Actualit�s : Deux questions � Me Ali Yahia Abdennour, pr�sident de LADDH

La pr�carit� des libert�s continue de pr�occuper le pr�sident de la Ligue alg�rienne des droits de l’homme, Me Ali Yahia Abdennour. Aux deux questions que Le Soir d’Alg�rie a pos�es � un panel de personnalit�s, ce dernier livre une analyse et brosse un tableau des plus sombres sur les conditions des droits de l’homme en Alg�rie durant l’ann�e 2004. Le magistrat redoute une d�gradation chaotique si jamais cette situation �tait entretenue durant l’ann�e 2005.

Le Soir d’Alg�rie : Comment avez-vous v�cu 2004 ? Quel est le regard que vous portez sur 2004. Ces atteintes aux droits et aux libert�s se sont brutalement aggrav�es. C’est � un v�ritable cr�puscule des libert�s que l’on semble � bien des �gards assister. Tel un cancer le pouvoir ronge les libert�s...
Dans tous les domaines, l’ann�e 2004 a apport� la preuve que la crise �conomique est � la mesure de l’�chec politique, que les Alg�riens ne sont pas seulement consommateurs de biens mat�riels, mais aussi et surtout de libert�s. Aucun des grands probl�mes n’a trouv� de solution, aucune des grandes questions n’a trouv� de r�ponse. Le bilan est lourd, tr�s lourd. Faire l’inventaire, c’est simplement r�tablir la v�rit� des faits. Il s’agit de sauver l’essentiel, la v�rit� face � la propagande, la libert� face � l’oppression. L’Alg�rie n’est plus aujourd’hui qu’un ensemble informe d’oppression, d’injustice et de corruption. Elle est dirig�e par un pouvoir qui se moque de la morale civique et du droit, et ne se soucie gu�re de ce que subit l’Alg�rien humili� et m�pris�. L’Alg�rien �prouve m�fiance et hostilit� � l’�gard de tout pouvoir qui brime la libert� qui est un contre-pouvoir. Qui dit contre-pouvoir dit qu’il va falloir sortir du politiquement correct. L’exclusion bat son plein, frappe l’intime de chaque �tre marginalis�, l’in�galit� s’installe et fait des ravages par la paup�risation de la population, le d�litement du tissu social et familial, l’effondrement du syst�me de sant�. Ce qui manque le plus au pouvoir, c’est de ne pas avoir une connaissance � la fois objective et rigoureuse de la soci�t� avec ses tensions, ses exigences, ses secrets, ses angoisses, ses faiblesses mais aussi ses forces. L’option s�curitaire ne fait qu’entretenir le cycle de la violence et de repr�sailles car elle est sans perspectives politiques. La croissance des in�galit�s qui entra�ne la r�gression des libert�s publiques se traduit par l’augmentation de la violence sociale qui appelle la r�pression et le renforcement de l’Etat policier. La r�pression engendre la terreur qui engendre la haine qui appelle la violence sanctionn�e par la r�pression qui doit �tre d�nonc�e avec la plus grande fermet� car elle tend � �touffer l’aspiration � la dignit� et � la libert�. En mati�re de r�pression, il faut toujours appuyer non pas sur l’acc�l�rateur, mais sur la p�dale du frein. Le pouvoir tentaculaire, arbitraire et vorace comprend de v�ritables f�odalit�s politiques promues sous les seuls crit�res de la courtisanerie et de l’affairisme. Il ne se soumet pas aux normes juridiques nationales et internationales qui fondent un Etat de droit, exige du peuple qui ne sert qu’� le l�gitimer plus de soumission par la violence et des citoyens plus d’ob�issance par la peur. Il a besoin pour durer de bafouer les r�gles les plus �l�mentaires de la d�mocratie et d’exercer une politique qui a tendance non pas � r�soudre les probl�mes, mais � �liminer ceux qui les posent, � supprimer les contradictions en �liminant les contradicteurs. Il supporte de moins en moins l’exercice pourtant l�gitime et n�cessaire du droit � la critique. Il laisse � la police le soin de r�pondre de fa�on sommaire et toujours brutale � la question politique, sociale ou culturelle pos�e par les manifestants. La politique et la culture n’ont cess� de se croiser, la premi�re �crasant l’autre. Le pr�sident de la R�publique accro�t son pouvoir, limite celui du gouvernement, r�duit le contr�le et l’initiative du Parlement, contr�le l’information, pratique le syst�me des d�pouilles en vigueur aux USA, nomme les titulaires de toutes les hautes fonctions. La d�rive autoritaire d’un pouvoir est toujours � d�noncer. Ne pas relever les erreurs et les fautes du pouvoir, c’est l’encourager � pers�v�rer et la possibilit� d’affirmer qu’il jouit du soutien de la population. Le droit est tortur� pour lui faire dire ce que veut le pouvoir � mesure qu’il se pervertit, un pouvoir qu’exclut qu’on lui oppose quelque droit que ce soit, m�me son propre droit. Les Alg�riens ne doivent pas servir de caution, d’alibi ou d’otages, � un pouvoir qui refuse l’alternance d�mocratique. Le pouvoir sous-estime la d�sesp�rance qui affecte le peuple alg�rien d�poss�d� de son destin. Les r�sultats �lectoraux ont �t� fauss�s, entach�s de fraudes massives. Les �lections truqu�es portent atteinte � l’autorit� de l’Etat et le discr�ditent. Le peuple alg�rien a toujours �t� victime du hold-up �lectoral qui est du gangst�risme politique. Il y a eu une strat�gie trompeuse des services de s�curit� gard�e secr�te jusqu’� la fin pour soutenir M. Bouteflika lors des �lections pr�sidentielles. A peine un peu plus d’un �lecteur sur deux est all� voter. Le pr�sident de la R�publique a dispos� d’un atout majeur : sa mainmise sur l’unique t�l�vision qui a martel� des mois durant son message. L’image � la t�l�vision poss�de un grand pouvoir de suggestion, mais on peut tout lui faire sugg�rer. Il a exprim� � maintes reprises son m�pris, son hostilit�, son aversion, pour la presse priv�e, manifest� sa volont� de la mettre au pas pour avoir mis � nu des pratiques maffieuses dignes des r�publiques banani�res, et alert� l’opinion publique sur les scandales des affaires qui mettent en cause les plus hautes sph�res de l’Etat, ainsi que des personnalit�s du pouvoir et de son entourage. Dans un pays o� la r�gression politique culturelle et sociale est r�elle, le pouvoir manifeste par le harc�lement judiciaire des journalistes, sa volont� de s’attaquer � la presse priv�e qui est un espace d’expression qui �chappe � son contr�le. Mohamed Benchicou et Benaoum sont des prisonniers d’exppression condamn�s pour d�lits de droit commun, accusations fallacieuses qui montrent les limites �troites du pouvoir hors d’�tat d’assumer les v�ritables motifs des condamnations. L’�tat d’urgence, toujours en vigueur, qui permet au pouvoir de prendre quelques libert�s avec la Constitution et les lois qu’il a pourtant pour mission de d�fendre, a r�tabli une institution fondamentale : le prisonnier d’opinion, celui dont le nom et la situation juridique signifient que la libert� est interdite. On ne peut donner � un pouvoir r�pressif la face d’un Etat de droit. Le lib�ralisme fera que les Alg�riens riches seront plus riches et les pauvres seront plus pauvres. La pauvret� s’est install�e de mani�re permanente dans des millions de foyers. C’est un scandale, un d�ni de justice, de solidarit� et de d�mocratie. Les lib�raux en �conomie s’installent dans le dirigisme financier et la mise sous tutelle du syst�me bancaire. Toute action syndicale autonome est difficile � mettre sur pied, tant sont grands les risques de r�pression. Un contr�le rigoureux permettrait de d�couvrir de nombreux scandales politico- financiers, y compris dans la hi�rarchie syndicale, tant par les sommes d�tourn�es, les r�seaux impliqu�s, la pratique de la corruption g�n�ralis�e. Marcherait-on � ce point sur la t�te ?
L. S. A. : Qu’attendez-vous de 2005 ?
Le seul projet de soci�t� d�fendable est celui du respect des droits humains, celui de la libert� pour assurer la d�mocratie, celui de la solidarit� pour lutter contre l’exclusion du peuple et du citoyen, celui de la diversit� pour pr�server la richesse culturelle et linguistique, celui d’une culture fond�e sur un art de vivre en commun o� l’humanisme rassembleur serait notre devise. L’Alg�rie du XXIe si�cle ne peut se faire qu’avec les Alg�riens, sans exclusion d’une partie d’entre eux. Le peuple alg�rien ne peut vivre dans la dignit� que s’il a acquis ses droits humains. Les droits de l’homme n’ont pas seulement � �tre proclam�s ou garantis, il faut les vivre. Il y a d�rapage du pouvoir sur la question des droits de l’homme et des libert�s, il faut y rem�dier. L’actualit� politique nous rappelle que les droits de l’homme ne se donnent pas, mais se gagnent et se m�ritent, qu’il faut se battre pour les faire respecter, les consolider et les �largir. Pour qu’ils gagnent du terrain, il faut comme le dit le dicton chinois que tout le monde s’implique : “Quelques rameurs d’avant-garde ne suffisent pas.” Le constat tir� d’une exp�rience mondiale est que tout pouvoir s’use en deux ans. Le pays est dans l’attente de changements d�mocratiques. Il a besoin de leaders politiques qui ont des id�es et des convictions pour b�tir un meilleur avenir pour tous. Il faut une nouvelle redistribution du pouvoir conforme au pluralisme politique, afin de favoriser l’�mergence de contre-pouvoirs susceptibles de compenser et de contr�ler l’Etat. Les partis de l’opposition sont en marge de la vie politique alors qu’ils ne cherchent ni monopole ni position dominante, mais seulement leur place, toute leur place, leur juste place. Le pays est malade d’une opposition en miettes, impuissante qui s’autod�truit avec acharnement. Elle est faible et surtout tr�s divis�e. Il faut un v�ritable dessein politique mobilisateur pour la rassembler. La fonction la plus noble de la politique qui ne peut �tre con�ue sans morale est d’orienter le devenir de la soci�t� par un projet afin de cr�er une soci�t� nouvelle fond�e non plus sur la tradition, mais sur la comp�tence, non plus sur l’ob�issance, mais sur la responsabilit�. La politique est l’art supr�me qui consiste � r�aliser le bien commun qui est le vrai bien de chaque Alg�rien. L’impasse politique ne peut �tre d�pass�e que par le retour � la souverainet� populaire, par le choix par le peuple dans la clart� et en toute libert� de tous ses repr�sentants au niveau de toutes les institutions �lues de l’Etat. C’est un des d�fis majeurs de la soci�t�. Les Alg�riens doivent changer leur regard sur la soci�t�, se rallier � la d�mocratie, s’ouvrir � la diversit� culturelle et se mobiliser pour la justice sociale. Pour que la libert� existe et soit partag�e, il faut concr�tiser la juste pr�tention de l’Alg�rien � devenir le sujet et non l’objet de l’histoire et favoriser la participation du peuple � la conduite de son destin. Le combat pour la libert� doit �tre conduit r�solument et sans concession, apr�s avoir fait l’objet d’une union et d’une action � la base de la soci�t�. Affronter le r�el est le seul chemin possible pour pr�parer un avenir meilleur. La menace du pouvoir a la vertu d’obliger les d�mocrates � s’unir pour aider au retour de la libert� qu’il faut lib�rer, car elle seule fera le reste. L’Alg�rie appartient � tous les Alg�riens et non pas � une petite minorit� qui d�tient le pouvoir. Tous les Alg�riens, qui par des chemins diff�rents, partagent les m�mes valeurs d�mocratiques et poursuivent le m�me objectif, � savoir la souverainet� du peuple et la citoyennet�, doivent se retrouver. La jeunesse crie dans un d�sert ouat�, o� seule la violence attire le regard. C’est � elle, premi�re victime du ch�mage, face � un avenir morose qu’il faut redonner espoir et dignit�. C’est le probl�me de la jeunesse qui est pos� avec acuit�, de sa place dans la soci�t�, de ses obligations et de ses droits, de son �quilibre moral m�me. C’est vers l’objectif de la r�alisation de la d�mocratie qu’il faut orienter en priorit� son action, parce qu’il s’agit d’abord de son combat et des chances raisonnables de le gagner. Quel r�le la jeunesse joue-t-elle ou doit-elle jouer dans la soci�t� ? C’est par l’�ducation, cl� de vo�te de la soci�t� et de l’avenir du pays, que passent toutes les routes qui m�nent � la d�mocratie, � la libert� et aux droits de l’homme. Tout enseignement a une double fin, donner une qualification et une culture g�n�rale. L’�ducation, m�re de toutes les libert�s, conjugue �galit� des chances, formation des citoyens, acc�s au pouvoir, s�lection des �lites capables de ma�triser les nouvelles technologies, instrument de la croissance et de la cr�ation d’emplois. Le pouvoir a int�gr� la technologie qui le rend d�pendant de l’�tranger, mais n’a pas proc�d� � la recherche scientifique que cr�e cette technologie. Les deux cl�s de l’�ducation se nomment d�mocratisation et modernisation. L’�cole ne remplit pas sa mission, celle d’acquisition du savoir et d’un lieu d’enseignement. C’est toute sa mission qui est � repenser. L’universit� manque de souffle et le projet n’est pas de nature � lui en donner. La r�forme � peine est-elle en rodage qu’elle est inadapt�e, d�pass�e. Toute r�forme n’est que ce qu’en font ou n’en font pas les ex�cutants. La vocation universitaire est marqu�e par le sens profond de l’�galit� et de la justice. L’universit�, tout en assurant sa mission de recherche et en dispensant une formation sup�rieure, doit favoriser l’acc�s dans les conditions les plus favorables � une vie professionnelle, assurer un meilleur d�bouch� sur les carri�res offertes. L’amnistie exclut toute action judiciaire, r�habilite les condamn�s et les accus�s, abolit toutes leurs condamnations ou accusations, laisse intactes leurs convictions et leur dignit�. Elle ne peut �tre que la suite logique de la paix. L’amnistie, avant la v�rit� et la justice n’est qu’impunit�, privil�ge des privil�gi�es. L’Alg�rie se trouve engag�e dans une phase difficile en raison de son incapacit� � neutraliser les effets pervers de la mondialisation. L’�conomique conditionne le social qui, � son tour, conditionne le politique. La centralisation a conduit � l’arbitraire, � la bureaucratisation et � la paralysie des institutions. D�centraliser cela revient � conf�rer aux r�gions des pouvoirs de d�cision et m�me de contr�le, d�tenus par le pouvoir central. Le pouvoir r�gional est plus proche des habitants, sensible � leur vie quotidienne soumis � leur contr�le, � leur jugement et � leur sanction. Le transfert des pouvoirs aux collectivit�s locales doit s’accompagner d’un transfert de ressources et de cadres. Les collectivit�s locales sont exsangues et asservies. Le principal �chec r�side dans le fait que la cagnotte de pr�s de 40 milliards de dollars, provenant des hydrocarbures, n’a pas emp�ch� le ch�mage et la pauvret� de stagner. Les investissements �trangers sont inf�rieurs de loin aux capitaux en fuite. Le march� national est envahi par les productions �trang�res, qui par effet m�canique, �liminent nos propres productions, de notre propre march�. La souverainet� du dinar, qui est un des �l�ments de l’ind�pendance nationale, doit �tre consacr�e sur le march� international par l’arr�t de sa d�gradation, le redressement de sa valeur et sa convertibilit�. Le travail d�finit la condition humaine, notamment le droit � la libert� syndicale dans ses deux dimensions, le pluralisme syndical et l’adh�sion libre, sans que les r�unions syndicales et autres soient prohib�es, et les manifestations publiques brutalement r�prim�es.

Nadir Benseba

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