Actualit�s : Mme ANISSA BOUMEDIENE PARLE DE LA MORT DE SON MARI
“Je n’�carte pas la th�se de l’assassinat”


Rencontr�e � l’h�tel El Amir, � Djelfa, en marge du 14�me Colloque Houari Boumedienne, la veuve du pr�sident d�funt, Anissa Boumediene, a gros sur le cœur. Elle trouve cependant en la po�sie arabe une m�dication soulageante. Elle replonge dans la rime de Taoufa, Zoheir, Al Qais et Al Khensa pour att�nuer de la douleur d’un souvenir qui souvent l’assaillit : celui de l’�poux, de l’ami perdu. Elle sait que les pleurs ne le lui rendront pas. Aussi lib�rait-elle, un brin de r�ticence, compr�hensible, au demeurant, sa parole pour dire son �poux.

Le Soir d’Alg�rie : Le Colloque Houari Boumediene est � sa quatorzi�me �dition. N’estimez-vous pas qu’il demeure encore � cerner la vie de Boumediene dans son int�gralit� ?
Anissa Boumediene :
Effectivement, jusqu’au jour d’aujourd’hui, l’�poque Boumediene n’a pas eu sa v�ritable place dans l’histoire. Sa vie, sa d�marche et la v�rit� de parcours n’ont pas �t� abord�es comme il se devait �tre. Pourtant que de r�alisations extraordinaires a-t-il r�ussies. L’histoire en tout cas retiendra de lui le fondateur de l’Etat alg�rien moderne. Ceci d’une part, d’autre part il y a eu beaucoup de falsifications et de contre-v�rit�s dans ce qui a �t� �crit ou dit sur la vie du pr�sident Boumediene, comme sa date de naissance, sa mort ou encore qu’il s’�tait mari� en Egypte, que Boussouf �tait son chef direct, alors qu’en v�rit� il �tait sous les ordres de Ben M’Hidi. D’autres contrev�rit�s encore, comme celle faisant �tat qu’il avait rejoint la r�volution en tant que djoundi alors que, dans la r�alit�, il l’avait rejointe en tant que chef des djounouds.
Qu’en est-il des circonstances de la mort de Boumediene, d’autant qu’il y a ceux qui parlent de son assassinat ?
Le dossier m�dical est toujours frapp� du sceau du secret. Je n’�carte pas la th�se de l’assassinat.
Ce colloque, de l’avis de nombreux participants, n’a pas �t� de dimension souhait�e, malgr� qu’il soit plac� sous le haut patronage du pr�sident de la R�publique. Comment expliquez- vous cela ?

D’aucuns ont remarqu� les insuffisances ayant marqu� ce colloque de Djelfa ainsi que la mauvaise pr�paration qui a pr�valu. Ceci en plus de l’absence de personnalit�s marquantes qui, habituellement, enrichissaient les contenus des colloques Houari Boumediene. Je ne manquerai pas de souligner, par ailleurs, la tentative flagrante de vider ce colloque de sa dimension nationale et historique, au point o� le pr�sident de la R�publique s’est abstenu d’envoyer un message aux participants.
Serait-ce cela du fait de votre position durant l’�lection pr�sidentielle pass�e ?

Non… mes positions par rapport � l’�lection pr�sidentielle �manaient de mes convictions personnelles… Je ne voudrais pas m’�taler davantage.
Quand �crira-t-on la v�ritable histoire de Boumediene ?

Pour l’�crire, il faut d’abord que l’on n’ait pas recours aux archives existantes. Durant sa vie, Boumediene s’int�ressait personnellement � la conservation de l’archive nationale, parce qu’elle concerne l’histoire d’une nation. Concernant la v�ritable histoire de Boumediene, je dirai qu’elle doit s’�crire depuis ses d�buts, l’enfance, la jeune, les �tudes, Al Azhar… Boumediene appartient � l’ensemble des Alg�riens.
Voudriez-vous nous parler de Boumediene l’�poux et l’homme ?

Boumediene �tait du peuple. Il n’aimait pas les visites officielles et les protocoles. Mon histoire avec Boumediene a �t� � l’origine une histoire d’amour. On s’est mari�s apr�s une longue histoire d’amour. On vivait naturellement, comme le reste du peuple. Je n’avais pas de privil�ges. On vivait dans un appartement de deux pi�ces et, pendant les occasions, on se retrouvait au Palais du Peuple.
Et apr�s la mort de Boumediene ?
A la mort de Boumediene, je me suis sentie seule. J’ai ressentie un immense vide autour de moi. Je suis pass�e par des p�riodes tr�s difficiles, puisque j’ai perdu en lui � la fois l’�poux, le p�re, le fr�re et l’ami. Ce qui m’a aid�e � surmonter l’�preuve c’est l’�lan de cœur que le peuple lui a manifest�.
Quel regard portait Boumediene sur l’Alg�rie ?

Il disait toujours qu’il ne suffisait pas de dire mais qu’il fallait surtout faire. Boumediene �tait pragmatique. Il �tait convaincu que le peuple alg�rien n’aimait pas la hogra. Et nonobstant qu’� son �poque l’Alg�rie ne vivait pas une embellie financi�re, Boumediene n’a pas n�glig� les r�gions d�sh�rit�s, en mettant en place des programmes d’urgence. Il misait sur le plus ou moins long terme pour arrimer durablement l’Alg�rie au progr�s. S’il avait v�cu jusqu’� aujourd’hui, le pays n’aurait pas connu le terrorisme et toutes les catastrophes. Ceci, en d�pit de l’existence, sous son r�gne, de diff�rentes sensibilit�s.
Quelles ont �t� dans sa vie les �tapes d�terminantes ?

Je me rappelle de nombreuses situations difficiles que le d�funt a eu � affronter. Son exp�rience et sa clairvoyance lui permettaient � chaque fois de surmonter la difficult�. Il fon�ait, comme ce fut le cas lorsqu’il a d�cid� de nationaliser les hydrocarbures. Il a pris la d�cision alors que d’autres initiatives similaires avaient �chou� pr�c�demment, � l’instar de ce qui s’�tait pass� au Mexique avant la Seconde Guerre mondiale ainsi que l’exp�rience rat�e iranienne.
De litt�rature et de po�sie vous �tes profond�ment �prise. Comment en �tes-vous venue � pr�f�rer la compagnie des belles lettres et de la rime ?
Anissa Boumediene :
J’ai d’abord poursuivi des �tudes d’avocate, apr�s j’ai entrepris le droit. J’ai �tudi� deux ann�es � la Facult� d’Alger puis deux autres ann�es � La Sorbonne en France. Je suis rentr�e au pays pour exercer en tant que vice-procureur de la R�publique, puis comme avocate. J’ai d� abandonner le barreau apr�s mon mariage. A l’�poque, on n’enseignait pas encore l’histoire du monde arabe encore moins la po�sie arabe. Je ressentais un complexe devant Boumediene qui �tait d’une vaste culture. J’ai d�cid� alors de plonger dans le monde de la langue et de la litt�rature arabes. Une enseignante syrienne me prodiguait des cours, puis en tant qu’�tudiante, j’ai �chou� � l’examen de grammaire arabe. J’ai d� interrompre pour une ann�e mes �tudes � la mort de Boumediene. J’�tais en deuxi�me ann�e. J’ai repris ensuite et j’ai obtenu le dipl�me d’�tudes sup�rieures en litt�rature arabe. Boumediene aimait beaucoup la po�sie. Un jour, il m’ordonna de me lever. Un fois debout, il me r�cita de mani�re on ne peut plus correcte trente vers d’une Mouaalaqatede Imrou Al Qais.
Vous avez vous-m�me �crit un recueil de po�sie Al Leil Oua Nahar (la nuit et le jour).
Mon recueil Al Leil Oua Nahar� a �t� interdit d’entr�e en Alg�rie durant la d�cennie noire. Je ne sais toujours pas pourquoi. Dans ce livre, j’ai trait� des convulsions que j’ai v�cues et qui m’ont donc marqu�e apr�s la mort de Boumediene, notamment la vue du peuple pleurer la mort de son pr�sident. J’ai aussi d�crit, dans mon recueil, la beaut� de l’Alg�rie et la bravoure des moudjahidine. S’agissant du titre, le jour c’est ma vie aux c�t�s de Boumediene, la nuit c’est ma vie apr�s son �clipse.
Vous �voquez dans votre recueil les moudjahidine. Le dossier des faux moudjahidine faisait-il partie des pr�occupations de Boumediene ?

Le dossier dit aujourd’hui des �faux moudjahidine� n’�tait pas au menu de l’actualit� du temps de Boumediene. Le nombre d’usurpateurs de la qualit� �tait minime. Le budget allou� aux moudjahidine n’�tait pas colossal.
Beaucoup de choses ont �t� dites sur Abane Ramdane et Messali Hadj. Que pensez-vous de ce qui a �t� dit � leur propos ?

La r�volution rel�ve du miracle divin. Le peuple alg�rien en est sorti vainqueur. Messali Hadj est une personnalit� qu’on ne peut pas nier, �tant qu’il a �t� le premier � avoir appel� � l’ind�pendance nationale, m�me s’il n’�tait pas emball� par la r�volution, estimant que les conditions pour ce faire n’�taient pas r�unies. Quant � Abane Ramdane, il �tait un h�ros et il est mort � cause de son h�ro�sme. Les causes de son assassinat ne sont pas �crites, � ce jour. Mais, enfin, toute r�volution dans le monde a ses pages de gloires et ses pages noires.
Qu’en est-il de l’�criture de l’histoire de la guerre de Lib�ration ?
La consultation des Archives instruirait. Aux historiens, universitaires et chercheurs de rechercher les v�rit�s qu’elles contiennent. Il en existe de nombreuses. Entre autres, les raisons du conflit entre Boumediene et le Gouvernement provisoire.
Vous avez exerc� dans le secteur de la justice. Que pensez- vous de la justice d’aujourd’hui ?
Ce qui se passe dans le secteur de la justice du fait du comportement de certains n’honore pas ceux qui y exercent. On n’aurait jamais pens� qu’un jour le niveau de la justice alg�rienne atteindrait son niveau d’aujourd’hui. O� est la conscience du magistrat, le professionnalisme, l’�thique… ?
Le pr�sident Bouteflika a lanc� l’id�e d’une amnistie g�n�rale. Quelle compr�hension faites-vous de cette notion?

D’abord, faudrait-il vous dire que j’�vite de parler des questions d’importance nationale et engageantes de peur de voir mes propos d�form�s. Je dirais simplement que la mani�re choisie pour la r�conciliation nationale n’�tait pas �tudi�e. Peut-�tre aurions-nous mieux r�ussi si on avait proc�d� autrement, si on avait pris en compte la r�alit� de la crise. Concernant, maintenant, l’amnistie, il faudra au pr�alable que tout le monde acquiesce. Mais il ne faut surtout pas que le terrorisme en tire gloire. Il doit plut�t se sentir coupable. La meilleure fa�on de proc�der, � mon avis, est celle adopt�e par l’Afrique du Sud pour r�aliser sa r�conciliation nationale.
Que diriez-vous � propos du code de la famille ?

Je suis pour certains amendements ; la femme qui acc�de � de hautes fonctions de l’Etat, ministre, juge et wali… n’a pas besoin de tuteur pour se marier. Je suis par ailleurs favorable � la cr�ation d’un observatoire des droits de la femme qui soit affranchi de toute instrumentalisation politique.
Et de la libert� de la presse ?
Je suis contre l’emprisonnement des journalistes. Je suis pour la lev�e des restrictions dont la presse fait l’objet ainsi que pour la garantie des conditions pour un exercice sain du m�tier d’informer, loin du travestissement de la v�rit�. Car la libert� de la presse s’accompagne d’une �thique professionnelle.
N’avez-vous jamais pens� � cr�er une fondation Houari Boumediene, � l’instar d’autres fondations comme celle Mohamed Boudiaf ?

L’id�e ne m’est pas �trang�re. J’y ai d�j� pens�, seulement se pose toujours le probl�me de l’enceinte qui abriterait une fondation de la dimension de Boumediene. Par exemple, la fondation Mohamed Boudiaf, malgr� la courte pr�sidence de ce dernier, a b�n�fici� de la villa Aziza pour si�ge. Je suis, d’autant, attrist�e par le sort r�serv� � la villa Aziza qui fait partie du patrimoine national. Pour son extension on a coup� des arbres mill�naires.

Entretien r�alis� par Ghoul Hafnaoui

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