Panorama : PARLONS-EN
Cachez-moi cette mis�re !...
Par Malika BOUSSOUF, malikaboussouf@yahoo.fr


L’hiver est de nouveau l� qui va sonner le glas pour bien des malheureux. Il pleut, il fait froid et ils sont encore bien trop nombreux � tendre la main, � demander l’aum�ne, � chercher refuge pour de longues nuits glaciales qui s’annoncent impitoyables. M�me si la pauvret� marque un recul, comme l’affirme le Cnes dans son dernier rapport sur le d�veloppement humain, il n’en demeure pas moins qu’ils �taient, si l’on se satisfaisait des chiffres officiels concernant l’ann�e 2003, plus de 600.000 � avoir faim, � vivre dans le besoin ou le d�nuement total.
Enferm�s bien au chaud dans de confortables palais, imperm�ables aux intemp�ries et aux tristes al�as de la vie, nos gouvernants ne peuvent ressentir ni la d�tresse ni le profond sentiment d’abandon qui s’emparent r�guli�rement de ceux pour qui le manque est le seul compagnon � hurler pr�sent � l’appel quand bien m�me la r�ponse � la pri�re se fait muette. Le seuil de pauvret� a atteint, et c’est l�, par contre, notre certitude, des limites que l’on imagine tr�s mal � partir d’Alger, la capitale, l� o� sont �labor�s des chiffres �logieux, complaisants, probablement destin�s � rassurer ceux qui ont envie de l’�tre et � donner bonne conscience � nos hautes autorit�s. Et tandis que les notions de prise en charge ou de partage tournent le dos aux laiss�s-pourcompte de la solidarit�, ceux qui affrontent l’�chec au quotidien, non pas parce qu’ils le veulent mais parce que cela leur est quelque part impos�, n’ont que d�tresse et solitude pour accompagner une vie qui n’en finit pas de leur rire au nez, de leur rappeler le triste sort qui est le leur. Les journ�es s’�coulent difficilement et quand elles deviennent impossibles � g�rer, le d�sarroi prend en charge le reste et trouve un moyen imparable d’y �chapper : le suicide ! Ils sont combien � opter pour cet ultime moyen ? Ils sont combien � regarder impuissants s’�couler des journ�es interminables, � regarder s’�grener les heures, les minutes et les secondes sans que leur soient offertes de solutions qui mettraient fin � leur calvaire ? Ils sont combien � avoir d�missionn� devant la souffrance v�cue comme une fatalit� ? Il est l� le malaise social que l’on se pla�t � d�crire comme la r�sultante de faits totalement �trangers � cette pr�carit� avanc�e dont la presse rend compte au quotidien. “Il n’existe pas d’autre voie vers la solidarit� humaine que la recherche et le respect de la dignit� individuelle”, disait Pierre Lecomte de Nouy � l’aube du XXe si�cle. Que des gens aient faim, que des gens aient froid, que des gens aient mal mais qu’ils soient incapables de l’exprimer pacifiquement n’absout pas pour autant les premiers responsables de cette situation que sont les autorit�s de ce pays. Elles qui semblent n’�tre investies d’aucun devoir envers leurs administr�s. C’est ce qui s’appelle se payer une conscience pour pas trop cher. Et pourtant, les Alg�riens ne manifestent jamais leur col�re parce qu’ils ont faim mais parce qu’ils d�sirent gagner leur vie dignement, sans avoir � �taler publiquement les dessous de leur mis�re. Comment admettre, alors, qu’aujourd’hui la solidarit� se r�duise � permettre aux sans-abri d’occuper, pour se prot�ger du froid, des arcades ou des portes coch�res d’o� plus personne n’a le courage de les chasser ? “Que m’importe ce qui n’importe qu’� moi”, affirmait � son tour Andr� Malraux � propos de solidarit�, fustigeant, en son temps d�j�, l’�go�sme et l’aveuglement du monde � l’�gard des d�munis et autres oubli�s de la vie. Et il avait bien raison de le dire en ces termes car que serions-nous si nous n’avions que le reflet de notre propre image comme r�f�rence, si nous n’avions aucun moyen de comparer nos petits bobos aux graves probl�mes qui paralysent l’existence de bien d’autres de nos concitoyens ? Si nous ne devions pas partager le minimum, � quoi serions-nous r�duits en ce bas monde o� la solidarit� et l’entraide rel�vent plus souvent de l’acte individuel, o� le devoir moral envers ceux que nous regardons se d�battre contre une insupportable pr�carit� doit �tre satisfait en urgence et en priorit� par un Etat qui tourne le dos aux siens d�s qu’il devient question de d�bourser ou de mettre en place des structures �quip�es � cet effet ? A quoi cela peut-il bien servir de regarder nos dirigeants se gargariser, se frotter la panse ou discourir sur le fait que le pays a engrang� des milliards de dollars lorsque m�me une infime partie de cet �norme bas de laine ne sert pas � all�ger les maux qui rongent la soci�t� ? Quand tout cet argent n’est pas mis � contribution pour r�duire la fracture sociale dont on calcule si maladroitement les cons�quences ? A quoi peut bien conduire cette exag�r�e tendance � vanter les vertus de la d�mocratie quand la mis�re occupe le terrain faute d’�tre s�v�rement combattue ? On nous inflige des responsables tout aussi incomp�tents qu’insouciants et qui, pour couronner le tout, ne se sentent ni inqui�t�s ni contraints � rendre compte des pi�tres r�sultats de leur travail. Il est vrai qu’ils ont autre chose � faire. Ils s’�gosillent � vanter les louanges du grand manitou. Un chef qui n’aime pas �tre contrari� et pr�f�re s’entendre dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes o� figurerait, � coup s�r, cette Alg�rie formidablement transform�e par ses soins. Une Alg�rie dont on r�pugne � admettre, en haut lieu, l’hideuse image qu’elle offre au visiteur, sit�t parcourus les quelques kilom�tres qui s�parent le reste du pays de la capitale. Une capitale qui fait office de cache mis�re et dont il suffit de s’�loigner un tout petit peu pour r�aliser l’�tat de d�pouillement dans lequel �voluent ses habitants. Le tableau est surr�aliste. Il vous d�chire le cœur. Des enfants au ventre creux, les pieds nus gerc�s par le froid, le corps fr�le tordu par la faim regardent indiff�rents s’approcher le bus flambant neuf mis � la disposition de la commune par le monsieur de la Solidarit� tout en s’adonnant au seul jeu � leur port�e : patauger dans la fange, sous bonne garde tant que le p�re, le fr�re, le cousin ou le voisin sont l� pour s’assurer qu’ils ne se sont pas encore effondr�s. Des adolescents exclus du syst�me scolaire et d�sœuvr�s se laissent porter par leur r�ve favori : regarder d�filer, les yeux point�s vers le ciel, des avions qui s’�loignent vers des horizons inconnus, o� il fait, croient-ils, plus doux de vivre et o� l’avenir pourrait se montrer peut-�tre un peu plus cl�ment. Des moins jeunes, p�res de famille tournent en rond, rongent leur frein la nuit tomb�e. Ils rentreront de nouveau bredouilles � la maison, les poches et le panier vides. Des vieux adoss�s aux murs branlant de leur b�tisse de fortune aspirent fi�vreusement la fum�e d’un dernier m�got ramass� non loin de l�. Ils ont l’esprit ailleurs. Ils revisitent douloureusement un pass� tout aussi insupportable mais qu’ils �voquent pourtant avec plus de nostalgie avant de s’en remettre � Dieu, Le priant d’abr�ger l’attente interminable. Tout le reste se passe � l’abri des regards indiscrets, � l’int�rieur de cloisons vermoulues que m�me les rats r�pugnent � fr�quenter, en attendant que demain soit un autre jour. Ceux-l� n’ont pas encore �t� recens�s par le Cnes. Ils ne figurent dans aucun document. Aucune assistante sociale n’a �t� d�p�ch�e pour leur pr�ter main-forte. C’est � peine s’ils sont inscrits � l’�tat civil. Heureusement que des �mes charitables existent encore ici-bas et n’h�sitent pas � voler au secours de nos intouchables loin des cam�ras et des c�r�monies honteuses. Des c�r�monies au cours desquelles, sous pr�texte d’assistance � personne d�munie ou encore pour valoriser un ministre pay� pourtant pour faire son travail, on braque les projecteurs sur cette derni�re que l’on humilie en �talant sa nudit� face � une assistance faussement compatissante. La solidarit� nationale devrait, aujourd’hui, �tre en mesure de pr�venir le d�nuement parce qu’elle en a pr�cis�ment les moyens financiers. Elle pourrait, par ailleurs, si elle se souciait un peu plus s�rieusement du probl�me, servir de m�diateur en cas d’�meutes parce que l’une de ses priorit�s consiste, essentiellement, � s’orienter vers la r�habilitation de la culture citoyenne.
M. B.

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