Panorama : A FONDS PERDUS
Qui peut le plus peut le moins


Par Ammar Belhimer
La s�v�rit� des sanctions r�cemment requises par le minist�re public � l’endroit des titres soup�onn�s d’�crits diffamatoires d�tonne par son caract�re in�dit. Jamais pareilles mesures n’avaient �t� envisag�es par le pass�.
Le parquet ne r�clame pas moins que la suspension du Soir d’Alg�rie dans une affaire l’opposant � une banque publique, en l’occurrence la BDL, dont l’image de marque pourrait se trouver entach�e du fait d’un de ses �crits suppos� diffamatoire. Ce faisant, il s’adonne non plus � sa requ�te habituelle d’une stricte observation des lois p�nales (tatbik al kanoun) mais � la mise en œuvre d’une “politique p�nale”, voire d’une politique de l’information, ce qui n’est pas de son ressort. Une lecture attentive des dispositions de la loi 90-07 du 3 avril 1990 relative � l’information, qui constitue l’acte fondateur de la libert� d’expression dans notre pays, ne pr�voit la suspension � temps ou d�finitive d’un titre ou d’un organe que dans quatre cas pr�cis dont aucun ne renvoie � la diffamation. Il s’agit en effet des infractions � l’article 14 (la d�claration pr�alable obligatoire), � l’article 18 (la justification et la d�claration d’origine des fonds constituant le capital social ou n�cessaires � la gestion), l’article 19 (la ou les pi�ces constitutives de la d�claration) et l’article 22 (les conditions requises d’un directeur de publication). C’est donc tout naturellement que ni le minist�re public, ni aucune partie plaignante n’ont � ce jour et � notre connaissance requis de sanction ou de r�paration de cette nature. Les seules suspensions � temps de titres de presse (il s’agit ici de cas l�galement fond�s au strict plan de la forme) datent du 15 ao�t 1992. Elles ont touch� les quotidiens La Nation, Le Matin et El Djaza�r El Youm. La mesure a �t� prise par arr�t� du ministre de l’Int�rieur et des Collectivit�s locales, feu Mohamed Hardi, en vertu du d�cret pr�sidentiel 92-44 du 9 f�vrier 1992 compl�t�, portant instauration de l’�tat de si�ge ; elle a �t� publi�e au Journal officiel. La lev�e de la suspension de la parution des trois titres a suivi les m�mes formes. Il y a l� une d�marche qu’on peut applaudir ou d�noncer, mais elle a le courage d’emprunter la voie l�gale d’un formalisme digne de respect. Ce rappel serait sans signification s’il venait d’un nostalgique du gouvernement Abdesselam. Comme cela est loin, tr�s loin, d’�tre le cas, il incite � mesurer l’ampleur de la r�gression enregistr�e en mati�re de libert�s. L’ordre public dont pourrait se r�clamer le parquet ne peut alors avoir qu’une connotation r�pressive, alors que son r�le bien compris du moment consiste, bien au contraire, � pr�server l’ordre public d�mocratique certes virtuel mais n�anmoins fortement souhait�. Par opposition aux int�r�ts particuliers qui peuvent exceptionnellement et accidentellement pr�valoir, l’ordre mat�riel traditionnellement rattach� au triptyque “s�ret�, s�curit�, salubrit�” n’autorise de restrictions � la libert� de l’information que si elles sont pr�vues par la loi, visent un but l�gitime et pr�sentent un caract�re de n�cessit� dans une soci�t� d�mocratique. On reprochera vivement et doublement � la presse de semer l’amalgame entre une r�quisition du parquet et une d�cision de justice : primo, cela conforte aux yeux d’une opinion, d�j� d�sabus�e, le pr�jug� que nos magistrats sont juge et partie abstraction faite de la place qui revient distinctement � chacun pour dire le droit ; secundo, elle fait peu cas de ce que les tribunaux sont en contact direct avec les r�alit�s sociales et n’ob�issent pas toujours au doigt et � l’œil aux r�quisitions du parquet. La mouvance qui affecte l’ordre public incite forc�ment les tribunaux � l’adapter “aux besoins de l’�poque et aux situations particuli�res”. Cette mouvance tient � des lames de fond. En acc�dant � l’�conomie de march�, notre pays consent, du m�me coup, � acc�der aux rigueurs de la bonne gouvernance qui assoit peu � peu son retour sur la sc�ne internationale et aupr�s des institutions financi�res internationales dont il a r�clam� conseils et assistance il y a dix ans. Or, comment esp�rer la r�ussite d'un programme de r�forme cr�dible et durable sans un ordre public d�mocratique, c’est-�-dire sans un environnement politique, judiciaire et social de transparence ? Les liens empiriques entre les libert�s publiques, d'une part, et les performances r�alis�es par les projets d'investissement, d'autre part, mettent en exergue une relation empirique forte et positive entre l'existence d'institutions d�mocratiques et les performances de ces m�mes projets. L'obligation, pour un gouvernement, de respecter des crit�res minima de transparence et de libert� traduit, in fine, sa volont� � adopter des politiques publiques efficaces et � cr�er un environnement favorable � la croissance et l'investissement, qu'il soit d'origine priv�e ou publique, locale ou �trang�re. Dans cette qu�te de transparence et d’exercice des libert�s, les m�dias jouent un r�le essentiel, en reproduisant le d�bat des acteurs sociaux et politiques. On r�torquera qu’� l’instar de tout autre justiciable, ils ne sont pas au-dessus des lois. Les �diteurs des grands m�dias n'ont pas tout pouvoir : ils doivent composer avec des journalistes et surtout avec des lecteurs qui ont aussi leur appr�ciation de la r�alit�. Une information trop d�cal�e avec leur v�cu quotidien est vite rejet�e. Sinon, comment expliquer la victoire du FIS en 1991, compte tenu de la ma�trise de l'information par le pouvoir en place de l'�poque. L’ordre public d�mocratique dont il est question associe des individus dont l’aspiration � devenir ma�tres de leur destin s'accro�t avec l'�l�vation du niveau de formation et de culture d�mocratique. Les partisans de la “nouvelle �conomie de guerre” qui ne dit pas son nom s’attellent � d�manteler les r�gles h�rit�es de 1988 en r�tablissant, par voie r�glementaire, voire autoritaire, le contr�le de l’administration sur les institutions. Pour les concepteurs de la transition et des r�formes m�canistes, le changement peut s’accommoder de l’affaiblissement des appareils d’Etat pour peu qu’un semblant d’autorit� soit maintenu en fa�ade, m�me si cette autorit� est � court de base sociale. Le discours politique qui sous-tend cette “reprise en main” est d’apparence attractif : un pays jeune, confront� � la violence arm�e, d�muni de traditions politiques d�mocratiques et assis sur une �conomie � la d�rive, ne peut se payer le luxe d’une autorit� mon�taire ind�pendante, de contre-pouvoirs et d’espaces d’association et d’expression �chappant au contr�le du Centre. Le harc�lement judiciaire et autre auquel se trouvent confront�s les titres de presse traduit bien cette conviction, parfois sinc�re mais toujours condamnable. Il pose la lancinante question des possibilit�s et modalit�s de survie des titres de presse ind�pendante h�rit�s de la r�cente et br�ve parenth�se d�mocratique. La bureaucratie est beaucoup plus ravageuse lorsqu’elle n’a pas de construction juridique � combattre, ce qui n’est heureusement pas encore tout � fait le cas. Nous subissons une autorit� qui ne fait que geler et organiser les dissensions. Cons�quence : les moyens du red�ploiement tant esp�r� sont bloqu�s et cela co�te de l’argent. Nombre d’�diteurs sont tent�s de faire le dos rond, de se taire, de “laisser passer l’orage” dans l’espoir de lendemains meilleurs en se disant que l’essentiel est de durer. Pourquoi pas ? La moiti� de ce qui se dit dans une conversation de cinq minutes est oubli� dans les huit heures et 90% dans les trois jours qui suivent. C’est exactement le temps qu’il faut pour parcourir un quotidien moyen. A. B.

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