler de fa�on tout � fait ind�pendante ? On dit, pourtant, de cette derni�re qu’elle n’aurait fait que pr�venir une col�re suppos�e � tort de votre part et que craignant, tout aussi � tort, les foudres du palais, elle se serait empress�e d’anticiper et d’ex�cuter des ordres, non seulement, tout � fait fictifs, mais surtout aux antipodes de votre culture hautement r�publicaine. Apr�s le message adress� “� la nation”, on veut bien croire que vous n’avez rien � voir dans l’incarc�ration de nos confr�res , dans le harc�lement des journalistes dont vous verriez volontiers s’accentuer la hardiesse et, encore moins, dans tout ce qui fait que la brutalit� polici�re et celle des gendarmes s’accentuent d�s qu’il devient “opportun” de r�primer ou de faire taire des revendications on ne peut plus l�gitimes. Le chef de l’Etat fait bien de remarquer que “les droits de l’Homme sont avant tout une culture”. Une culture qui n’est malheureusement pas celle du r�gime en place et, du coup, on se demande � quoi cela peut bien servir de ratifier des conventions internationales si on n’ex�cute pas leur contenu. Et au Pr�sident qui �nonce que “de l’avis de l’ensemble des observateurs nationaux et �trangers, y compris les plus hostiles… la situation des droits de l’Homme dans notre pays ne cesse de s’am�liorer”, ne serait-il pas trop os� de r�pondre � propos de ces derniers qu’ils mentent effront�ment et dans l’unique but de lui �tre agr�ables ? Ce n’est pas parce que l’on insistera sur le fait que le code de la famille sera bel et bien r�vis� en ajoutant l’incontournable “dans le respect de nos valeurs spirituelles” — qui veut tout et rien dire � la fois — que cela changera quelque chose au statut d�gradant de la femme, et ce n’est pas, non plus, parce que le Pr�sident affirme que depuis son accession � la magistrature supr�me en 1999 toutes les r�formes initi�es par lui ont eu “pour finalit� la consolidation de l’Etat de droit, garant des droits et libert�s individuelles et collectives”, que nous allons forc�ment en �tre convaincus. Faut-il rappeler que le refus d’autoriser des partis politiques � activer sur le terrain rel�ve du non-droit et que refuser l’agr�ment � d’autres sans justification aucune ou sous n’importe quel pr�texte fallacieux rel�ve aussi du non-droit. Sans compter que tout d�passement est syst�matiquement mis sur le dos de la situation s�curitaire. Une situation que l’on �voque soit pour dire d’elle qu’elle est totalement ma�tris�e pour les besoins d’une campagne �lectorale, par exemple, et cela vaut pour la stabilit� du pays cens�e avoir �t� atteinte gr�ce � la concorde civile, soit pour justifier la n�cessit� de maintenir l’�tat d’urgence au nom duquel pourront �tre pass�es sous silence les tentatives de musellement de la presse, de la soci�t� civile ,des partis politiques et des populations qui protestent contre le mutisme des pouvoirs publics face � leurs revendications, les d�passements multiples de l’administration et autres abus d’autorit� ; bref, les innombrables lacunes dans le respect des droits de l’Homme telles qu’elles sont per�ues au quotidien. Inutile de nous confier que l’on est � l’�coute des organisations non gouvernementales qui activent dans ce sens, sinon il faudra nous expliquer pourquoi ni la F�d�ration internationale des droits de l’Homme ni Amnisty International ne sont autoris�es � venir constater par ellesm�mes que les droits de l’Homme, dont on se dit respectueux, sont aussi jalousement d�fendus par les autorit�s alg�riennes ? Si “aucune d�mocratie n’est possible sans libert� d’expression”, comme le reconna�t Farouk Ksentini, pourquoi ce dernier n’en profite-t-il pas pour nous expliquer en quoi la question des droits de l’Homme a �volu� positivement depuis l’arriv�e au pouvoir de l’actuelle �quipe ? Eh oui ! T�m�rit� pour t�m�rit�, autant aller jusqu’au bout et nous �clairer sur ce formidable bond en avant dont nous n’aurions pas conscience et que notre irr�ductible mauvaise foi nous interdirait d’admettre pr�f�rant � cette fa�on, plut�t all�gre, d’imposer des v�rit�s sans fondement, celle qui consiste � d�noncer, aussi souvent que cela s’av�re n�cessaire, le comportement fortement d�lictueux qui consiste � porter syst�matiquement atteinte aux droits des Alg�riens dont les r�voltes qui sont monnaie courante ne s’expliqueraient pas sinon. Nous sommes effectivement bien loin de ces discours qui pr�tendent se suffire � euxm�mes et que ne d�rangent pas les r�clamations sauf si elles se font permanentes ou deviennent un peu trop voyantes aux yeux “des amis occidentaux” que l’on pense avoir, malgr� tout, r�ussi � baratiner. A supposer qu’il y ait une r�elle volont� d’apaiser les rapports tendus d’une partie de la presse ind�pendante avec le chef de l’Etat, notre ami Benchicou aurait tout int�r�t � prendre au mot et Abdelaziz Bouteflika et Farouk Ksentini qui semblent mieux dispos�s � son �gard et pr�ts � le faire lib�rer s’il en faisait la demande. C’est dans le cas et dans le cas seulement o� sa requ�te �tait satisfaite que nous accepterions d’admettre que les choses sont redevenues comme avant. C’�tait d�j� bien mieux m�me si cela n’�tait pas non plus l’id�al.
M. B.

Nombre de lectures :

Format imprimable  Format imprimable

  Options

Format imprimable  Format imprimable