Panorama : ICI MIEUX QUE L�-BAS
Yenayer
Par Arezki Metref, arezkimetref@yahoo.fr


Maintenant que la dinde pour les dindons a fini avec la farce, que la b�che pour les b�cherons est d�bit�e en b�chers, que les confiseurs ont stopp� leur tr�ve et les commer�ants leur gr�ve, on peut causer. Mais de quoi ? De tout �a, justement. On r�veillonne pour plusieurs raisons. L’une d’entre elles — et c’est celle qui m’int�resse, ici —, c’est de se dresser contre cette uniformisation tristounette, cette police des mœurs, cette soustraction muscl�e de notre temps au temps universel.
Personne n’oblige personne � r�veillonner. Mais personne ne doit emp�cher personne de le faire, s’il en a envie. Cela proc�de de cette libert� sacr�e tant qu’elle respecte elle-m�me la libert� contigu� de l’autre. Mais bon, tu parles en l’air, comme dit le vent. On n’est pas, ici, dans un caf� philosophique, comme il s’en d�veloppe beaucoup l�-bas. On n’est pas dans cette agora o� la parole � un sens, celui de l’�coute. Les choses sont carr�es avec des trucs contondants qui coupent tout ce qui d�passe. Tu sors le doigt, on te charcute toute la main. Fais gaffe… Il est clair, quand tu y penses bien, que cette histoire de r�veillon n’est pas si anodine que �a. Tu crois que c’est seulement l’exercice d’une libert� individuelle une et indivisible, que personne n’a le droit de te d�nier. C’est �a et c’est plus que �a. A l’origine, tu sais bien que le r�veillon, c’est la c�l�bration du passage d’une ann�e � l’autre. Tu es l�, la nuit commence � teindre le ciel nuageux, puis elle devient toute noire. Le jour se l�ve, h�sitant, brouill� de gris. Tu es dans une autre ann�e, ton capital temps amoindri. Que du banal, en somme : la succession des jours. Pas de quoi fouetter un chat. Que tu te shootes � la deglet nour arros�e de ma zhar en criant “bonne ann�e” en SMS ou pas, c’est du pareil au m�me. Apr�s minuit, que tu sois au lit avec une forte fi�vre, en face de la t�l� � regarder des saltimbanques t’arracher des rires de bon cœur en m�me temps que de la redevance, dans une soir�e bcbg � �cluser les ragots douze ans d’�ge, au fin fond d’un hameau insituable sur une carte � vitup�rer contre la fatalit� de ta position, tu changes de jour et d’ann�e. Ce temps qui est pass� sans te pr�venir, t’arrache un peu plus de cheveux, �branle un peu plus tes dents, creuse un trait de plus sur ton visage. Point final. Mais les docteurs qui mesurent notre temps � l’aide d’une r�gle c�leste ne veulent pas que tu sois l� � regarder ce sablier-l� achever de jouer avec les grains sous pr�texte que ce n’est pas le tien. Touche pas. Tu bouges quand on te le dit. D’accord ? Pour �tre plus terre � terre, si tu as la faiblesse de consid�rer que le passage d’une ann�e � l’autre pour ce calendrier- l�, qui est, pour une raison qui m’�chappe, le calendrier dominant dans le monde, vaut une bise, tu es non seulement un tra�tre � nos traditions de puret� absolue mais aussi un d�prav� vendu pour trois fois moins son prix � quelque secte qui ourdit les pires ruines contre nous. Tu parles d’une tartufferie ! Mais non, du calme. Pour une question de cadence de l’histoire, le calendrier des autres adopt� de gr� ou de force, — qui est n�tre aussi, parce qu’il est pratique et parce qu’il a �t� n�tre dans le pass� —, nous acceptons d’�tre en 2005. Nous adoptons cette cadence l� parce que le monde, c’est du symbole mais ce n’est pas que du symbole. C’est aussi de l’�conomie. Il semble, du reste, que la pression de l’OMC arrive � amollir la tatillonne observance par nos dirigeants de l’orthodoxie calendaire. Le week-end redeviendrait samedi dimanche, comme chez tout le monde aujourd’hui. C’est la foi du tiroir-caisse, la seule dont la musique est un son convaincant. Que tu fasses une grasse matin�e le dimanche matin, c’est une fa�on d’�tre synchrone avec le reste de l’humanit� sans pour autant perdre une miette de ce que tu es. Mais si les symboles veulent dire quelque chose, moi, je pr�f�re les plus anciens. Je n’ai pas f�t� le r�veillon. Je ne sais pas comment je le ferai, mais je c�l�brerai Yennayer, le nouvel an berb�re. Ce sera le 12 janvier prochain. Pas de b�che, ni de deglet nour ni de ma zhar. Pas de ragots douze ans d’�ge. Mais une fa�on de se dire que le calendrier d’o� nous venons est plus ancien et que parce que nous acceptons le calendrier des autres, il nous faut accepter le n�tre en premier. Je soutiendrai m�me la revendication du mouvement des arouch pour en faire un jour de f�te. Apr�s tout, il suffit d’un petit texte de loi pour que, soudain, on red�couvrirait que nous sommes une civilisation plus vieille que celles qui pr�tendent nous apprendre � nous renier. C’est plut�t bien d’avoir plein de calendriers, c’est une fa�on d’avoir plein de dates. Et des dates, comme dit l’autre, �a ne fait pas forc�ment un r�gime.
A. M.

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