Panorama : ICI MIEUX QUE L�-BAS
Libert� de la presse
Par Arezki Metref, arezkimetref@yahoo.fr


Habituellement, quand on aborde la fin de l’ann�e, dans ce genre de chroniques, on fait un peu le bilan de “son” ann�e � soi. On revient sur les personnages ou les �v�nements qui ont marqu� l’ordinaire de vos yeux de journalistes. Dans le jargon, on appelle �a un marronnier. Tous les ans, il fleurit � date fixe. Il y aurait trop ou pas assez � dire. Trop, si l’on consid�re que tout est important et qu’on n’a jamais le temps et la place pour traiter tout cela. Pas assez si, en revanche, on fait l’�conomie de choses que l’on a trait�es en leur temps.
Pourquoi parler deux fois de la m�me chose sous pr�texte que, la deuxi�me fois, c’est pour les besoins d’une r�trospective de fin d’ann�e ? Tu aurais pu, en cons�quence de ce dilemme, t’en arr�ter l�, � cette intersection de deux impasses. Mais, non, c’est � ce carrefour que tout commence. Ce qui a �t� marquant dans l’ann�e qui vient de s’�couler, c’est pr�cis�ment toutes les questions relatives � la presse, dramatiquement rappel�es par l’incarc�ration de Mohammed Benchicou et de Hafnaoui Ghoul, heureusement lib�r� aujourd’hui, et la suspension du Matin ici et, l�-bas, en Irak, la captivit� de Christian Chesnot et Georges Malbrunot, heureusement lib�r�s. De la trag�die, car c’en est une chaque fois que les libert�s pay�es aussi cher sont touch�es, il reste maintenant qu’� lib�rer Benchicou et permettre au Matin de repara�tre. Mais il reste aussi � poser peut-�tre les vraies questions, avec le courage intellectuel idoine, loin des exclusions, des anath�mes, des invectives qui, souvent, tiennent lieu d’�changes dans nos contr�es au sang chaud. Ce n’est pas normal qu’un journaliste soit jet� en prison. Bien s�r, les bonnes �mes disent, pour tirer leur �pingle du jeu, qu’il y est pour des raisons de droit commun et que nul n’est au-dessus de la loi. Nous savons bien que ce n’est pas la v�rit� et nous savons bien aussi que, dans notre pays, on peut �tre au-dessus de la loi. Mohammed Benchicou paye, en r�alit�, pour toute la presse. Voire pour toute la soci�t� alg�rienne, inhib�e dans son �lan vers l’exercice des libert�s individuelles et d�mocratiques. N’en d�plaise � tous les blas�s de la modernit�, je dis bien “soci�t� alg�rienne” m�me si les observations au quotidien inciteraient � parler de tribus ou de je ne sais quoi. Dans un pays o�, en d�pit de la r�pression, des p�nuries de logements et d’eau, du ch�mage monstrueux, de la paup�risation galopante, on lit encore les journaux, on commente encore l’actualit�, on se bat encore pour la dignit�, on s’indigne encore du surr�alisme banalis�, on ne peut pas ne pas parler de soci�t�. Mohammed Benchicou paye pour la libert� de la presse. Son incarc�ration ainsi que la cascade de proc�s qui l’attendent, comme ceux qui tendent une embuscade � d’autres journalistes, soulignent la n�cessit� pour l’Alg�rie, qui importe encore comme une chose normale les technologies les plus avanc�es, mais tra�ne le boulet archa�que des vieilles dictatures en ne se pliant pas � cette r�gle d’or des d�mocraties d’aujourd’hui, le respect total, sacr� de la libert� de la presse et la d�p�nalisation des d�lits de presse. On ne peut pas, d’un c�t�, monter une vitrine � l’usage du monde avec de jolies urnes d�cor�es visant � d�montrer que la d�mocratie est un �tat naturel et, de l’autre c�t�, jeter les journalistes en prison. M�me si les �chos parviennent de fa�on assourdie, cette situation suscite un malaise chez les amis de l’Alg�rie qui, dans beaucoup de pays du monde, essayent de convaincre des avanc�es d�mocratiques de notre pays. Mais le plus �tonnant — encore que …, comme dit l’autre —, c’est ce scepticisme, cette apathie, ce d�sint�r�t ce malaise de la corporation elle-m�me � l’�gard de l’incarc�ration de Mohammed Benchicou qui n’est pas, il faut le rappeler aussi souvent que n�cessaire, la sanction contre un citoyen coupable d’un acte d�lictueux mais la volont� de ruiner les acquis en mati�re de libert� de la presse en suspendant la r�pression comme une �p�e de Damocl�s au-dessus des t�tes qui d�passent. Cette attitude de r�serve � l’�gard de l’affaire Benchicou, parfois d’hostilit�, et dans tous les cas de distance, t�moigne simplement d’une r�alit� criante que le vertige dans lequel la presse ind�pendante est n�e et a grandi a rendue provisoirement invisible. La presse n’est pas seulement � l’image de la soci�t� alg�rienne. Elle en est un condens� o� tout est surmultipli�, l’�cho d�cupl�, la r�sonance plus grande. La presse n’est pas une sorte d’astre solitaire et farouche, �loign� d’un syst�me gangren�, quand cet astre se tiendrait, lui, dans l’�ther de puret�. Non. La presse ind�pendante est le fruit d’un tas de contradictions. Elle est faite de tout. On y rencontre de tout. Exactement comme en Alg�rie. Il y a des affairistes aux app�tits venant en mangeant, des sous-marins de toutes sortes, des “r�gleurs” de comptes, des militants missionn�s pour passer l’info par le chas de l’aiguille de leur vision du monde. Il y a beaucoup de “faux” aussi. Il y a m�me des professionnels honn�tes et des id�alistes. Mais tout cela est normal. La presse est non seulement un enjeu que se disputent des forces sociales et politiques et des groupes d’influence antagoniques, comme partout ailleurs dans le monde selon des modalit�s diff�rentes d’un pays � l’autre. C’est aussi le reflet grossissant de toutes les d�mesures de l’Alg�rie chaotique. Cela �tant dit, on ne peut aller nulle part, on ne peut avancer du moindre pas si, dans la corporation m�me, au m�pris de ce devoir d’informer balis� par des si�cles de jurisprudence dont nous sommes aussi les h�ritiers et les d�positaires, au m�pris de la m�moire de nos confr�res assassin�s durant la d�cennie rouge parce qu’ils �taient journalistes, on continue � ne voir dans les combats d’id�es, dans la qu�te de v�rit�, que les effets d’une appartenance clanique. On ne peut pas instaurer la moindre �thique si, dans la corporation m�me, on ne consid�re la presse que comme un instrument politique ou une manne. Tous ceux qui, pour toutes les raisons politiques que l’on sait, ne veulent pas d’une presse libre comme ils ne veulent pas d’uns soci�t� libre, encouragent l’�tat d’esprit qui m�ne � la dissipation de la responsabilit�, encouragent la division sur des bases de fric, de clans, doivent se r�jouir de voir que leurs “plan m�dia” r�ussit � merveille. Tant qu’un journaliste reste en prison, nous pataugerons, dans ce pays, dans la pr�histoire de la libert� de la presse qui, dans des pays que nous captons par satellite, atteint une sophistication telle que cela en donne le vertige. La lib�ration de Benchicou n’est pas seulement une exigence humaine. Elle est, tout � la fois, le pr�alable � la discussion des vraies questions relatives � la presse � une �poque o� il suffit de presser un bouton pour s’informer instantan�ment de ce qui se passe aux antipodes et la r�futation de ce dogme imb�cile concevant la presse comme un bras s�culier. Voil� le fait qui a marqu� l’ann�e. Ici comme l�-bas, on continue � prendre les journalistes pour responsables des faits qu’ils ont le devoir de rapporter.
A. M.

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