Panorama : LES MOTS DU JEUDI
Quo vadis ?


Par Ma�mar FARAH http://farahblog.ift.cx
La presse �crite alg�rienne n’�chappe pas aux retomb�es de la crise g�n�rale qui frappe de plein fouet les journaux des cinq continents. Aux causes externes connues et qui n’�pargnent aucun titre, s’ajoutent des causes internes qui vont de la perte de cr�dibilit� aux harc�lements judiciaires dont la multiplication inqui�te professionnels et militants des droits de l’homme.
N�e il y a une quinzaine d’ann�es dans la foul�e des avanc�es d�mocratiques arrach�es par le soul�vement du 5 octobre 1988, cette presse a v�cu une histoire mouvement�e, marqu�e notamment par l’acharnement des terroristes qui tu�rent pas moins de cent journalistes appartenant aux secteurs public et priv�. Saign�e par la terreur islamiste, elle sera �galement au centre d’une terrible pression exerc�e par un pouvoir politique souvent aux abois. Les rapports entre les gouvernants et la presse ind�pendante n’ont jamais �t� cordiaux et s’ils ont connu des p�riodes de calme relatif, ils furent souvent tr�s tendus, avec pour toile de fond les terribles luttes de clans qui modelaient les pouvoirs successifs de cette longue parenth�se de sang et de larmes que fut la d�cennie 90. En fait, devant la faillite de nombreuses institutions de l’Etat et la banqueroute des formations politiques, la presse s’est retrouv�e, malgr� elle, dans une position qui n’�tait pas au d�part la sienne et qui ne correspondait ni � son statut, ni � ses ambitions, et qu’elle n’avait pas, de toutes les mani�res, les moyens d’accomplir correctement. Dans une situation id�ale, la presse peut devenir ce quatri�me pouvoir tant controvers�, mais elle ne peut en aucune mani�re remplacer le pouvoir ou jouer le r�le d’institution politique. Ceci �tant, l’histoire retiendra que la presse a essay� de toutes ses forces de r�sister au terrorisme et, � travers lui, au projet politique qui promettait d’envoyer notre r�publique — par le truchement d’un tour de passe-passe sous forme d’�lection suicidaire — aux �res obscures de la barbarie. Ce r�le, inattendu et exceptionnel, a peut-�tre cr�� des habitudes et des r�flexes dont il est difficile de se d�partir � l’heure de la �normalisation� de la vie politique. Ainsi, le journaliste qui a �t� aux premi�res lignes de la d�fense de la r�publique et de la d�mocratie admettra difficilement de rentrer dans les rangs pour se satisfaire d�sormais du simple r�le de communicateur, s’�loignant de l’opposition politique qui est la mission naturelle des partis… d’opposition ! Une g�n�ration enti�re de r�dacteurs, ayant donn� le meilleur d’euxm�mes et sacrifi� leur jeunesse � la d�fense des valeurs r�publicaines, a du mal � retrouver ses rep�res et revenir aux formes traditionnelles du journalisme, telles qu’elles sont universellement connues. La confusion des genres fera d�railler pas mal de projets journalistiques. S'�cartant de leurs pr�rogatives, certains, se croyant porteurs de desseins politiques, croiseront le fer entre eux, via les colonnes de quotidiens transform�s en tracts militants ! Pire, la m�galomanie aidant, on ira jusqu’� croire que l’on peut d�mettre les chefs d’Etat ! S’il est permis � quelques rares vedettes de la plume et du crayon, m�lange de g�nie et de talent, de se hasarder dans les surfaces de r�paration d�licates de l’irrespect, l’exercice est p�rilleux pour une majorit� de nouveaux chroniqueurs qui se sont crus capables d’influer sur le cours des �v�nements et qui n’ont r�colt� que camouflet et humiliation ! On ne sort pas indemne d’une telle p�riode trouble. Individuellement et collectivement, les journalistes se retrouvent orphelins d’un projet politique qui agissait comme un stimulant dans une activit� quotidienne marqu�e par la monotonie et le stress. Pourtant, l’activit� journalistique elle-m�me, ce flot ininterrompu de nouvelles joyeuses et tristes qui racontent simplement la vie des hommes de notre �poque, l’enthousiasme de les canaliser, les traiter et les transformer en produits dynamiques et bien faits, sont autant d’actes motivants pour le v�ritable journaliste. Sans compter les in�narrables plaisirs du reportage, la saveur exquise d’un billet, le bonheur de ciseler les mots d’une chronique, la joie de patrouiller les routes nationales en compagnie des cohortes lumineuses et bigarr�es des pelotons cyclistes. Oui, assur�ment, ce m�tier garde encore intacts ses tr�sors, malgr� les changements trop brusques intervenus dans la mani�re de fabriquer les journaux, malgr� la disparition du monde magique du plomb et du � marbre �, malgr� la concurrence des autres moyens de communication… Des tr�sors que seul le vrai journaliste saura d�couvrir. Quant au politique d�guis� en r�dacteur ou � l’agent de la s�curit� militaire dissimul� sous les traits du brave �ditorialiste, ils ne pourront jamais percer le secret des charmes insoup�onnables de notre m�tier. Le journalisme m�ne � tout, � condition d’en sortir, a dit un homme c�l�bre. Evidemment, ceux qui se croient investis de destin�es politiques nationales ou qui se croient capables de sauver le pays, perdent leur temps chez nous. Car, ce serait la pire des pr�tentions que de supposer que les �crits de presse influent r�ellement sur la population, dans un pays o� le seul m�dia en mesure de faire bouger les foules reste la t�l�vision. Si la presse �crite avait ne serait-ce qu’une petite influence sur l’opinion, on n’aurait pas assist� au raz-de-mar�e du candidat Bouteflika qui n’a pas b�n�fici� – faut-il le rappeler ?— du soutien des gros titres (hormis Le Quotidien d’Oran). Cessons de nous prendre pour le nombril du monde. Beaucoup de choses peuvent ne pas aller de paire avec nos convictions profondes. La soci�t� change trop vite par rapport � notre appr�ciation des �v�nements et du monde qui nous entoure. Il nous faut sans cesse revenir au peuple et nous recycler dans de vrais d�bats populaires, loin des salons philosophiques o� certains ont r�ellement cru, un soir du printemps 2003, que le peuple d’Alger allait descendre en masse dans la rue pour d�noncer une �fraude �lectorale� qu’ils �taient les seuls � d�noncer ! Moralit� de l’histoire : la place du 1er-Mai se trouve bien dans la capitale alg�rienne et non � Tbilissi ! C’est le peuple qui vote et choisit ses �lus � tous les niveaux et que cela nous plaise ou non, il faut que nous acceptions la r�gle du jeu. Il n’y a pas de d�mocratie parfaite, mais l’honn�tet� intellectuelle exige que chacun de nous fasse son autocritique et cesse de ressasser les m�mes mots porteurs de ressentiment et de haine. Ainsi, d�barrass�s de ces vices qui nous ont �loign�s des nobles objectifs de notre m�tier, rejetant d�sormais toute forme de manipulation d’o� qu’elle provienne, unis dans la diversit� d’opinions pour d�fendre la libert� d’expression, nous serons moins vuln�rables. L’�re de la diffamation et de l’insulte gratuite est d�sormais r�volue. Ceci �tant, la t�che d’informer ne saurait se limiter � la simple r�daction m�canique d’informations diverses. Il reste que le projet journalistique est sous-tendu par de nobles objectifs qui varient d’un titre � un autre mais qui ambitionnent globalement de promouvoir le citoyen dans un cadre de libert� et de justice. Ainsi, et � l’abri de toute d�rive �thique, rien ne nous emp�chera de d�noncer l’autoritarisme, les abus et les carences, de combattre le mal, de lutter contre les d�viations, le vol et la corruption, de perp�tuer les valeurs de justice et de libert�, pour que le r�ve, le grand r�ve des martyrs d’hier et d’aujourd’hui continue de guider nos �crits, comme un phare qui ne s’�teint jamais ! Sur un plan plus pratique, redevenus professionnels, nous pourrons nous interroger sur les rem�des � apporter aux probl�mes actuels de la presse : comment stopper l’effritement des lecteurs ? Comment faire face � la concurrence impitoyable des nouveaux moyens de communication qui rendent l’�dition papier totalement d�pass�e dans la course � la vitesse de l’information ? T�l�s th�matiques sp�cialis�es dans l’info imm�diate, Internet, et demain news sur mobiles et m�me dans… les verres de vos lunettes : autant de dangers qui menacent nos titres fabriqu�s selon la bonne vieille recette de Gutenberg ? Comment lutter contre la perte de cr�dibilit� ? Comment �moderniser� le contenu et les formes de nos journaux ? Comment s’adapter aux exigences de notre si�cle faites d’une soif toute nouvelle d’informations sur les nouvelles technologies, les sciences et la conqu�te de l’espace, sans rel�guer les rubriques traditionnelles au rang de faire-valoir ? De quelle mani�re organiser la profession afin que les journalistes de la presse priv�e aient les m�mes droits partout et participent activement � la vie de leurs journaux ? Les d�fis qui nous attendent sont tels que les querelles de clocher dont on nous sert parfois de pi�tres �pisodes paraissent bien d�cal�es, pr�somptueuses et en tout cas totalement improductives au moment o� l’effort de tous doit converger vers le sauvetage de la presse �crite. Cette mission, noble faut-il le rappeler, n’est-elle pas aussi exaltante que les autres ?
M. F.
P.S. : En �crivant ces mots, mes pens�es vont au Matin qui avait trouv� une formule assez moderne pour accompagner la transition. Porte-flambeau des luttes citoyennes et ouvri�res, il �tait parti pour donner une autre lecture des r�formes en s�rie qui vont nous tomber sur la t�te, avec leur lot de privatisations inhumaines… Sorti la t�te haute de la d�cennie rouge, Le Matin n’avait pas besoin de chercher ailleurs la mutation qui allait lui permettre de rester parmi les titres les plus vendus en Alg�rie. Il suffisait qu’il reste fid�le � lui-m�me, � son �me, � la matrice Alg�rie R�publicain qui l’a couv�. Malheureusement, ce titre n’est plus l� pour nous dire ce qu’il pense de l’Alg�rie de f�vrier 2005. Et son directeur est en prison. Oui, rappelons- le pour ceux qui ont tendance � l’oublier…

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