Actualités : SAHARA OCCIDENTAL
Oum-Laghta, un «coin» du mur de la honte


Le peuple sahraoui le nomme Errabt, il symbolise à lui seul trente années d’occupation marocaine. Véritable barrière infranchissable, le mur défensif marocain, qui divise en deux le territoire du Sahara Occidental, passe par Oum-Laghta, zone désertique située à l’est des territoires libérés par le Front Polisario. Deux cents militants étrangers de la cause sahraouie ont choisi de s’y rendre, dimanche dernier, pour manifester devant le mur de la honte.

No man’s land quasi inaccessible, la région frontalière entre l’Algérie et les territoires libérés semble moins hostile en cette matinée dominicale. Une pluie fine et glacée tombe par intermittence, la promesse d’une hamada verdoyante pour le printemps prochain. Les animaux pourront y paîtrent durant les quelques semaines qui précéderont les grandes chaleurs. Les 22 véhicules tout-terrains des techrifets — le service du protocole du gouvernement du Front Polisario — transportent à leur bord les deux cents sympathisants étrangers de la cause sahraouie. Partis des camps de réfugiés de Rabouni et de Aouserd, les 4x4 nippons avalent à vive allure les 100 kilomètres qui mènent à Oum-Laghta. Ici, pas de routes : le désert est une immense voie rapide. Aucun panneau de direction, les chauffeurs sahraouis ne se fient qu’à leur instinct de nomades. Une sorte de GPS inné qui se transmet de génération en génération. Après plusieurs heures de piste, Oum-Laghta paraît enfin. L’autre nom de cette région est El-Ricone, le coin en espagnol, car c’est en ce point précis que le mur défensif forme un coude pour s’enfoncer plus profondément vers le sud-ouest. Quatorze années de cessez-lefeu n’ont pas effacé les stigmates du conflit. Des kilomètres alentour, la zone est truffée d’obus et de missiles n’ayant pas explosé. Ces engins de la mort, qui jalonnent les pistes creusées par les tout-terrains, sont justes entourés de pierres peintes en rouge afin qu’ils puissent être visibles. A condition, bien sûr, d’éviter de rouler de nuit et les jours de vents de sable. Le mur défensif ne paraît pas du premier coup d’œil. Le temps aidant, il a réussi à se fondre dans ce paysage lunaire, fait de sable et de pierres noires. Engourdis par le froid et les kilomètres de pistes, les manifestants s’efforcent de déployer les banderoles pour le sit-in. On y lit des appels pour l’indépendance du Sahara Occidental mais aussi les éternels slogans pour la paix dans le monde. Les Italiens, plus nombreux et plus excités, forment un groupe compact et se dirigent droit vers le mur. Le représentant du Polisario en Italie tente de les arrêter. «La zone est minée. Surtout restez groupés derrière les organisateurs, le danger est réel», crie-til à en perdre la voix. Le groupe d’imprudents stoppe net. Les organisateurs sahraouis prennent toutes les précautions pour éviter un drame. Au fait, où est la Minurso ? «Nous avons prévenu les observateurs de la tenue de cette manifestation mais ils sont absents. La sécurisation du site fait partie de leurs prérogatives», explique un responsable sahraoui. «L’armée marocaine a placé une multitude d’engins explosifs bien avant les fils barbelés qui sont censés délimiter le début du champ de mines. C’est pour cela que cette zone est dangereuse», ajoute-til. Pourtant, certains accompagnateurs sahraouis n’hésitent pas à s’approcher du mur. A portée de fusil, l’un d’eux zoome sur des soldats marocains avec sa caméra numérique. «Nous avons de la chance de pouvoir les filmer aujourd’hui. D’habitude, ils évitent de se montrer lorsque des étrangers manifestent». De leur côté, les manifestants forment une ronde et lisent à haute voix une déclaration solennelle pour la destruction du mur défensif. Puis ils entonnent une série de chants pour la paix.

Guerre d’usure

Amusé par cette ambiance bon enfant, Toualou Ali Brahim sirote son thé à même le sol. L’ancien combattant se remémore les années passées à combattre les Marocains à El- Ricone. «J’ai fait mes services dans les unités de la seconde région militaire. Nos positions se situaient à quelques mètres d’ici», explique-t-il en désignant une colline de rocailles. «Lorsque l’armée marocaine a décidé de construire ce rempart, le commandement sahraoui a dû changer de tactique en appliquant une guerre d’usure. Nous ne laissions aucun répit aux soldats marocains qui restaient terrés derrière le mur. Il suffisait que nous tirions une balle pour qu’ils ripostent en vidant leurs chargeurs. On fabriquait des épouvantails à l’effigie de leur roi, et eux passaient toute la journée à tirer dessus. La nuit et le début d’après-midi, lorsque la chaleur était insupportable, étaient les moments propices pour ces opérations. Nombre d’entre eux sont devenus fous. En captant leurs émissions radio, on les entendait se plaindre à leurs supérieurs.» Toualou Ali Brahim se souvient également des missions commandos menées par l’armée sahraouie. «De petites unités parvenaient à traverser le mur pour prendre l’ennemi à revers. Une fois alors que les forces marocaines stationnées au niveau du mur attendaient des renforts venus de l’intérieur, nos combattants ont réussi à s’infiltrer entre les deux positions et à les attaquer au même moment. En se retirant, ils avaient réussi à créer une confusion telle que les Marocains ne s’étaient pas rendu compte qu’ils se livraient bataille entre eux», raconte Ali Brahim. Cependant, il ne peut s’empêcher de penser à ses compagnons d’armes morts au combat. A Slougiat-Laouedj, deuxième halte de ce périple, les forces sahraouies ont perdu près d’une quarantaine de soldats. «Ces hommes valeureux sont morts lors de pilonnages de l’armée marocaine. Ils utilisaient des canons de 155 mm d’une portée de 36 kilomètres», précise un autre combattant. Sorte de Tassili des N’adjers miniature avec ses gravures rupestres, le site de Slougiat- Laouedj a été choisi par les organisateurs pour marquer une pause-déjeuner. Les Sahraouis veulent aussi montrer à leurs hôtes que leur pays recèle aussi de fortes potentialités touristiques. Autant dire que certains étrangers se sont effectivement comportés en touristes, amassant des pierres, gravées voilà plusieurs dizaines de milliers d’années par des hommes du néolithique. La pause terminée, les organisateurs décident de reprendre le chemin du retour.

Huit observateurs pour 14 000 kilomètres carrés

A ce moment précis sortent de nulle part deux rutilants 4x4. La Minurso arrive enfin. Quatre militaires — un Pakistanais, un Français, un Italien et un Hondurien — sont immédiatement assaillis par les manifestants étrangers. Tous veulent en savoir plus sur le rôle de cette force d’interposition de l’ONU. Le militaire français, un lieutenant- colonel de l’armée de terre, ne cache pas son étonnement de voir autant de monde dans cet endroit perdu au milieu du désert. Les Sahraouis ont certifié pourtant avoir prévenu la Minurso de la tenue de la manifestation. «Une manifestation ? Nous n’avons pas été informés», déclare le militaire français. Manque de coordination ou simple oubli ? Le lieutenant- colonel avoue que la mission des observateurs des Nations unies est des plus difficiles. «Nous sommes 8 éléments équipés de 4 véhicules à contrôler une zone de plus de 14 000 kilomètres carrés de superficie. Notre rencontre d’aujourd’hui relève du miracle.» Par ces propos, cet observateur partage l’opinion du secrétaire général de l’ONU qui relevait, dans son dernier rapport sur la situation dans le Sahara Occidental, la nécessité de renforcer en hommes la Minurso. «Aussi bien le Maroc que le Front Polisario sont d’avis que la Minurso doit être renforcée pour être mieux à même de faire face aux nouveaux problèmes qui surgissent sur le terrain. C’est pourquoi je continue d’être convaincu que toute réduction des effectifs de la composante militaire de la Minurso aurait un impact négatif sur l’exécution de son mandat », note Kofi Annan. «A quoi bon renforcer les éléments des forces de l’ONU ? Ils ne sont là que pour gérer une situation de ni guerre, ni paix. Une situation qui ne profite qu’au Maroc», expliquent d’anciens combattants du Polisario. Kofi Annan lui-même avoue qu’aucune solution à ce conflit n’a pu être trouvée. Le recours à la lutte armée sera inévitable si cette situation perdure. «Que Mohamed VI comprenne bien que ses soldats se battront pour avoir leur solde. Pour notre part, et comme par le passé, nous nous battrons par conviction. Que le fils de Hassan II sache qu’aucun sahraoui n’acceptera de devenir un de ses sujets. Nous préférons mourir sur la hamada.»

T. H.

Le mur défensif marocain

Au début des années 1980, le roi Hassan II décide, sur conseil de militaires israéliens, de sécuriser ses troupes en érigeant un rempart, assemblage de remblais de sable et de champs de mines. D’une longueur totale de 2 200 kilomètres, ce mur défensif s’étend de la frontière algéro-marocaine, divise en deux le territoire du Sahara Occidental pour se jeter dans l’Atlantique au nord-ouest de la Mauritanie. 160 000 soldats marocains sont positionnés en permanence sur ce mur. Dernièrement, le Maroc aurait détourné une aide financière de l’Union européenne, censé servir à la lutte contre l’immigration clandestine, pour s’équiper en radars de détection nocturne de haute technologie. L’installation de radars de ce type a été relevée par Kofi Annan dans son dernier rapport. Ce fait constitue une violation de l’accord de cessez-le-feu de 1991 qui exclut le renforcement tactique sur une distance de 30 kilomètres du mur de défense.

T. H.





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http://www.lesoirdalgerie.com/articles/2005/02/17/article.php?sid=19426&cid=2