Panorama : PARLONS-EN
Au nom du diable et du bon Dieu


Par Malika BOUSSOUF
malikaboussouf@yahoo.fr

Au lieu de s’astreindre � ne dire que la bonne parole et � ne d�fendre que les valeurs humaines, beaucoup de maisons de Dieu, comme on d�signe couramment les mosqu�es, ont d�montr�, au cours de ces quinze derni�res ann�es, qu’elles pouvaient �tre l�, non seulement pour canaliser les �nergies n�gatives, mais aussi, fait gravissime, pour s’approprier le d�sespoir des autres et r�orienter les d�ceptions accumul�es vers des univers chaotiques comme celui des maquis terroristes, par exemple.
Dans une soci�t� comme la n�tre o� le d�sœuvrement le dispute � la violence et o� chacun, � d�faut de se chercher une occupation ou m�me un travail temporaire, tout en sachant que ces derniers ne sont pas simples � d�crocher, des hommes sans r�ves et sans avenir, pour beaucoup d’entre eux, ont d�cid� un jour, dans la nuit du 13 au 14 juillet 2001, de passer � l’acte et se sont laiss�s aller � satisfaire une bestialit� qui en dit long sur la mis�re mentale dont ils sont les path�tiques prisonniers. Ces derniers mots ne sont pas destin�s � excuser les animaux dont nous allons parler, au contraire. Des monstres �gar�s dans la nature mais qui viennent d’en prendre pour vingt ans par contumace pour avoir troqu�, l’espace d’une nuit sans fin, leur passe-temps quotidien contre une exp�dition punitive d’une sauvagerie sans �gale. L’occasion inesp�r�e de s’adonner gratuitement, librement et dans l’impunit� la plus totale au plaisir de la chair n’�tait pas pour leur d�plaire. Entre les gourbis qui leur servent de toits, les g�niteurs d�missionnaires qui font office de parents et la mosqu�e qui leur sert d’exutoire, les choses sont vite tranch�es et le choix du refuge aussit�t fait par les d�linquants. Ainsi, quand au cours d’un pr�che l’imam de la localit� appelle au crime et prononce une s�v�re fatwa contre des femmes d�munies et sans d�fense mais qui ne r�pugnent pas, elles, � trimer pour nourrir leur famille, des ignorants qui fr�quentent le lieu sacr� comme on s’attable au caf� du coin pensent, peut-�tre de bonne foi, que c’est Dieu qui s’adresse � ses ouailles, par l’entremise du charlatan, fonctionnaire officiel des Affaires religieuses. Avec la b�n�diction de l’homme de culte qui les y invite, arguments � l’appui, ils d�cident de jouer les va-t-en-guerre et partent en chasse, � l’assaut de lieux sordides o� s’entassent de “maudites p�cheresses”, vou�es au bannissement puis d�sign�es � la vindicte populaire comme, la raison est vite trouv�e, celles qui jettent l’opprobre sur la cit� et qui ne seraient, par cons�quent, pas �trang�res aux malheurs qui s’abattent sur ses occupants. Le plus �cœurant dans l’affaire, c’est que les propos d�moniaques de l’imam tombent � pic. La b�n�diction obtenue, les “brebis �gar�es”, aux arri�re-pens�es lubriques renforc�es par des convictions aussi enfi�vr�es que celles de leur mentor, s’empressent d’aller commettre l’inqualifiable. Ces hommes courageux prennent, bien s�r, la pr�caution de s’�quiper d’armes blanches pour nettoyer un immense bidonville souill� par les pr�tendues femmes d�prav�es. La nature �tant ce qu’elle est, nos vaillants r�dempteurs, une fois sur les lieux de “d�bauche”, oublient la mission dont ils s’�taient auparavant pr�valus, rel�guent � l’arri�re-plan l’acte de salubrit� public et s’en prennent, de fa�on innommable, et aux malheureuses m�res de famille et � leurs innocentes jeunes filles, devenues, comme dans un mauvais r�ve, la proie de fous furieux, d’une horde sauvage, que rien ne semblait plus pouvoir arr�ter. Le cauchemar �tait bel et bien r�el. Ils �taient environ quatre cents, �g�s entre 20 et 25 ans, cens�s venus purifier les quartiers d’El-Haicha, de Bouamama, de Toumiat, en plein centre-ville de Hassi Messaoud avant de, tent�s cette fois par le diable, changer d’avis et orchestrer cette gigantesque orgie au nom d’Allah ! Leur propre mis�re sexuelle appara�t brusquement au grand jour et il n’y a de place d�sormais qu’au viol collectif, � la torture, au saccage, au vol et � la cruaut� tant il est vrai que lorsque l’on ne sait plus trop quoi faire de sa vie, s’en prendre � plus faible que soi, � des �tres sans d�fense, peut donner, au moins le temps de l’agression, l’illusion d’exister, le sentiment d’�tre invincible. C’est alors que 39 femmes sont sauvagement viol�es, gri�vement bless�es et parfois enterr�es vivantes. 15 d’entre elles �chappent � une mort certaine, apr�s un calvaire qui aura dur� huit longues heures. Huit longues heures au cours desquelles les voisins ont choisi de faire la sourde oreille et n’auront, �videmment, rien entendu. L’espace d’une longue et terrible nuit, des voyous s’imposent comme les seigneurs de la cit�, s’improvisent en minables gardiens de la morale et r�gnent sur les favelas. Leur barbare mission prend fin d�s l’appel du muzzin � la pri�re du fedjr. Une fois le forfait accompli, ils contraignent � l’exil celles qui, en plus de r�veiller en eux des fantasmes jusque-l� inavou�s, leur enlevaient le pain de la bouche en occupant des emplois qui auraient d� leur revenir. La cruaut� fut proportionnelle � la frustration. L’objet de la haine s’est transform� en objet de d�sir. La nature de l’exp�dition avait, il faut le dire, de quoi d�contenancer tellement les arguments qui ont pr�valu au viol collectif nous semblent lointains, enfouis dans le secret des maquis terroristes. Et c’est l� que l’on r�alise brutalement que le discours haineux et pervers de l’ex-FIS fait toujours recette quand il ne fascine pas encore quelques abrutis. Le samedi 15 juin 2002, une ann�e apr�s le massacre, la cour criminelle de Ouargla si�ge durant pr�s de vingt-quatre heures. Une consœur du Soir d’Alg�rie, seule pr�sente � l’�poque sur les lieux, avait qualifi� le verdict prononc�, par cette cour, comme celui de la honte. Et pour cause ! Beaucoup des agresseurs avaient �t� relax�s et peu d’entre eux avaient �cop� de peines tellement l�g�res ! On venait d’�vacuer cela comme un fait divers parce que seules 8 plaignantes sur 39 avaient tenu le coup et s’�taient pr�sent�es au tribunal. Les autres avaient c�d� au chantage. Elles avaient re�u des menaces de mort � la suite de quoi elles ont pr�tendu avoir perdu la m�moire et ont abandonn� les charges avant de dispara�tre du bidonville pour tenter d’oublier, de se refaire une vie. Les associations f�minines qui avaient au lendemain du massacre accouru pour pr�ter main-forte aux victimes ont oubli�, le jour du proc�s, de se rendre sur place � Ouargla o� m�me les correspondants locaux n’avaient, d’ailleurs, pas jug� utile de se d�placer. Pourtant, le procureur g�n�ral s’�tait avou� d��u. Il n’�tait pas satisfait du verdict. Il �tait d��u et il l’avait clairement exprim� : “Les peines prononc�es par la cour ne sont pas � la mesure des faits gravissimes retenus contre les 38 inculp�s.” 2 en avaient pris pour 3 ans, 16 pour une ann�e, 1 pour 6 mois et 10 avaient �t� relax�s. Ils venaient de s’en sortir � bon compte sous le regard d�sesp�r� de leurs victimes qui, du coup, s’�taient mises � craindre le pire pour leur avenir. On parlait d�j� de repr�sailles et disait m�me qu’elles n’allaient pas tarder � s’abattre sur celles qui avaient os� porter plainte. Et comme si cela ne suffisait pas � leur d�sarroi, un journaliste plut�t bienveillant � l’�gard des criminels avait, lui aussi, d�cid� qu’il s’agissait de prostitu�es et enfonc� le clou transformant les victimes en accus�es, les plongeant ainsi dans une situation encore plus inconfortable. Dr�le de journaliste qui proc�de par d�duction et affirme au nom de principes qui lui sont propres que l’on ne peut s’attaquer � quelqu’un sans qu’il soit obligatoirement coupable. Et si on l’avait fait de surcro�t � des femmes c’est qu’il y avait une raison imp�rieuse : la prostitution. Un niveau de r�flexion aussi bas, en fait, que celui des voyous qu’il choisissait d’absoudre en qualifiant leurs victimes de femmes de mauvaise vie. Il ne s’agissait pourtant pas de s’apitoyer sur le sort de celles-ci mais juste de rapporter les faits tels qu’ils s’�taient d�roul�s. Sur 400 individus qui avaient pris d’assaut les sordides quartiers de Hassi Messaoud, seuls 38 sont arr�t�s. Et si elles n’�taient plus que 3 � venir t�moigner � Biskra, trois ans apr�s, c’est qu’il y avait une raison valable. L’Etat ne les a pas prot�g�es. Il n’a pas encourag� leur t�moignage, ne les a pas arrach�es � leur enfer, n’a tenu ni sa promesse de les reloger ni celle de leur trouver du travail comme il n’avait pas s�vi � temps pour ne pas faire de vagues. La preuve de la complaisance des autorit�s locales ? Ils n’�taient plus que 6 maniaques sexuels sur 44 � compara�tre de nouveau devant la cour de Biskra. Va-t-on nous faire avaler qu’ils se sont tous envol�s comme par enchantement ou qu’ils ont tous �migr� en Su�de ? Tr�ve de plaisanterie et que l’on n’ose surtout pas nous parler encore d’Etat de droit ! M. B.

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