Sports : CONTRIBUTION
LA DISCIPLINE N'EST PLUS AUSSI PORTEUSE DE SATISFACTION ET D'ESPOIR
L’Etat, premier sponsor du d�veloppement de l’athl�tisme alg�rien


Par Si Mohamed Baghdadi
L’assembl�e g�n�rale ordinaire de la F�d�ration alg�rienne d’athl�tisme vient de se d�rouler, � pas feutr�s, dans l’indiff�rence la plus totale. Et pourtant, elle n’�tait pas si ordinaire que cela, cette AGO. C’�tait celle de la fin d’un mandat de la premi�re discipline sportive du pays en terme de m�dailles olympiques et de titres mondiaux, n’en d�plaise � tous ses d�tracteurs. Beaucoup pensaient qu’elle allait servir � pr�parer l’assembl�e g�n�rale �lective ; il n’en fut rien.
Le d�bat fut maigre, lisse et polic�. On sentait que personne ne voulait faire de vagues, ni prendre la responsabilit� de parler comme l’un des d�l�gu�s tenta vainement d’y inciter ses coll�gues, pour dire la grande d�sesp�rance de l’athl�tisme alg�rien. A la tribune officielle, les membres du bureau f�d�ral engonc�s dans leurs calculs, fourbissaient secr�tement leurs armes, dans le silence de leur conscience, et l’attente de l’ultime confrontation. Un bureau f�d�ral d�chir�, selon la rumeur, par les luttes de clans ; et o� le d�veloppement de l’athl�tisme fut loin de constituer le centre des pr�occupations des uns et des autres, parmi lesquels pourtant, figurent d’authentiques d�fenseurs et promoteurs de la chose athl�tique. Tout autant que les techniciens, v�ritables chevilles ouvri�res du d�veloppement athl�tique, non admis � l’AGO � cause des clauses ultra restrictives, d’un texte plus soucieux de d�mocratisme que de v�ritable d�mocratie. Cependant, ces hommes l� - constamment mis en minorit� par la sournoise coalition de la m�diocrit�, d�courageant tout sursaut salvateur, toute initiative capable de relancer une machine gripp�e, par la discorde des responsables - attendent eux aussi leur heure. Celle de la v�rit�, indiscutable, du m�tre et du chronom�tre.
Une crise g�n�rale

Ce sont l� les aspects les plus apparents de la situation de crise que vit la discipline, tout autant que l’ensemble des structures et institutions du mouvement sportif national qui n’en finit de croire que sa sauvegarde r�side dans cette perp�tuelle et illusoire fuite en avant juridique. Or le d�veloppement ne se d�cr�te pas, il se construit sur le terrain des faits et des r�alit�s, plus t�tus que la meilleure des lois. Qu’ont pu faire celles-ci contre la fermeture du seul stade d’entra�nement, le SATO, alors qu’athl�tes et entra�neurs battaient semelles, sur esplanades et parkings environnants ? Les textes pr�par�s par les techniciens, en vue de l’AGO, riches en informations et recommandations, ont r�ussi � circonscrire, pour l’essentiel, les contours de la crise :
-D�sengagement de l’Etat au niveau de la pratique �ducative de masse, socle de toute culture sportive ;
-Encouragement massif du seul haut niveau entra�nant des d�s�quilibres par trop flagrants et un d�p�rissement, tout aussi pr�visible qu’in�vitable, des fondements du syst�me de pratique athl�tique, � savoir les clubs, et les ligues, charg�es de les animer et d’en coordonner l’action.
-Lutte de clans aux int�r�ts divergents, � telle enseigne que le responsable des JTS parle de � chasse gard�e �, instaur�e par certains, pour pr�server, sinon accro�tre, leur emprise sur les principaux leviers de la discipline.
-Et, dans cet ordre d’id�es, existence d’entra�neurs formateurs, nombreux au niveau des petits clubs, et d’entra�neurs � exploiteurs �, squattant le travail de premiers au b�n�fice des grands clubs. Tout un syst�me d’exploitation qui se met insidieusement en place.
-Discordance p�dagogique et �ducative, o� les plus anciens cadres font l’amer constat de voir leurs cadets mener des actions en contradiction avec les leurs, ce qui ne peut produire qu’un effet d�sastreux, au niveau des athl�tes.
-D�valorisation de l’encadrement public par rapport aux cadres � priv�s � et aux athl�tes de haut niveau ; l’entra�neur se sentant dans la peau d’un � khamm�s � par rapport � son ou ses athl�tes, selon les appr�ciations et d�clarations de certains.
La marchandisation et ses effets

Dans ce diagnostic, les effets de la mondialisation et de la marchandisation de la discipline sont loin d’�tre apparents, alors qu’il s’agit l� de la cause centrale de la crise v�cue, tant par l’athl�tisme que par l’ensemble du mouvement sportif national ; pour ne pas dire par tout le pays, mais c’est une autre histoire. On peut affirmer, sans grand risque de se tromper, que la discipline est gangren�e par sa marchandisation avanc�e. Dans ce processus - dont les d�buts remontent � la fin des ann�es 80, en prenant de l’ampleur tout au long des ann�es 1990 - la FAA va appara�tre comme l’outil d’extraction et d’exportation de la valeur ajout�e athl�tique, produite par nos athl�tes et leurs entra�neurs. Mais, sans y pr�lever les moyens de son propre d�veloppement et, par voie de cons�quence, de la reproduction �largie et continue de ses �lites. Comment s’�tonner d�s lors que les relations entre les hommes deviennent des relations marchandes au lieu de relations citoyennes et responsables ; c’est le profit qui commande et non plus l’humanit� du lien. Comment s’�tonner aussi que les valeurs �ducatives reculent au d�triment des valeurs marchandes ? ou que le “khamassat” s’instaure entre athl�tes de haut niveau et leurs entra�neurs ? Comment s’�tonner que la culture de la fraternit� ait c�d� le pas � celle de “l’association marchande”, lorsque nos jeunes ne disent plus “ya khoya” mais “ya chriki”. Le glissement s�mantique ne fait qu’exprimer la mutation des valeurs, pla�ant l’argent, au centre de toutes relations humaines, non plus comme moyen, mais comme fin. En fait, l’�mergence d’une nouvelle culture. La culture “marchandis�e”, tournant le dos � toute forme d’humanisme. Ce sont-l� quelques-uns des effets d’un syst�me, dont le monde commence � d�couvrir les n�fastes cons�quences, dans tous les secteurs de l’activit� des hommes. Le profit et la comp�titivit� certes, mais pas au b�n�fice d’un autre Moloch, la globalisation financi�re, impos�e par les march�s financiers et les multinationales dont l’unique objectif est de laminer les Etats - Nations en travaillant � leur total d�p�rissement. Mieux que ne l’aurait fait Marx ou L�nine !
Une question de sens : une politique claire

C’est dans ce contexte g�n�ral, et non ailleurs, qu’il convient de situer le recul relatif de l’athl�tisme alg�rien, d’en cerner les causes, d’en identifier probl�mes et difficult�s, pour �tre en mesure de d�finir les grandes lignes de son d�veloppement. D’abord, une question de sens : comment construire ensemble – acteurs et op�rateurs sans exclusive ni exception, jusque et y compris les athl�tes - une v�ritable politique de d�veloppement qui tienne compte des limites actuelles, sans se laisser ligoter par le dogme de l’in�luctabilit� de la mondialisation ? comme se plaisent � le faire beaucoup de nos hommes politiques qui en sont devenus les chantres. Une politique claire, prise en charge par un ensemble de structures connect�es en un r�seau op�rationnel et solidaire, plut�t que de voir chacun tirer la couverture � lui, dans son seul int�r�t. Une politique inspirant une gouvernance d�mocratique et efficace, n’excluant personne et sachant tirer, de chaque membre de la communaut� athl�tique, le meilleur de lui-m�me ; tout en d�courageant l’esprit de clan et de coterie, la culture du complot permanent, le d�faitisme et le travail de sape ne menant qu’au d�couragement et � la d�mobilisation. Une gouvernance qui redonne aux hommes de terrain toute leur importance et aux techniciens ce qui leur revient l�gitimement, pour mener � bien, unis et solidaires, leurs programmes, aux effets compl�mentaires, et donner une assise forte au syst�me national de d�veloppement athl�tique, � promouvoir au cours du prochain mandat. Un syst�me reposant sur les structures et pratiques athl�tiques �ducatives de masse, au sein de l’�cole et de la commune, liant cette assise fondamentale au niveau de pratique nationale et au haut niveau par un syst�me de d�tection et de perfectionnement des jeunes talents athl�tiques dont l’�cole communale d’athl�tisme, le lyc�e sportif r�gional et plus haut le lyc�e sportif national, devraient constituer la charpente essentielle.
Pour un plan national de d�veloppement

Les volumineux rapports pr�par�s par les techniciens fourmillent de donn�es, d’appr�ciations et surtout de recommandations, qui seront utiles pour qui veut �laborer cet indispensable plan de d�veloppement de l’athl�tisme alg�rien qui manque tant � la discipline. Cela donnera du corps au syst�me dont une grande partie existe d�j� et pourrait s’articuler autour de quatre grands axes : les structures de d�veloppement de la pratique athl�tique, les actions de formation et de recherche et enfin les moyens de toutes natures permettant de mener � bien plans et programmes de d�veloppement. Ce plan fixera les objectifs quantitatifs – (comment sortir de cet effectif insignifiant de 15.000 de licenci�s, pour imprimer un rythme plus soutenu � la croissance de la pratique, notamment au niveau de l’�cole, fondement de tout d�veloppement) – et qualitatifs ( visant l’�l�vation progressive du niveau g�n�ral de performance, la densification du syst�me des jeunes talents athl�tiques ainsi que celui du haut niveau.), mais aussi les normes et les indicateurs devant baliser l’�volution de la pratique athl�tique.
Avoir des id�es, c’est bien, mais avoir les moyens de les mettre en œuvre, c’est mieux !
Il va sans dire que ce plan n’aura de valeur que dans la mesure o� les moyens n�cessaires � sa r�alisation auront �t� fournis par l’Etat, non pas Etat-Providence - nous ne nous trompons pas d’�poque - mais r�gulateur et soucieux de l’usage �quilibr� des ressources, en fonction des besoins r�els de l’athl�tisme national et de ses ambitions, en tant qu’Etat, gestionnaire de sa propre notori�t� et de son image ext�rieure. Nous savons d�j�, par exp�rience, que les plans d’ajustement structurels, plus ou moins n�goci�s avec le FMI, sacrifient sur l’autel de la comp�titivit�, tout ce qui concerne l’�ducation, la culture et la sant� des populations, et qu’il sera difficile de trouver les solutions ad�quates, qui feront de l’Etat, le premier sponsor de l’athl�tisme alg�rien. Toutefois, il faut laisser le temps au temps, comme on dit, afin que se mettent en place de nouvelles sources et de nouveaux m�canismes de financement du d�veloppement sportif, de mani�re g�n�rale, et athl�tique, de mani�re particuli�re.
La force de la volont� politique
Faut-il rappeler que l’Etat a d�j� d�montr�, avec le football notamment, que lorsque la volont� politique se manifeste et va au bout de sa logique, des mesures exceptionnelles ont �t� trouv�es en Conseil interminist�riel, et commenc�es � �tre mises en œuvre, pour sauver une discipline en perdition. Et lorsque la volont� politique s’exprime, les tabous s’effondrent, les r�sistances c�dent et les moyens financiers, qui existent � sati�t� actuellement, sont vite mobilis�s pour la bonne cause. Comment cette m�me volont� politique h�siterait-elle � se manifester pour l’athl�tisme, consid�r�e, � juste titre, titres mondiaux et m�dailles olympiques � l’appui, comme la discipline sportive la plus repr�sentative au plan international, ne serait-ce qu’au regard des objectifs susceptibles d’�tre assign�s � la “diplomatie sportive” par le pr�sident de la R�publique. Faute de quoi, point n’est besoin de demander aux dirigeants, entra�neurs et athl�tes de la discipline, plus qu’ils ne peuvent produire, du fait des moyens ridiculement insignifiants qui leur sont actuellement allou�s.
La comp�titivit�, les d�s�quilibres financiers et les risques du dopage

Que peut repr�senter en effet une subvention de 50.000 DA, attribu�e � un club, et encore mieux � une ligue, en comparaison des frais r�els de d�placement, d’h�bergement et de restauration, m�me � la gargote du coin, occasionn�s par la participation � une comp�tition r�gionale ou nationale. De plus, si l’on veut �tablir des comparaisons encore plus parlantes, et mettre le doigt sur les d�s�quilibres caus�s par la haute marchandisation du sport, que repr�sente cette somme compar�e � la prime de signature vers�e � un joueur, tout juste moyen, de football, �voluant en division nationale ? Mieux, que repr�sente la somme allou�e � un athl�te du haut niveau pour sa pr�paration annuelle, au regard de la prime � la signature (plus de deux milliards de centimes) que vient de d�crocher un joueur de football, pas m�me s�lectionn� en �quipe nationale. Ali Fergani dira que c’est la cons�quence de la surench�re fr�n�tique � laquelle se livrent les dirigeants du football ; d’autres penseront que c’est le r�sultat de la marchandisation sans limites de tous les produits sportifs. Le sport est ainsi, bel et bien gangren� jusqu’� la moelle, et dans toutes ses dimensions, par la marchandisation effr�n�e dont il victime ; marchandisation qui condamne les sportifs � mettre en danger, leur sant� physique et mentale, et � la limite, leur vie, par l’usage de multiples drogues. Cet ensemble de consid�rations mettant en �vidence dysfonctionnements et d�s�quilibres qui affectent l’ensemble des disciplines sportives et pas seulement l’athl�tisme, plaide pour une r�forme sportive qui prendrait naturellement sa place dans le cadre des grandes r�formes envisag�es par le pouvoir. Et, pour l’athl�tisme, une r�forme que l’on a d�j� appel�e refondation, dont le plan de mise en œuvre va exiger des cadres entra�neurs et athl�tes, une prise de conscience aigu� de la communaut� de destin devant animer tous les acteurs de la discipline et une solidarit� � toute �preuve, pour aborder le mandat de la v�rit�. Au cours de ce mandat, pour stimuler le renouveau et le d�veloppement de sa diplomatie sportive, l’Etat devra apprendre � devenir, le sponsor major de l’athl�tisme alg�rien.

S.M.B.

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