Actualit�s : HOMMAGE
Qui se souvient de Fernand Iveton ?


Le devoir de m�moire rev�t une importance particuli�re pour l’�criture de l’histoire de la guerre de Lib�ration nationale. Cependant, si celle-ci demeure toujours d’une actualit� br�lante, elle proc�de malheureusement de moult surench�res politiciennes. S’il en est, elle est souvent interpell�e pour justifier et l�gitimer certaines �tapes v�cues pr�sentement par le pays.
Il est � craindre que la volont� proclam�e d’�crire �une histoire officielle� de la guerre de Lib�ration – histoire d�j� balis�e et jalonn�e – ne proc�de de cette vision manich�enne. Il est de notre devoir de rendre un vibrant hommage � certains h�ros �oubli�s�, parmi eux, le chahid Fernand Iveton, guillotin� le 11 f�vrier 1957 � la prison de Serkadji. La p�riode de 1954 � 1962 fut dure, terrible, atroce. Elle fut cruelle et douloureuse. Paradoxalement, elle fut militante et fraternelle. Tant d’�tres souffrirent, cependant c’est dans ces moments douloureux que certains Alg�riens et Alg�riennes d’origine europ�enne apprirent � mieux se conna�tre, et qui plus est en ces jours de v�rit� nue. Quarante-trois ann�es apr�s la fin de la guerre d’Alg�rie, l’on h�site encore parfois dans le choix du vocabulaire, afin de ne pas raviver des blessures non cicatris�es. Qui mieux que le sacrifice d’Iveton pourrait symboliser les passerelles empreintes d’humanisme et de justice, jet�es entre les hommes de diff�rents horizons sociaux, raciaux et religieux ? Qu’�voque ce nom pour les jeunes Alg�riens ? La r�ponse est douloureuse et pour cause, l’histoire de ce militant alg�rien de la premi�re heure est pratiquement m�connue des nouvelles g�n�rations de notre pays. La raison est � rechercher du c�t� de la culture de l’oubli, ceci en l’absence de toute r�f�rence au nom de Fernand Iveton sur les �difices publics. Apr�s l’ind�pendance, le p�re de Fernand supplia en vain les autorit�s alg�riennes de donner � son fils ne serait-ce qu’un petit bout de rue. D�sesp�r� d’avoir �chou�, il appela �Villa Fernand� le pavillon qu’il poss�dait en France. H�las quelques ann�es plus tard, on s’est rappel�, � l’occasion du sacrifice de ce Chahid, non pas pour lui rendre hommage et justice en m�me temps, mais pour redorer le blason des autorit�s de l’�poque, mis � mal par un article dans lequel il �tait question de l’ingratitude des autorit�s alg�riennes � l’�gard des martyrs alg�riens d’origine europ�enne, ce faisant, il cite le cas de Fernand Iveton, dont aucune rue, ni institution publique ne porte le nom. Le soir m�me de la publication de cet article les mettant en cause, les autorit�s de l’�poque – parti unique oblige – on instruit la Kasma FLN d’El-Madania (ex-Clos-Salembier), quartier natal de Fernand Iveton, de proc�der � la b�ptisation expresse d’une petite ruelle mesurant � peine 30 m�tres. Heureusement que cette mascarade post-mortem � l’endroit de ce chahid, qu’on ne peut que qualifier d’ubuesque et tragique � la fois, n’alt�re en rien le parcours de cet authentique patriote qui a �t� synonyme de courage, de probit� et de sacrifice, et ce, jusqu’au pied de la guillotine o� il a cri� �tahia El-Djaza�r� en arabe avant d’�tre ex�cut�. En compagnie de deux autres chahids auxquels nous rendons un vibrant hommage, il s’agit en l’occurrence de Med Ounnouri et Ahmed Lakhnache. Avant son ex�cution il a �t� d’abord conduit au greffe de la prison, l� il d�clare : �La vie d’un homme, la mienne, compte peu, ce qui compte, c’est l’Alg�rie, son avenir, et l’Alg�rie sera libre demain.� Le chahid Didouche Mourad qui �tait son voisin de quartier (La Redoute/Clos-Salembier) disait de lui : �S’il y avait beaucoup de gens comme lui, cela aurait chang� bien des choses�. Son avocat Charles Lainne a �t� frapp� par l’attitude d’Iveton lors de son ex�cution. Il disait : �Il avait l’attitude d’un homme droit en faisant preuve d’une constance et d’un courage admirable.� Il avait ressenti la condamnation � mort l’ex�cution d’Iveton comme une grosse injustice et un d�shonneur pour la France. Fernand Meissonnier son bourreau disait de lui �celui-l� fut un condamn� � mort mod�le, droit, impeccable, courageux jusqu’au couperet�. L’enfant de Clos-Salembier a �t� tr�s sensible � la mis�re qui frappait la population musulmane de son quartier. Il a d’abord commenc� � militer dans la cellule de la jeunesse communiste de la redoute, Salembier, ensuite apr�s le d�clenchement de la r�volution sa d�marche �tait celle d’un homme qui n’�tait ni un id�ologue ni un aventurier, pas de rupture dramatique mais un glissement progressif vers les combattants du FLN, r�unions clandestines, asile offert � des militants recherch�s et, au fil des mois, une interrogation lancinante : �Que fait le parti ?�. Iveton est de ceux qui souhaitent un total engagement. Il s’enr�le dans les Combattants de la lib�ration (C.D.L.), structure clandestine arm�e cr��e par le Parti communiste alg�rien en juin 1956, mais son groupe ne lui propose que des actions d�risoires tandis que son ami d’enfance et voisin Henri Maillot, officier d�serteur, tombe au combat. Iveton s’impatiente, l’absorption des CDL par le FLN va lui ouvrir les voies de l’action. Il accepte de poser � l’usine � gaz de Ruisseau une seule bombe au lieu des deux que lui ram�ne Jacqueline Guerouj, et ce, faute de place dans son sac de travail. Lors de son arrestation et en d�pit des tortures atroces qu’il avait subies, et pour permettre � la deuxi�me bombe que transportait Jacqueline d’exploser, il a pu orienter les enqu�teurs sur une fausse piste, en parlant de la fameuse femme blonde, conduisant une 2 cv, alors que Jacqueline avait les cheveux noirs et �tait au volant d’une voiture Dyna (Panhard). Cette r�sistance a permis de retarder l’arrestation de Jacqueline et les autres. A travers cette description, on a longtemps cru qu’il s’agissait de Raymonde Peschard, la fille de Saint- Eug�ne morte aux maquis quelques mois apr�s en wilaya III (une autre chahida � qui nous devrons rendre hommage). A ce chahid qui a su vivre et mourir pour son id�al avec tant de simplicit� et de grandeur nous lui devons bien un hommage � la hauteur de son sacrifice, qui le sortira de la nuit de l’oubli o� il a �t� longtemps confin� par l’histoire officielle. Une initiative qu’il y a lieu de sacraliser et d’�tendre � d’autres victimes de la culture de l’oubli, car elles ont tant souffert pour faire sortir le peuple alg�rien des t�n�bres dans lesquelles il a �t� tr�s longtemps confin� par le syst�me colonial. En rendant hommage � ces h�ros, nous contribuons � renforcer davantage les valeurs de fraternit�, d’humanisme, de tol�rance et de libert� dans l’Alg�rie d’aujourd’hui. Dieu sait qu’on en a grandement besoin pour se comprendre et se respecter.
Merzak Chertouk



Source de cet article :
http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2005/02/17/article.php?sid=19425&cid=2